Une enseignante de mes amies est dans les ennuis.
Il y a quelques jours, elle donne en classe une rédaction (si ! elle a osé !) qui consistait (je vous donne le sujet comme elle me l’a fourni, et peu importe ce que j’en pense) à écrire un sonnet de son invention, en décasyllabes et / ou alexandrins, fictivement rédigé par un Résistant pour en motiver d’autres. Bref, un addendum à l’Honneur des poètes.
Elle a bien précisé qu’il s’agissait d’un sujet personnel, préfiguration des « sujets d’invention » qu’ils auraient au lycée, etc.
L’un de ses loustics a trouvé moyen de dénicher sur Internet un poème à peu près adéquat, rédigé par un quidam quelconque, qu’il a recopié tout simplement « avec l’autorisation de sa mère… »
Bref, la collègue s’en aperçoit, et met 0 au garnement (et à trois autres canaillous qui avaient eu la mauvaise idée de recopier sur son épaule…). Avec une heure de retenue en sus — faudrait quand même pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages, comme disait Audiard.
Que fit la maman ? Elle a écrit à la prof qu’elle trouvait son comportement inadmissible, la note indigne, bref, qu’elle portait réclamation…
On se croirait dans un centre commercial. Ce n’est plus Darty, c’est Antibi ou Sébastien Clerc : « Moi, je vous mets 10 au minimum pour ne pas vous humilier, si vous trouvez plus bas, plaignez-vous, Sainte Pédagogie vous remboursera la différence… »
L’enseignante, un peu piquée au vif, a répondu par une (trop) longue lettre que je vous livre in extenso en Note (1).
La réponse n’a pas tardé : la mère courroucée a déboulé chez le Principal du collège, en exigeant un rendez-vous — afin de laver la tête d’une prof si mal embouchée…
Rendez-vous fut pris, et qu’en résulta-t-il ?
Je lui laisse la parole — parce qu’il y a une certaine qualité d’émotion dont le ministre devrait tenir compte, en ces temps où paraissent des livres qui s’inquiètent de la santé psychologique d’enseignants au bout du rouleau — j’en parlerai à l’occasion.
« Tout a très mal commencé : la mère devant son fils, dans ses petits souliers — m’a directement annoncé qu’elle était très en colère contre moi. Je lui ai fait remarquer que ce n’était pas de ma faute s’il avait triché, mais elle s’est tout de suite focalisée sur le zéro. Le but de son déplacement était clair: faire retirer ce zéro « car un zéro, ça fout la scolarité en l’air », bien entendu! J’ai répondu qu’au milieu de 15 notes (j’en suis déjà à 11), si les autres étaient bonnes, ça ne changeait pas grand chose, mais bon, « un zéro c’est inacceptable », donc faut changer tout ça, car après tout le client est roi… Hein? Comment ça ? on n’est pas dans un supermarché ? Je ne m’en étais pas rendu compte !
« Bref, je reviens à ma mère d’élève et ses arguments oiseux : « Il n’avait pas rendu copie blanche, il n’était pas au courant, j’aurais dû préciser les règles » (là, agacée j’ai répondu que si je devais donner toutes les règles de base à chaque cours, je n’en finissais pas et qu’il me semblait évident qu’il ne fallait pas tricher, et que cela devait paraître évident à un élève aussi intelligent que son fils…). Là où elle a réussi à me faire mal, c’est quand elle a abordé de façon générale la gestion de mes cours : je fais peur aux élèves (et c’est bien le terme employé!) et en leur annonçant que j’étais rancunière (propos tenus envers certains petits insolents effectivement), je coupais ainsi toute tentative de dialogue. Bref, je suis « l’un de ces professeurs juchés sur leur piédestal qui ne veut même pas entendre les propos de leurs élèves ». À croire qu’elle savait ce qui pourrait me faire craquer (puisqu’elle a insisté sur les problèmes que son fils aurait s’il m’avait de nouveau l’année prochaine — sous-entendu : vous êtes une mauvaise prof). J’ai quand même tenu bon, et après avoir essayé de m’apitoyer (« son fils est très malade, une maladie liée à l’anxiété… » vu la mère qu’il a, je ne suis pas surprise, parce que la situation dans laquelle il était pendant l’entretien n’était pas facile! Il a même fallu que je le rassure après le cours de ce matin en précisant que l’entretien avec sa mère ne changerait pas ma manière d’être avec lui !), elle en est venue au dernier argument : si je ne retire pas le zéro, c’est elle qui retire son fils du collège. « Très bien Madame, vous verrez ça avec le Principal.
