J’ai regardĂ© le tĂ©lĂ©film en deux volets qui adaptait l’ouvrage de Robert Badinter, L’abolition. Je suis opposĂ© Ă  la peine de mort mais ce n’est pas le sujet de ce papier. Il y a quelque chose qui me chiffonne Ă  chaque fois qu’on Ă©voque l’abolition de la peine de mort et le tĂ©lĂ©film l’a fait resurgir.

Il est de bon ton en effet de raconter que cette dĂ©cision fut courageuse car elle allait Ă  l’encontre de l’opinion. Et on embraye gĂ©nĂ©ralement sur l’Ă©lite plus intelligente que le peuple si prisonnier de ses passions, si sauvage. En fait, je n’ai entendu qu’une seule personnalitĂ© affirmer un jour qu’il Ă©tait certain que le Peuple aurait votĂ© l’abolition lors d’un rĂ©fĂ©rendum, position que je partage. Il s’agit de Philippe SĂ©guin. Aux temps oĂą ce dernier faisait de la Politique[1. C’est-Ă -dire jusqu’Ă  janvier 1996, peu ou prou… .], le dĂ©putĂ© des Vosges, abolitionniste convaincu[2. Il fut d’ailleurs le premier parlementaire Ă  faire voter par la commission des Lois un texte abolissant la peine capitale, texte qui n’arriva jamais en sĂ©ance publique puisqu’Alain Peyrefitte y Ă©tait opposĂ©. Cette anecdote a d’ailleurs Ă©tĂ© omise dans le tĂ©lĂ©film.], eut une phrase que je ne me lasse jamais de rĂ©pĂ©ter : « Les sondages sont Ă  la dĂ©mocratie (et donc au suffrage universel[3. C’est moi qui rajoute .]) ce que l’amour tarifĂ© est Ă  la romance. » Et effectivement, rappeler sans cesse que les sondages disaient que 63 % des Français Ă©taient favorables au maintien de la peine capitale pour en conclure que seul le Parlement pouvait l’abolir, c’est faire deux erreurs majeures.

C’est oublier que souvent dans les rĂ©fĂ©rendums, le rĂ©sultat final fut contraire aux sondages du dĂ©but. Ce fut notamment le cas pour le dernier en date qui annonçait une victoire Ă©crasante du Oui au TraitĂ© constitutionnel europĂ©en.

Mais c’est surtout, et le tĂ©lĂ©film le dĂ©montre d’une manière Ă©clatante, oublier qu’après n’avoir pu sauver Bontemps (en essayant de prouver son innocence), Robert Badinter a construit cinq plaidoiries suivantes sur l’opposition Ă  la peine de mort. Et ce fut devant des jurys populaires. Cinq fois sur cinq devant des jurys populaires ! Il est Ă©vident que devant des juges professionnels[4. qui auraient sans doute arguĂ© que l’opinion n’Ă©tait pas prĂŞte…], il n’aurait pas sauvĂ© les accusĂ©s de la guillotine. Cela prouve donc qu’avec une force de conviction Ă©gale Ă  celle de l’avocat de l’abolition, qu’avec une foi dans le Peuple (ce qui implique qu’on ne la confonde pas avec l’opinion), on peut associer ce dernier Ă  des dĂ©cisions sensibles et majeures.

Aujourd’hui, il n’est Ă©videmment plus question de revenir sur l’abolition et de rĂ©tablir la peine capitale. Mais en entendant l’autre jour Robert Badinter dĂ©clarer que l’affaire Ă©tait entendue parce que la Cour europĂ©enne des droits de l’homme l’interdisait, je me suis dit que lui aussi se mĂ©fiait du Peuple. Et qu’il tirait assez mal le bilan de sa propre expĂ©rience.

10 commentaires

  1. Bonjour David,

    C’est très curieux, que tu interviennes sur ce sujet, car depuis quelques temps je me faisais la mĂŞme rĂ©flexion.

