Le 6 mars dernier, le président se rendait encore au théâtre pour montrer l’exemple…


Hier soir, j’avais renoncé à prendre la plume pour réagir à l’intervention présidentielle. Il s’agissait en fait d’une autocensure tout à fait assumée. Comme je l’ai dit à ma moitié qui s’étonnait que je ne me sois pas mis à la tâche : « Ce n’est pas le moment d’accabler le président ».

Macron sait désormais que la crise de 2008 pourrait bien ressembler à une aimable plaisanterie à côté de ce qui se profile

Oui j’aurais pu moquer notre chef d’État qui, dix jours après nous avoir montré l’exemple en se rendant ostensiblement au théâtre – « il faut vivre comme avant » -, nous expliquait presque dans les détails comment nous allions désormais vivre confinés. A l’entendre nous enjoindre à lire, à s’occuper de nos enfants et à sortir faire de l’exercice à condition que ce soit en solitaire, à nous réprimander gentiment d’être allés nous égayer dans les parcs parisiens. Nous étions davantage en présence de « Big mother » que de Winston Churchill. Oui, j’aurais pu moquer également la manière dont, avec l’accord de toute la classe politique, il venait d’inventer l’entre-deux-tours de trois mois, choisissant la plus mauvaise des trois solutions proposées par les constitutionnalistes.

Bye bye la réforme des retraites

Mais tout cela, en fait, était bien dérisoire. Minuscule même, par rapport à l’ardente nécessité d’union nationale, que Céline Pina a si bien évoquée plus tôt dans nos colonnes. Minuscule par rapport aux défis qui nous attendent. Hier soir, le président de la République a repoussé deux réformes auxquelles il tenait particulièrement. Celle de l’indemnisation du chômage, et surtout celle des retraites, qui avait mis la France à l’arrêt pendant tout l’hiver, et dont on peut dire avec euphémisme qu’il y tenait particulièrement. Il n’a pas dit qu’il y renonçait, mais à vrai dire il les a posées à côté de la poubelle, un peu comme des « encombrants » qui ne rentreraient pas dedans. En fait, ces signes-là ne doivent provoquer aucun cri de victoire de la part de ceux qui ont lutté contre ces réformes. Ni même de soulagement. Car si Emmanuel Macron y a renoncé, c’est qu’il sait bien que la guerre contre le coronavirus qui met plusieurs pays à l’arrêt dont le nôtre à partir d’aujourd’hui et pour une période indéterminée, va avoir des conséquences incalculables en termes de crises économique, sociale, et sans doute géopolitique. S’il y a renoncé, c’est qu’il sait bien que son programme présidentiel est aujourd’hui caduc au regard de tout ce qui nous attend. Il sait que désormais, nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes, que notre État si abîmé constitue le seul levier qu’il nous reste pour maintenir le pays hors de l’eau. Il sait que la crise de 2008 pourrait bien ressembler à une aimable plaisanterie à côté de ce qui se profile.

Jouons les oiseaux de mauvais augure

Mais il y a aussi tout ce que le Président de la République ne sait pas, et qui n’est pas moins inquiétant. Est-ce que, lorsque le confinement commencera à porter ses fruits, comme c’est le cas en Corée du Sud, ou dans certaines zones de l’Italie, nous serons à l’abri d’une reprise à l’automne avec un virus qui aura muté, et dans un pays en pleine crise économique ? Aurons-nous à ce moment-là eu le temps de produire un vaccin et procédé à la campagne de vaccination obligatoire qui nous permettrait de ne pas reproduire d’autres confinements ? Est-ce que la perspective angoissante que ce pari soit perdu ne donnera pas raison à ceux qui, de l’autre côté de la Manche, ont décidé d’assumer l’immunisation naturelle de leur population, prévenant que peu de familles britanniques seront épargnées par la perte d’un proche, faisant le pari inverse, arguant qu’il s’agissait de la moins pire des solutions ? Est-ce qu’Emmanuel Macron n’a pas hésité un temps d’employer une telle solution, il est vrai effrayante, comprenant ensuite que notre société ne pourrait l’admettre ?

Malgré ces hésitations, malgré la forme décevante de sa prestation d’hier soir, c’est Emmanuel Macron qui a en charge cette “guerre”, et surtout des conséquences de cette dernière. L’après-guerre, qui pourrait être pire que la guerre elle-même en termes de dégâts sociaux, il en aura aussi la charge du commencement. Qui sait si en assumer toutes les conséquences ne concernera pas plusieurs de ses successeurs ?