« C’était la première manche, et j’étais déjà un peu énervée. Mais le plus amusant fut l’entretien qui a suivi avec le Principal, qu’elle est effectivement allée voir pendant que j’étais en cours. Nouvelle menace de retirer le fils. Conséquence — et c’est là qu’on s’accroche : puisque moi je ne veux pas retirer ma note, c’est lui qui le fera, tout en me disant que je ne serai pas officiellement au courant pour que je ne sois pas vraiment désavouée. Joli tour de force, non ? En bref, pour contenter tout le monde, il retire la note en question (directement sur le logiciel où nous portons nos notes du trimestre) sans que je puisse dire quoi que ce soit, puisque je ne suis pas au courant… Allez savoir pourquoi, je me sens un peu lésée dans l’histoire, et finalement complètement désavouée. Et dégoûtée…
« Et la pire des hontes pour moi, c’est que j’ai pleuré après ! Depuis ma grossesse, dès que je suis en rage, je pleure, c’est fatigant et encore plus exaspérant, donc je pleure encore plus… »
Je voudrais préciser deux ou trois choses.
Un Principal n’a pas le pouvoir d’intervenir sur la notation.
L’idée qu’il serait interdit de mettre zéro est une pure légende. Je vous mets en Note (2) la circulaire signée en 2001 par Jean-Paul de Gaudemar (oui, le même que celui de la réforme du lycée…) qui est très claire sur ce point.
Il est inadmissible qu’on cède à la moindre menace des parents. Sinon, que ne viennent-ils faire cours à notre place ?
Il est évident que tout cela participe de cette opération de dévalorisation des enseignants, lancée il y a déjà une dizaine d’années — dévalorisés dans leurs savoirs, puisque seule la Pédagogie compte, dévalorisés dans leur métier, qui ne ressemble plous beaucoup à une fonction de transmission, dévalorisés dans leurs relations à l’administration, qui se montre frileusement omniprésente, ouvrant des parapluies grands comme des parachutes dès qu’un parent d’élève élève la voix… Dévalorisés enfin face aux gamins — je ne vous dis pas l’effet que produira, dès que tout cela se saura, un tel désaveu du Maître — qui n’est plus maître à bord : son autorité, sa compétence, sont passées entre les mains d’une bande d’hallucinés qui, sous prétexte de mettre l’élève au centre, ont mis les profs au pilori.
