Libye, Syrie, réforme territoriale : l’ex assume… ou presque

 

Ce fut un passage éclair. Nicolas Sarkozy devait impérativement reprendre un avion direction La Baule pour figurer sur la photo de famille avec ses bons amis Alain Juppé et François Fillon. Alors, à Gilley, à quelques hectomètres de la Suisse, l’ancien Président n’a pas donné de conférence de presse. Le chef des Républicains est arrivé à la mairie pour une réunion avec le bureau départemental de son parti puis il a rejoint la grande fête champêtre traditionnelle de la fédération départementale doubienne de son parti. Mille trois cents personnes l’attendaient avec grand enthousiasme pour lancer la campagne des régionales. À la tribune, l’ancien ministre Alain Joyandet, qui a fait les frais de l’accord LR-UDI aux régionales, voisine avec le centriste bourguignon François Sauvadet, qui mènera donc les listes de la droite et du centre. Pauvre Sauvadet ! Au moment où il croit prendre la parole, juste avant Nicolas Sarkozy, ce dernier s’avance et bouscule le protocole. La photo de La Baule ne peut attendre. L’infortunée tête de liste prendra longuement la parole après le départ de l’ex-président, dans un brouhaha insupportable. En vingt-sept ans de participation à ce genre de réunion, je n’ai jamais ressenti autant de compassion pour un élu centriste.

Mais revenons au discours qui a précédé. Passons sur les fleurs que Nicolas Sarkozy se jette à lui-même, sur la remise en route du parti, son changement de nom, l’organisation résolue de la primaire (tous ne le pensent pas, puisque Juppé, le lendemain, laisse filtrer encore quelques doutes), l’hommage à Eric Woerth, son nouveau chouchou qui l’a accompagné et le suivra à La Baule, une sorte d’hommage à lui-même et à son honneur bafoué, par identification subliminale. On ne s’étendra pas sur l’avertissement à ses futurs adversaires de la primaire : « Les élections régionales ne doivent pas être polluées par l’élection présidentielle […] Si on a envie d’en découdre, le moment viendra. » En prononçant cette dernière phrase, Nicolas Sarkozy n’est pas loin de se lécher les babines. L’assistance, dont une certaine Claude que j’ai interrogée une demi-heure plus tôt, doit apprécier (« Juppé trop à gauche, Fillon déloyal » etc.).

Bien entendu, le président des Républicains aborde le sujet de ces derniers jours. Il rappelle en préambule  la proposition qu’il avait faite lors de la présidentielle de 2012 : la négociation d’un Schengen 2, que lui aurait soufflée un certain Patrick Buisson. Petit pas de côté – pour échapper aux accusations de droitisation ? – il dénonce la « brutalité » et « l’inhumanité » de Marine Le Pen sur la question des migrants : « Nous appartenons tous à l’espèce humaine […] Nos racines sont chrétiennes […] Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’exprimer un sentiment soit une faiblesse […] quand je vois cette inhumanité, je ne suis pas étonné de ce qui se passe entre la fille et le père ». Il évoque ensuite ce « capitaine balloté sur une mer déchaînée, sans repère et sans conviction ». Ce sera l’une de ses rares allusions à François Hollande. Puis il se lance dans un cours de démographie africaine, et dégaine ses propositions pour « non pas réformer mais refonder la politique migratoire ».

Pour Nicolas Sarkozy, il n’est pas question de remettre en cause la tradition d’asile politique. Mais, à l’instar de Valls, il appelle à faire le tri entre les persécutés et les migrants économiques. Schengen 2 permettrait d’avoir les mêmes règles d’octroi de l’asile politique et de faire le tri dans des centres de rétention, financés et gérés par l’UE, situés dans des « pays périphériques », tels que  la Serbie (hors UE), la Bulgarie (hors Schengen) ou les Etats du Maghreb. Nicolas Sarkozy étant pressé, il n’a pas le temps de nous expliquer comment il va contraindre lesdits pays à héberger ces centres. Dommage, ç’aurait été bigrement intéressant !

