Entretien avec Jean-Philippe Mallé, député PS de 2012 à 2014
Suppléant de Benoît Hamon en juin 2012 et à ce titre député entre cette date et septembre 2014, vous avez claqué la porte du PS l’an dernier. Dans un entretien accordé à Marianne, vous expliquez ne plus croire au clivage droite-gauche. Quel est selon vous le(s) clivage(s) qui devrai(en)t structurer la vie politique aujourd’hui ?
Jean-Philippe Mallé : Je n’ai pas claqué la porte du PS : j’en suis parti, il y a plus d’un an, sans faire de bruit et j’ai rejoint République moderne, l’association présidée par Jean-Pierre CHEVENEMENT, que j’anime dans les Yvelines.
J’ai bien conscience que les notions de droite et de gauche, héritées de notre histoire, sont ancrées dans notre vie politique ; elles organisent cette dernière de façon binaire car elles sont fonctionnelles et pratiques : l’ordre et l’autorité seraient à droite quand le mouvement et la justice sociale seraient à gauche.
Une objection, cependant, à ce bel ordonnancement : l’examen de la vie politique en France de ces trente dernières années, avec sa succession de gouvernements de droite et de gauche brouille les lignes. L’épreuve du feu, en politique, c’est l’exercice du pouvoir qui agit comme un révélateur : on ne peut, en effet, se contenter des bonnes intentions affichées et en rester à de pures spéculations intellectuelles. Je ne connais donc qu’une gauche, celle qui a gouverné sous les magistères de Francois MITTERRAND, Lionel JOSPIN et Francois HOLLANDE. Or, les faits sont là : la gauche, aux côtés de la droite, a pris toute sa part au mouvement de dérégulation de notre économie et de soumission à la doxa libérale de la commission européenne.
Il est vrai qu’une large partie de la gauche déteste aujourd’hui l’Etat-Nation qu’est la France. Un exemple, parmi tant d’autres : Emmanuelle COSSE écologiste, actuelle ministre du logement et de l’habitat durable, avait publiquement déclaré : « il faut dissoudre l’Etat-Nation »… avant de rejoindre, sans barguigner, le gouvernement de la France. Ces propos irresponsables de la part d’une dirigeante éminente de la gauche, ne portent pas seulement atteintes à l’identité de notre pays : ils contreviennent aux intérêts concrets des Français qui savent, eux, que c’est l’Etat qui a créé la France, ses services publics, sa protection sociale, sa conception de la laïcité etc.
Toute une partie de la gauche, avec beaucoup de légèreté, a abandonné à d’autres le paradigme national ; elle s’est engouffrée dans cette pensée binaire, répandue à dessein, qui nous intime l’ordre de choisir entre une Europe présentée comme moderne et généreuse et une France étriquée voire « moisie ». Elle a, ce faisant, abandonné à leur sort les classes populaires et les classes moyennes qui l’ont bien compris et qui ont aussi compris que la question sociale ne rencontrerait aucune solution hors du contrat social constitutif de la République, laquelle est portée par la Nation. Se décréter le camp du Bien et de la Morale est très nettement insuffisant et n’y suffira pas.
Pour répondre directement à votre question, je crois donc urgent de travailler à un projet politique pour la France à partir des concepts solides que sont la Nation, l’Etat et la République, tous trois intimement liés. Le véritable enjeu des temps qui viennent est celui-là : la France et les Français parviendront-ils à reprendre en mains leur destin ? Nous devons donc promouvoir la construction d’une Europe qui laisse respirer les Nations, leurs personnalités, leurs identités.
Vous l’aurez donc compris, la souveraineté nationale, qui emporte des conséquences sur tous les plans, démocratique, économique, social et politique, est l’axe autour duquel, à mon sens, doit s’organiser la vie politique de notre pays.
Il y eut des rapprochements souterrains entre Jean-Pierre Chevènement et Philippe Séguin post-Maastricht, la main tendue par Charles Pasqua en 1999, la candidature de Chevènement en 2002, la reconstitution de République Moderne à des fins de rapprochement avec Nicolas Dupont-Aignan l’an dernier. Pourquoi toutes ces tentatives ont-elles échoué ?
Je regrette que ces rapprochements, qui n’ont pas toujours été souterrains, ne se soient pas concrétisés. L’an dernier, par exemple, Jean-Pierre CHEVENEMENT s’était rendu à Yerres à l’université d’été de la formation dirigée par Nicolas DUPONT-AIGNAN ; tentative avortée pour quelque raison obscure et déception pour de nombreux patriotes car ce qui rapproche ces deux responsables politiques est tellement supérieur à ce qui les sépare ! Un début d’explication peut-être : tout homme ou toute femme est le produit de son histoire et cela est particulièrement vrai pour les hommes et les femmes politiques. Il n’est pas aisé, certainement, de transgresser de vieux clivages et de s’en affranchir : Charles de Gaulle pouvait se le permettre, pour la France.
Vous expliquez que la candidature d’Arnaud Montebourg, bien que ce dernier porte des idées très proches des vôtres, ne conduit qu’à la survie du PS puisqu’il se soumet à la primaire. Ne peut-on pas vous objecter que s’il parvenait à remporter cette compétition – et ses chances sont réelles, il pourrait au contraire renverser la table et opposer une véritable alternative républicaine et souverainiste à Alain Juppé ou Nicolas Sarkozy ? Solférino est-il encore si fort qu’il pourrait imposer à Montebourg de renoncer à son projet politique ?