Jean-Paul Brighelli
(1) « Madame, je vous réponds en dehors du carnet de correspondance afin de pouvoir expliquer plus clairement ma position par rapport à la rédaction de votre fils. Tout d’abord, je tiens à préciser que, moi non plus, je ne suis pas satisfaite de la note de votre fils. Quant au fait qu’elle soit justifiée ou non, il me semble que le professeur qui a proposé et corrigé le devoir est bien mieux placé que vous pour en juger. Or, même si vous cautionnez les agissements de votre fils, je ne peux en aucun cas modifier mon point de vue. Effectuer des recherches sur Internet n’est absolument pas interdit, bien au contraire: c’est l’occasion de se documenter, de trouver de l’inspiration et des idées. En revanche, recopier des documents trouvés sur Internet, au mot près, en l’occurrence des vers pour ce devoir, a toujours été, est et restera un acte de tricherie. Vous ne pouvez que convenir que lorsqu’un élève recopie mot pour mot le devoir d’un autre élève, il y a tricherie. Certes, Mlle K***, dont votre fils a recopié les vers, n’est pas une élève de l’établissement. Il n’en reste pas moins que ce sont ses vers que votre fils m’a proposés pour deux strophes sur les quatre demandées : si réellement je voulais corriger des vers tirés de poèmes publiés sur Internet, j’irais les chercher moi-même; mais je n’en vois pas l’intérêt pour l’apprentissage de mes élèves. En effet, j’ose demander aux élèves des vers de leur propre composition afin de les sensibiliser à la poésie et de mettre en pratique la versification vue en cours. C’est aussi le moment pour chacun d’écrire un devoir personnel en développant son propre style: en quoi votre fils a-t-il pu développer son propre style quand je retrouve dans quatre autres copies exactement les mêmes vers mot pour mot ? Les devoirs de votre fils doivent donc être de sa propre composition afin que je puisse noter ses performances stylistiques et sa compréhension du cours et des consignes. Quant à la note attribuée, c’est bien entendu une façon de sanctionner cet acte de tricherie, qui ne peut en aucun cas être accepté, mais c’est aussi le seul moyen de rester juste envers l’élève qui sera resté honnête face à l’exercice demandé sans pour autant avoir pu atteindre les exigences du professeur, donc une bonne note…
Je me tiens bien évidemment à votre disposition pour de plus amples explications… »
(2)Voici le texte qui a pourtant mis les choses au clair :
La lettre du ministère de l’Education nationale du 20 février 2001 :
« Il semble qu’une des dispositions de ces textes, par ailleurs assez bien compris, dans l’ensemble, dans leurs intentions que dans leurs modalités de mise en oeuvre, suscite de vives réactions, voire des incompréhensions ou des inquiétudes, notamment de la part de certains enseignants.
« Il s’agit du paragraphe précisant « qu’il n’est pas permis de baisser la note d’un devoir en raison du comportement d’un élève ou d’une absence injustifiée. Les zéros doivent être proscrits. »
« Je souhaiterais lever toute ambiguïté sur le sens de ce paragraphe précis, qui ne vise en rien à réglementer les modes d’évaluation pédagogique ni à amoindrir l’autorité des enseignants.
« Cette disposition, qui établit une distinction claire entre évaluation pédagogique et domaine disciplinaire, ne signifie en aucune manière que les zéros doivent disparaître de l’évaluation du travail scolaire.
« Un devoir non remis sans excuse valable, une copie blanche rendue le jour du contrôle, une copie manifestement entachée de tricherie, ou encore un travail dont les résultats sont objectivement nuls, peuvent justifier qu’on y ait recours.
« L’évaluation du travail scolaire, domaine qui relève de la responsabilité pédagogique propre des enseignants, ne peut être contestée, car elle est fondée sur leur compétence disciplinaire.
« Toutefois, cette évaluation ne doit pas être altérée par des considérations tenant au comportement des élèves. En effet, un comportement en classe, inadapté ou perturbateur, ne peut être sanctionné par une baisse de note ou par un zéro entrant dans la moyenne de l’élève. Relevant du domaine disciplinaire, il doit cependant être sanctionné d’une autre manière, prévue dans la liste des punitions scolaires ou des sanctions disciplinaires.
« Pour ce qui est de l’absence à un contrôle de connaissances, si elle est justifiée, une épreuve de remplacement peut être mise en place ; si elle est injustifiée, elle implique une absence de notation qui aura une incidence sur la moyenne, calculée en fonction du nombre d’épreuves organisées au cours de la période de notation.
En tout état de cause, ce texte ne prévoit en rien de faire bénéficier un élève volontairement absentéiste d’une moyenne supérieure à celle qu’il mérite.
« Ces dispositions, expliquées et comprises, contribueront, j’en suis sûr, à asseoir la crédibilité et l’autorité des enseignants sur des bases claires et équitables, permettant ainsi aux élèves de disposer de repères établis en toute transparence par les adultes. »
Cette lettre est signée par Jean-Paul de Gaudemar (directeur de l’enseignement scolaire) et M. Daubresse (IA, directeur des services départementaux de l’EN)
À tirer et à afficher dans toutes les salles de profs de France et de Navarre !