Mais Sarkozy a des yeux et des oreilles. Il se sait pilonné depuis des semaines par Marine Le Pen notamment sur le thème : « Si on en est là, c’est à cause de l’intervention de Sarkozy en Libye qui a déstabilisé la région et ouvert la voie à Daech et les migrations que nous connaissons aujourd’hui ». Un argument dévastateur pour son image et son discours sur l’immigration. Que peut faire Nicolas Sarkozy ? Un mea culpa ? Ce n’est pas le genre de la maison. Alors il choisit d’assumer. Non seulement l’intervention libyenne, mais sa proposition formulée en août 2012, d’ingérence en Syrie « pour soutenir l’opposition modérée ». C’est dit. Non seulement, Nicolas Sarkozy assume publiquement d’avoir fait tomber Kadhafi, mais il regrette qu’on n’ait pas fait tomber Assad. Autrement dit, ce ne serait pas d’un excès  d’ingérences que viennent les problèmes du jour, mais d’une carence d’interventions extérieures. On croit entendre BHL. Et on est sûr de l’entendre lorsque l’orateur rappelle que François Mitterrand a laissé tuer huit mille bosniaques. Evidemment, la logique de tout cela, c’est qu’il faut intervenir très vite, et au sol, pour combattre Daech : « Si on fait la guerre, on la fait. »

Evidemment, Sarkozy passe sous silence les raisons du veto russe et chinois à toute action militaire en Syrie : c’est parce que le mandat donné par l’ONU pour sauver Benghazi a été outrepassé que Moscou et Pékin sont sur leurs gardes. Poutine et les Chinois avaient été scandalisés que la coalition franco-anglaise fasse tomber Kadhafi ; ils n’allaient pas donner quitus à une intervention dont le but à peine voilé était de faire tomber Assad, l’allié traditionnel des Russes dans la région.

Sarkozy a beau camper sur une position « béhachèlienne »,  il n’est pas certain que tout son parti soit derrière lui. Demandez à Jacques Myard ou Thierry Mariani qui ont récemment rencontré Bachar Al-Assad. Demandez à François Fillon et même à Alain Juppé (qui ne veut pas d’intervention au sol et qui avait failli démissionner du quai d’Orsay en 2011, considérant que BHL dévastait ses plates-bandes libyennes).

L’autre fait intéressant de ce discours, c’est un silence. Alors qu’il venait lancer la campagne des élections régionales dans la nouvelle région fusionnée Bourgogne-Franche Comté, Sarkozy n’a, à aucun moment, évoqué la réforme territoriale.

Pourtant, il y a quelques mois, le même avait clairement exprimé son intention de remettre ce projet sur la table, fusions de régions comprises. Cette ligne, il la tient toujours mais a décidé de ne pas le faire publiquement. Deux élus LR m’ont indiqué que leur chef avait déclaré  au cours d’une précédente réunion à huis-clos que l’idée d’une région allant, par exemple, d’Aurillac à l’Alpe d’Huez, était parfaitement ridicule. Sarkozy aurait confié aux cadres locaux du parti que la constitution de régions trop grandes et ingérables avait maintenu mécaniquement les départements. En petit comité, l’ex-chef de l’Etat avoue ne pas avoir renoncé à la réforme qu’il avait fait voter avant que François Hollande ne l’abroge sitôt élu, une première mouture qui fusionnait anciennes régions et départements à travers un seul échelon d’élus : le conseiller territorial.

Sans doute Sarkozy n’en dit-il mot publiquement afin de ne pas polluer la campagne de candidats partisans résolus des super-régions, comme François Sauvadet. Le patron des Républicains met donc, le temps de la campagne, un mouchoir sur ses convictions en matière de décentralisation. Il les ressortira sans doute lors de la primaire présidentielle. Là encore, ce n’est pas sans risque. Remettre en cause des régions qui auront alors leurs assemblées et leurs exécutifs élus peut être difficile à faire passer dans l’opinion. Remettre le dentifrice dans le tube, comme chacun sait, n’est pas chose aisée.

Tout compte fait, le bilan de cette journée est plutôt encourageant. Nicolas Sarkozy qui veut lutter contre la « pensée unique » a des idées et compte bien les faire partager. Avec un peu de chance, les débats de la primaire pourraient porter sur autre chose que le style et le bon teint des uns et des autres. De la géopolitique, de l’organisation territoriale… Pourquoi pas du devenir de l’Ecole grâce aux positions diamétralement opposées d’Alain Juppé et de Bruno Le Maire ? Miam, cela donne presque envie !

1 commentaire

  1. Merci beaucoup pour ce compte rendu riche dans toutes directions.
    Très bonne idée de son point de vue d’assumer la guerre de Libye.
    De mon point de vue, il serait possible d’assumer l’intervention dans les bornes du mandat, et de regretter l’évolution prise par le conflit et de pleurer sur son issue finale (qui n’avait rien de fatal, non ? le passage de la position désespérée de Benghazi à la chute de Khadafi n’a pas été immédiat, dans mon souvenir) (je fantasmais une bi ou multipartition de l’Etat, quitte à ce que Khadafi reste à la tête de deux villes et un corridor).

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