Quand j’ai appris cette nouvelle ce matin, j’ai d’abord pris la chose avec beaucoup de philosophie. Je me suis rappelé les paquets de cigarettes, le bourreau de travail négligeant sa santé et qu’il fallait hospitaliser pour soigner une grippe de peur qu’il n’aille bosser dans cet état, les régimes « minceur » alternant avec les régimes « pizza ». Et je me suis dit que cela devait arriver, qu’avec une vie comme ça, beaucoup d’entre nous n’arriveraient pas à l’âge de soixante-six ans.

C’était mon bouclier, ma manière de former une bulle afin que la tristesse ne m’envahisse pas. Peine perdue. En voyant, tout au long de cette matinée,  les nombreux messages des anciens compagnons de mon époque séguinienne sur Facebook, en regardant les sujets consacrés à Philippe Séguin lors des journaux de midi, j’ai peu à peu été envahi par la peine, par l’impression que quelque chose en moi partait pour toujours.

Certes, en octobre 1998, j’avais largué les amarres avec celui que nous avions porté sur le pavois du RPR. Cet automne là, j’ai pris acte que la rupture était consommée. Je ne souhaitais pas ménager avec lui Jacques Chirac ; je ne voulais pas « mettre de l’eau dans mon vin » afin d’être sarkocompatible. Mais je n’ai jamais regretté les neuf années qui ont précédé cette prise de distance. Neuf années au service d’une personnalité de premier plan, d’un orateur exceptionnel. Dès la défaite de Jacques Chirac en 1988, je m’étais senti proche de cet homme plein de lucidité sur les erreurs commises pendant la première cohabitation. Je l’ai alors suivi presque instinctivement. A l’époque, c’était l’homme, davantage que les idées, qui m’attirait : autant l’avouer. Jusqu’à ce jour de février de 1990 au Bourget où Philippe Séguin m’a fait vivre le moment le plus fort de toute ma vie politique.

Ce dimanche là, le RPR était réuni pour ses assises. Le RPR, mais aussi toute la presse puisque le duo Pasqua-Séguin avait décidé de défendre une motion commune pour contester la ligne libérale inspirée par Balladur et Juppé et soutenue par Jacques Chirac. Alors que c’est à son tour de s’exprimer, Séguin est accueilli par une bonne minute de sifflets. Autour de moi, des militants hurlent : »salaud, connard, ordure ». Je me fais tout petit. J’ai 18 ans. Ces militants chevronnés qui insultent mon homme politique préféré, cela m’effraie davantage que cela m’indigne. Et puis, Séguin s’accroche au pupitre et brave la foule hostile. Il commence son discours. Sa voix caverneuse, très vite, a raison des sifflets. Il prononce des mots que ne peuvent pas rejeter les militants gaullistes. Il prononce un discours exceptionnel avec un souffle hors-norme. A la fin, les mêmes, qui l’insultaient vingt minutes plus tôt, l’applaudissent avec chaleur. Ils ne sont pas loin d’acclamer son nom. Je me rappellerai toute ma vie de ce moment où un homme porté par ses idéaux est parvenu à retourner une foule hostile.

Mais surtout, j’ai compris à ce moment là que les idées étaient encore plus importantes que l’homme qui les portait. C’est lui qui, en les sublimant par son verbe et sa force de conviction, est parvenu à me faire comprendre que c’était elles, désormais, qui guideraient mon militantisme. C’est donc finalement là que se trouve le germe de ma rupture huit ans plus tard. Quand j’ai jugé que Philippe Séguin ne défendait plus ses idées, j’ai décidé de passer à autre chose. Entre temps, il y avait eu Maastricht, la campagne chiraquienne contre la fracture sociale et pour le pacte républicain où, là encore, l’orateur Séguin fit merveille. Quand d’autres écumaient bars et discothèques, mes vingt-ans furent consacrés à l’action politique derrière cet homme-là. Séguin disparu, c’est un peu mes vingt-ans qui s’en vont.

Les années suivantes, j’ai regardé de près le parcours de celui pour lequel j’avais bourlingué entre Dole, Besançon, Paris et Epinal. J’étais devenu un observateur attentif. Nous n’avions pas eu le temps de devenir des adversaires  : il avait lui aussi tiré sa révérence quelques mois après mon propre départ. C’est vrai, j’ai parfois été dur avec lui lorsque j’ai commencé à bloguer. Il m’avait tant déçu. Il m’avait tant fait espérer dans son destin au service d’un idéal partagé, la République jusqu’au bout. Etre dur, parfois moqueur, c’est une manière d’exorciser cette déception. Mais, dans un coin de ma tête, subsistait quand même un tout petit espoir. Même si je l’encourageais à sauver le foot français il y a peu, je pensais que des circonstances exceptionnelles nécessitant le recours à un vieux lion pourraient se présenter pour veiller au destin de notre Nation. Alors, à la manière d’un Churchill ou d’un Clemenceau, Philippe Séguin aurait pu être celui-là.