    En effet comme toi j’ai entendu dire de la part de personnes pour lesquelles j’avais de d’estime, de gauche comme de droite, qu’il fallait « se mĂ©fier de la dĂ©mocratie » sous entendu du peuple…… (ce qui a le don de me fâcher) au motif que la peine de mort n’aurait jamais pu ĂŞtre abolie par un rĂ©fĂ©rendum.

    Merci de dĂ©noncer le contre sens d’une telle affirmation, ou plus exactement ce procès d’intention.
    Au contraire les rĂ©fĂ©rendums sont l’occasion d’amener le peuple des Ă©lecteurs Ă  rĂ©flĂ©chir chacun personnellement et Ă  prendre ses responsabilitĂ©s.

    Bien sĂ»r cela demande de la part de nos dirigeants et des responsables politiques de s’investir dans une dĂ©marche exigeante nĂ©cessitant rĂ©flexion approfondie, dĂ©bat, pĂ©dagogie et sincĂ©ritĂ©.

    Il est temps que l’Ă©lite ne prenne plus les citoyens que pour des demeurĂ©s. Sinon elle risque de le regretter. Mais en a-t-elle l’intelligence? Son rĂ´le est de proposer et d’expliquer. En gĂ©nĂ©ral, Ă  mon humble avis, il n’y a pas de mauvais Ă©lèves, mais plutĂ´t de mauvais profs.( malgrĂ© tout le respect que j’ai pour eux).

    Toute la noblesse de l’art de gouverner en dĂ©mocratie est de respecter le corps Ă©lectoral ; comme en Ă©ducation ou dans l’enseignement il est du devoir de l’adulte de respecter les jeunes en quĂŞte de savoir.

    Le comportement du « maĂ®tre » compte autant que son ses connaissances dans l’adhĂ©sion Ă  son enseignement. Il suffit de penser aux bons professeurs que chacun a pu connaĂ®tre au cours de sa scolaritĂ©.

  2. Excellent papier ! Cependant (eh oui) je voudrai quand mĂŞme savoir qu’auriez vous fait/pensĂ© s’il y avait un rĂ©fĂ©rendum en 1981 et si le peuple votait non ? Pour Ă©largir la question, je suis dĂ©mocrate mais je prĂ©fère la version indirecte et me mĂ©fie des rĂ©fĂ©rendums comme SĂ©guin de sondages. Je ne suis mĂŞme pas sĂ»r que le rĂ©fĂ©rendum rende un rĂ©gime plus dĂ©mocratique et je crains que ce soit plutĂ´t le contraire.

  3. @Gil

    Mais je ne veux absolument pas me laisser enfermer par votre question dont je rejette l’hypothèse dans mon papier !
    Trop facile, me direz-vous ? Je ne vois pas pourquoi cinq jurys populaires instruits par les plaidoiries de l’avocat de la dĂ©fense et de l’avocat gĂ©nĂ©ral se comporteraient diffĂ©remment d’un Peuple instruit par un dĂ©bat Ă©lectoral. Entre le sondage et le rĂ©fĂ©rendum, il y a la campagne Ă©lectorale, la confrontation des idĂ©es. C’est exactement ce qui s’est passĂ© en 1992 et en 2005. J’ai perdu la première fois et je l’ai acceptĂ©. J’ai gagnĂ© la seconde et on m’a volĂ© ma victoire trois ans plus tard.
    Croyez-vous qu’une classe politique qui accepte Ă  90 % un traitĂ© rejetĂ© par 55 % de ceux qui les ont Ă©lus forme une dĂ©mocratie si reprĂ©sentative ?
    Pour ma part, je ne le pense pas.

  4. un jury populaire n’est pas un corps politique de dizaines de millions de personnes. les jurĂ©s sont obligĂ©s d’assister aux dĂ©bats et se consacrent Ă  l’affaire pendant un long moment. Ce n’est pas le cas de l’opinion publique – combien de gens n’ont mĂŞme pas lu le traitĂ©, combien ont fait la dessus un travail comparable Ă  celui des jurĂ©s ? un rĂ©fĂ©rendum est la porte ouverte Ă  toutes les manipulations. En 2005 la volontĂ© de redorer son blason par un « coup » n’a pas Ă©tĂ© Ă©trangère Ă  la dĂ©cision de Chirac d’opter pour l’option rĂ©fĂ©rendum.
    Le rĂ©fĂ©rendum permet Ă  l’exĂ©cutive de court-circuiter les Ă©lus, ce qui Ă  mon avis affaiblit la dĂ©mocratie.

