Nous nous sommes accoutumés depuis des années à l’idée que l’insécurité, tant qu’elle n’est pas quantifiée, relève d’un « sentiment », la possibilité d’une convergence d’expériences collectives contribuant à établir une réalité objective ne traversant pas l’esprit de nos autorités morales. Le nouveau ministre de l’Education Nationale ne pense pas différemment lorsqu’il se propose d’attendre une évaluation scientifique chiffrée des atteintes vestimentaires à la laïcité avant d’admettre éventuellement l’existence d’un problème.
Parallèlement, nous avons récemment assisté à l’un des épisodes les plus hilarants de notre saison politique avec le discours de Mme Markovic sur les « rats qu’[elle] préfère appeler surmulots, terme moins connoté négativement » et contre lesquels elle souhaite la mise en place de méthodes « efficaces et non létales ».
Eh bien, j’ai le plaisir de vous apprendre qu’à la croisée de ces deux paradigmes de pensée, il y a les guêpes. Un récent « billet sciences » de France Info nous met ainsi en garde contre l’impression que nous vivrions une « année à guêpes »… Il s’agit pour la radio de répondre à plusieurs articles de presse titrant sur la précocité et le nombre des nids de guêpes cette année et établissant le lien de causalité entre les changements climatiques et l’ampleur de ce phénomène. Ainsi, nous sommes à peu près tous d’accord pour dire qu’il y a beaucoup de guêpes cette année et notre sentiment collectif paraît accrédité par le témoignage des sociétés spécialisées dans la destruction des nids. Pourtant, affirme France Info, ce n’est qu’une impression :
« C’est en fait surtout une question de perception. Avec ce grand soleil, vous allez profiter de l’extérieur comme pique-niquer au bord de la rivière. Il suffit qu’il y ait un nid de guêpes à proximité, qui n’était pas là l’année d’avant, et vous aurez l’impression qu’il y en a plus que l’année d’avant. »
Notre impression collective, au lieu d’être l’indice d’une réalité, est reléguée au statut d’expérience individuelle fortuite. La guêpe est omniprésente, dans votre chambre, votre cuisine, votre voiture, elle vous empêche de manger tranquillement en terrasse comme en intérieur, vos amis du bord de mer et de la montagne vivent les mêmes désagréments ? Pour France Info, c’est seulement que vous avez eu la malchance, pauvre nigaud solitaire, cas unique et isolé, de pique-niquer cette année en un lieu où vous n’avez pas l’habitude de voir des nids de guêpes. Après le sentiment d’insécurité, le sentiment de guêpes, en somme.
Mais France Info va plus loin et rejoint le ridicule de Mme Markovic. Si le journaliste ne rebaptise pas la guêpe surmoustique, il s’évertue néanmoins à la réhabiliter, comme l’élue qui nous priait de reconnaître dans ses surmulots des « auxiliaires de gestion des déchets ». Ainsi, après avoir concédé que « les guêpes nous perturbent » (ce qui serait vrai de mouches, mais paraît bien euphémistique au regard du danger que peuvent représenter les piqûres de guêpes), le journaliste ajoute :
« Elles sont aussi très importantes. Elles ont un rôle écologique majeur puisque comme les abeilles, ce sont des insectes qui participent à la pollinisation des plantes. Mais les guêpes sont aussi des prédateurs. Elles se nourrissent d’autres insectes. Elles permettent donc de réguler les populations de moustiques ou de mouches.
Les guêpes sont aussi des proies. Les chauve-souris, les fouines et certaines espèces d’oiseaux que l’on surnomme les guêpiers en raffolent. Elles font donc partie intégrante de la chaîne alimentaire. »
C’est gentil de nous offrir une leçon de CM2 sur la chaîne alimentaire mais, avec de pareils arguments, on s’interdit aussi de tuer les rats et d’écraser les moustiques. Cela s’appelle le syndrome Aymeric Caron. De fait, c’est bien un plaidoyer pour la guêpe que l’on nous sert ici puisque la conclusion, amenée sous la forme d’un « conseil », n’est pas veillez à vous débarrasser sans attendre de ces insectes dangereux qui prolifèrent partout, mais :
« Si vous voulez vous débarrasser d’un nid de guêpes, faites-le seulement si c’est vraiment nécessaire. »
A sa décharge, peut-être que le journaliste, qu’on ne doit pas forcément soupçonner d’antispécisme pro-guêpes comme d’autres sont pro-surmulots ou pro-moustiques, est seulement un Parisien si exclusivement habitué aux quartiers pollués de la capitale qu’il ne voit jamais de guêpes. Pour lui, la guêpe est donc juste une fake news.