Avec mes vingt-ans et cette illusion de recours, disparaît aussi un représentant du monde politique d’avant. Philippe Séguin n’a jamais prêté le flan aux pipoleries, au mélange des genres, au piétinement de la frontière entre vie publique et vie privée. Qui, d’ailleurs, connaît Madame Séguin ? Les communicants, il les nommait les « cartomanciennes ». Jean-Claude Gaudin a eu un mot très juste ce midi : »Personne ne peut dire que Philippe Séguin était un faux-cul, un hypocrite ». Vous étonnerais-je en écrivant qu’il s’agit d’une qualité très rare dans le milieu ? Ou plutôt d’un défaut si on veut y prospérer ?

Adieu, Monsieur le Président. Et merci pour ces années qui ont contribué à me faire devenir ce que je suis.

Photo : A Dole (Jura) lors de la campagne pour les élections régionales en mars 1998.

13 commentaires

  1. Ainsi va la vie, et ne jamais se retourner sur le passé sans en oublier les lecons.
    mes vingt ans a moi c’etait bien avant mais les idéaux passent et trépassent parfois.
    Il m’a fallu avoir 60 ans pour trouver et suivre un autre idéal : il s’appelle NDA et en quarante cinq de vie politico-syndicale rare sont les « maitres » qui meritent qu’on les suive
    pour leur exemplarité et leur charisme
    NDA en est, dans le génération suivante
    Puisse ne jamais nous décevoir.

  2. En partage, ces quelques lignes, extraites d » Itinéraire d’en la France d’en bas, d’en haut et d’ailleurs »,

     » on me dira sans doute que j’ai échoué. Et qu’à m’être laissé encombrer d’idées, de conceptions et de comportements dépassés, je n’ai à m’en prendre qu’à moi-même, puisque la preuve est faite que l’efficacité est ailleurs.
    Je ne crois pourtant pas que ce soit à cette aune que je doive être jugé. Je n’étais pas de droite. J’ai fait un choix politique majeur, il y a quelques décennies. J’ai choisi, précisément De Gaulle parce qu’il refusait ces clivages. Je l’ai choisi parce qu’il incarnait une certaine manière de concevoir l’action publique. je l’ai choisi parce qu’il refusait déterminisme et pesanteurs sociologiques et qu’il plaçait le politique au-dessus de tout. Je l’ai choisi parce qu’il avait lui-même choisi la démocratie et la République.
    Je sais que le reniement des principes auxquels on croit est le meilleur raccourci vers les victoires électorales. Je n’y consentirai jamais »

    …Nos 20 ans sont loin, ses leçons nous accompagnent…

  3. C’était un homme politique entier.Le seul homme de droite pour lequel j’ai jamais eu plus que de la sympathie et dont j’aurais souhaité la victoire.Mais, il faut reconnaître le bonhomme n’a jamais été trop politique, il était politique au sens noble du terme,alors que face à Chirac, Sarko, il aurait fallu être un peu « sale ».Peut-être David Desgouilles peut-il m’expliquer: je ne comprendrais jamais pourquoi Philippe Séguin est resté au perchoir après la victoire de 1995, il aurait fallu descendre dans l’arène, ne pas laisser Juppé et cie, saccager tout ça.
    Une citation d’Emmanuel Todd dans « Après la démocratie », m’a choqué la première fois, elle est cruelle, dure, méchante, mais tellement vraie

  4. il était a pars,,,, tout les hypocrites vont en faire l »éloge,,,
    pour étre franc,je n »éprouvais pas beaucoup de sympathie pour lui,

    plus de 30 ans fidèle a mon partie;puis a la rue de lille;;;
    presque tous mon déçu,,,,

    heureusement ,j »avais mon entreprise;;donc j »étais un homme libre,,,
    nous n »avons pas la même mentalité,,,,que ces politiciens,sans honneurs,sans paroles,

    lui,c »était un gaulliste de gauche,,,,pour cela je le respectait
    la phrase de gaudin me fait sourire,;,,,

    suer que lui,c » est tout le contraire,,et une grande partie de nos politiciens qui écrase tout sur leurs passage pour réussir

    alors quand je voie les faux amis faire son éloge,,,,,
    je ne peut m »empêcher de sourire,,,,,,

    le décès de jean-paul charrier ,est passer inaperçu,,,,
    j »avais de la sympathie et un grand respect pour lui ,qui m »avait nommer responsable a la rue de lille,

    il va reposer dans le var a coté de sa mère,
    paix a son âme

  5. Philippe personnifiait parfaitement la République : « La souveraineté du peuple, l’appel de la liberté, l’espérance de la justice »

  6. On riait parce qu’on étaient de la « vrai gauche « de son adhésion à la SFIO à aix en provence dans les années 60, mais il n’a jamais été indigne,et les grandes gueules valent mieux que les lèches cul,même si je n’ai jamais suivi ses choix, alors, respect, et adieu philippe.