  5. @Gil
    Vous persistez Ă  vouloir confondre Peuple souverain et opinion publique.
    Alors que le sujet central de mon papier de les diffĂ©rencier radicalement. J’en conclue que vous vous inscrivez en faux contre mon analyse. Cela dit, ce n’est pas la première fois qu’on juge mon papier excellent et qu’on me dit qu’on n’est pas d’accord avec…

  6. David, je reconnais tout simplement le fait qu’il existe sur cette question deux approches et que vous dĂ©fendez très bien l’une d’elles. je ne suis pas sĂ»r d’ailleurs d’avoir raison et votre billet est très stimulant

  7. En relisant mon dernier commentaire, je m’aperçois qu’on pouvait y percevoir une lĂ©gère vexation de ma part. Sachez que ce n’est pas du tout le cas et que je me suis très mal exprimĂ©. Je suis au contraire très flattĂ© que vous accordiez de l’intĂ©rĂŞt Ă  ce que j’Ă©cris et très honorĂ© que vous le trouviez de bonne qualitĂ©. Mais c’est vrai que ce dĂ©bat est un beau dĂ©bat et qu’il mĂ©rite mieux, et sur cela je pense que nous serons d’accord, que les phrases dĂ©finitives sur les mauvais instincts populaires qu’on a pu entendre dans le tĂ©lĂ©film.

  8. David,

    Ton sujet est de première importance et j’estime mĂŞme que le rĂ©fĂ©rendum est une des conditions essentielles de l’expression dĂ©mocratique et de la libertĂ© de l’homme.

    Bien sûr pour cela le référendum doit être organisé dans un cadre qui permette un véritable débat, ouvert et suffisamment long pour que une réflexion personnelle soit permise, et porte sur une question clairement rédigée.

  9. Bonsoir,

    Je suis belge et n’ai, par consĂ©quent, aucune chance de participer un jour Ă  un rĂ©fĂ©rendum. Ce que je regrette infiniment.

    Donc si j’ai bien compris vous distinguez « le peuple » de « l’opinion » de ce mĂŞme peuple …

    Je ne sais pas, je peux me tromper, mais je vois dans votre exemple des 5 jurys populaires ayant renoncĂ© Ă  prononcer la peine ultime comme un non-sens…

    Il doit exister un niveau de conscience et de responsabilitĂ© diffĂ©rent selon que l’on soit l’un de ces jurĂ©s, (assis face aux magistrats, Ă  l’accusĂ©, Ă  la famille et Ă  l’avocat de la dĂ©fense, ayant entendu toutes les plaidoiries) et n’importe quel quidam « du peuple » devant se prononcer dans l’isoloir sur une question qui le dĂ©passe le plus souvent.

    J’ai trop entendu mes compatriotes rĂ©clamer Ă  grands cris qu’on rĂ©tablisse la peine de mort lors de l’affaire Dutroux…

    Vous me direz que je confond « peuple » et « opinion »… oui peut-ĂŞtre… mais qui du peuple ou de l’opinion posera son bulletin dans l’urne ?

  10. peine de mort
    dans certain cas,oui
    comme toujours,c »est pile ou face,
    le juste milieu,ils ne connaisse pas
    les crimes odieux perpétuer pars des monstres,qui passeront leurs vie en prison,
    cela peut ĂŞtre choquant pour les familles
    on hurle pour les animaux enfermer,les batteries pour les poulets,
    vous faites la mĂŞme chose avec ces monstres que vous enfermez entre quatre murs a VIE,
    et tout comptes fait,peut être que ces monstres préférerais la mort que de mourir a petit feu?
    dans ce cas,qui est le véritable monstre?

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