J’apprécie le tropisme souverainiste d’Arnaud MONTEBOURG, en particulier son patriotisme économique. Sur plusieurs points, il a plus affaire avec des gaullistes qu’avec les libéraux du PS. Mais, en restant au sein du PS, il se lie les mains et se condamne par avance à ne pas appliquer demain ce qu’il propose aujourd’hui car je le disais plus haut : les formations de gauche, dans leur majorité, ne sont pas dans ce registre ; quels appuis aurait-il s’il l’emportait aux primaires de la « belle alliance populaire » (sic) ? Mais cela vaut également pour Jean-Luc MELENCHON qui a de belles intonations avec « La France insoumise, le peuple souverain » : il a compris ce qu’attend le peuple de France. Malheureusement, en dépit de ses louables efforts pour s’en dégager, il est dans un environnement politique marqué par le gauchisme et donc très loin de la Nation et de sa souveraineté.
Vous dites souhaiter accorder votre suffrage à Henri Guaino ou Nicolas Dupont-Aignan en avril prochain. Cet engagement pourrait-il aller plus loin que votre seul devoir de citoyen ? Lequel des deux aurait votre préférence ?
J’ai cité ces deux personnalités car là encore, ce qui les rapproche est infiniment supérieur à ce qui les sépare. Elles devraient travailler ensemble : cela aurait de l’allure ! Car l’heure est grave pour notre pays et chacun doit prendre conscience de ses responsabilités. De la même façon, quand je lis les analyses historiques et politiques de Jean-Pierre CHEVENEMENT, un gaulliste impeccable, je ne parviens pas, même au prix d’un gros effort, à me persuader qu’il faut voter socialiste aux prochaines élections…
Sur le titre, quelques commentaires, je l’avoue bien acerbes, mais il faut bien apporter un peu de contradiction pour avoir du débat. N’étant pas souverainiste, je n’ai jamais partagé la thèse centrale de Dupont-Aignan mais il y a quelques années, nous pouvions indiscutablement lui reconnaître une honnêteté intellectuelle, un point de vue qui avait sa cohérence et un certain esprit de responsabilité qu’il avait démontré en remettant sur les rails une commune en faillite. Ces dernières années, sans doute las d’être trop poli ou trop gentil, ce qui lui valait il faut bien le reconnaître la condescendance du système médiatique, il s’est laissé aller à surfer sur les peurs et a fait assauts de propos démagogiques voire totalement crétins. Cela semble payer dans les sondages (si on les croît…) mais cela le décrédibilise totalement. D’ailleurs son attitude sur les rythmes scolaires, dans sa commune, a montré toute l’étendue de son esprit d’irresponsabilité quand il a laissé ses administrés sans solution, préférant la posture à une attitude critique mais constructive. Plus inquiétant, son incapacité de plus en plus accusée à ne pas reconnaître les erreurs ou approximations dans ses propos montrent un homme qui ne supportent aucune contradiction.
Sur Guaino, il souffle le chaud et le froid cet homme là : ridicule au dernier des points quand il demande que les forces de l’ordre soient équipées de lance roquettes (suite au drame de Nice), brillant quand il s’agit de commettre un ouvrage dense et conséquent sur l’économie. Dans ce dernier, au delà des solutions préconisées, que les Echos considèrent démagogiques et Alter Eco comme très intéressantes, sans doute contestables comme bien d’autres travaux, mais pointant la bonne question, pas explicitement posée par les autres : il faut en finir avec l’économie du sacrifice. Il ne s’agit pas nécessairement de raser gratis mais d’offrir des perspectives. Il est clair que la crise démocratique est largement (mais pas seulement) dans cette problématique.
Enfin, sur l’interview, le concept de nation est « vendu » comme très clair et sans ambigueté. C’est faire bon marché de l’histoire : ce concept est à l’origine un dévoiement du concept de peuple, connoté à l’époque de la Révolution par les Sans Culottes dans une acceptation extrême, en tout cas effrayante pour les bourgeois. Un certain Bonaparte trouvera la solution : la Nation, cela fait rassembleur et cela évacue à bon marché la question sociale, toujours ouverte (si tant qu’elle puisse connaître une conclusion un jour). Trump et bien d’autres, consciemment ou pas (c’est une question de culture), en tire toujours partie aujourd’hui.
Pour mettre en accord les termes de Nation et de Peuple, rappelons qu’avant leur utilisation massive (entre parenthèses, on pourrait soutenir que la notion de Nation nait à Valmy, c’est à dire avant Napoléon), il y a la France et celle-ci se structure et s’organise à certains moments clés, au cours de batailles « référence », telles Bouvines et Marignan ou autour de personnages comme Jeanne d’Arc, Louis XI, Richelieu et De Gaulle (non exhaustif).
Bonjour
vous avez raison sur la dimension historique que vous mentionnez même si nous restons là sur des références qui construisent le Roman National (sans acceptation négative ici) . En théorie, en France, il y a superposition parfaite peuple, Etat et Nation. En théorie seulement … et il est des pays où tout cela, mal compris ou tout simplement dévoyé, a conduit au pire (nettoyage ethnique et j’en passe).
Idem pour nationalité et citoyenneté. Dans certain pays (la Russie et Israël sont les plus connus) la nationalité, ce qu’on pourrait plus ou moins appeler l’ethnie chez nous, est dissociée de la citoyenneté.