  7. J’ai aujourd’hui 25 ans, je n’ai donc pas « vécu » les grandes heures politiques de Philippe Séguin, ou plutôt je les ai vécues par procuration, a posteriori, en découvrant la politique, en apprenant à forger mes propres idées, et ses positions et discours m’ont souvent interpellé. Lui et quelques autres m’ont transmis un respect de ce qu’incarne l’homme et l’action politique, et avec ce respect la frustration de ne pas trouver sur l’échiquier politique actuel plus de personnalités de son calibre. Merci à Florence Kuntz pour cette superbe citation qui vaut toutes les oraisons funèbres.

  8. Merci, David d’evoquer ce discours au Bourget: j’en ai exactement le même souvenir.Le lendemain, je lui avais ecris une lettre de proposition de services..
    Depuis hier, j’ai du mal à retourner aux champs.Je me souviens de la formule que j’avais souffle à un journaliste à l’époque: nous étions le courant « TVM,TDC (Tout va mal, tous des c..) Helas!
    Relisez dans le décodeur de la pensée unique, la notice « Seguinisme: Avec,malgré ou sans Seguin »

  9. Merci David pour ce message très émouvant et personnalisé. Un regret, pour ma part : n’avoir pas participé – à 17 ans et vivant à l’étranger – à la campagne de Maastricht en 1992. En relisant le « Discours pour la France », prononcé à l’Assemblée nationale au printemps 1992, je redécouvre le rythme et les vertus de l’orateur exceptionnel. Après avoir dénoncé « le secret des cabinets, la pénombre des commissions, le clair-obscur des cours de justice », il donne une leçon aux parlementaires : « La souveraineté, cela ne se divise pas, cela ne se partage pas non plus et, bien sûr, cela ne se limite pas. » Il conclut : « Oui, nous voulons l’Europe, mais debout ! »
    Amicalement,
    David J

  10. Les cloportes des régions républicaines, étant incapables de construire un parti politique, sont obligés de suivre une personnalité charismatique qui peut se dégonfler ou trahir. La politique ne consiste plus alors qu’à décortiquer le psychisme du candidat aux présidentielles et, si c’est positif, de le suivre. Certains avaient très bien jaugé Sarkozy, il suffit de faire de même avec Villepin.
    A pleurer qu’on en soit arrivé à considérer la campagne de Maastricht comme un grand moment.
    Quand on a des convictions, on va jusqu’au bout.

  11. Tout à bord félicitation pour ton site et tes réflexions prenant de la hauteur . Celà fait du bien dans la France de SARKOZY.
    A te relire je revois ce passé pas si lointain en 1995 , que j’aime ou avec Claude SALOMON ( Conseiller Général RPR), je l’accompagnait à des réunions de son Club de réflexion ‘ Le RAP’ Rassemblement pour une autre politique. Président d’honneur de ce mouvement d’idée.Philippe SEGUIN voulait des « esprits libres de la République’.
    Beaucoup d’éloges pour la disparition de Philippe SEGUIN, mais au milieu de certaines condoléances hypocrites, cette perte est d’autant plus pénible lorsque regarde nos élites aujourd’hui . Grand Gaulliste Social et authentique, Républicain exemplaire, hommage à son refus de toute compromission à son courage qui a fait qu’il a quitté une droite de tahison. Séguin nous a quitté, mais le Gaullisme est là et bien là. Non je n’ai pas à rougir de dire que je me suis bien souvent déclaré gaulliste ‘tendance Seguin’.
    Cet homme va nous manqué . On se rappelle lorsqu’il prononça à l’assemblée Nationale cette phrase qui correspond à la réalité de la gouvernance actuelle.
    « La République aujourd’hui,c’est comme un match de foot où les deux équipes jouent mais ou le ballon a disparu, détenu par les autres puissances,celle de l’argent qui gouverne en cachette ».

  12. Magnifique témoignage, merci David. Grand serviteur de l’Etat, gaulliste inclassable, orateur de talent et franc-tireur ombrageux, Séguin était un monument. Sa tragique disparition laisse un vide mais aussi un héritage à perpétuer…

    Lors de son hommage à Philippe Séguin, Nicolas Sarkozy a lancé cette phrase qui est passée quelque peu inaperçue : « Le Gaullisme avec lui avait gardé quelque chose de vivant ». Sous-entendu qu’aujourd’hui, le gaullisme est mort et n’a plus lieu d’être.

    Face à la libéralisation et l’extrême droitisation d’une partie de l’UMP, je pense qu’il est grand temps que les héritiers du Gaullisme se rassemblent pour porter une nouvelle espérance et une certaine idée de la France…

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