Le 3 juin, dans l’émission Quotidien de Yann Barthès, Clément Viktorovitch, à qui j’ai naguère consacré un article, consacrait sa chronique au traitement des « événements » (dixit Barthès) survenus au Stade de France lors de la finale de la Ligue des Champions. « Les événements ? Le chaos ! » rectifie Clément Viktorovitch, suscitant les rires du plateau.
Et d’énumérer, comme s’il s’agissait d’incidents distincts, sans lien les uns avec les autres : le report du coup d’envoi, l’usage des gaz lacrymogènes par les forces de l’ordre et les scènes d’agressions à la sortie du stade, précisant aussitôt que c’est sur ce dernier aspect que se sont focalisés les commentaires de « l’extrême droite ».
Viktorovitch ne nie pas la gravité de ce qui s’est passé mais, selon lui, faire des agressions sus-mentionnées « l’événement principal » est « une opinion politique ; elle se défend comme elle se discute ». Ces actes de violence ne constitueraient donc pas objectivement le fait majeur de la soirée ; les regarder comme tels résulterait d’un biais devant susciter notre méfiance.
Ainsi, on le découvrira plus tard dans sa chronique, pour Clément Viktorovitch, c’est l’usage des lacrymogènes qui représente le véritable scandale. En l’occurrence, le biais de ce spécialiste des discours est très clair et son choix d’effacer tout lien logique entre les faits doit être reçu, pour reprendre contre lui ses propres termes, comme « une opinion politique ; elle se défend comme elle se discute ». En effet, ainsi que le révèlent les nombreux témoignages relayés par les médias, les agressions, que Viktorovitch relègue au statut d’événements de fin de match, ont commencé avant même l’entrée des supporters dans le stade (arrachage de billets, bousculades, etc.), provoquant des mouvements de foule et des débordements divers auxquels les forces de l’ordre ont répliqué avec un manque de discernement qui traduit l’angoisse d’une situation mal anticipée et peu maîtrisée.
Ecornant donc au passage un angle idéologique différent du sien, Clément Viktorovitch entend surtout s’attacher aux mots de « l’extrême droite », au premier rang desquels « sauvages ». Bien sûr, « c’est une métaphore », concède le chroniqueur. Le principe même de la métaphore repose sur l’image, sur le détour par une expression figurée. Quelques instants plus tard, après être repassé par les « sauvageons » de Chevènement, Viktorovitch nous ressort pourtant de derrière les fagots l’opposition entre « peuples sauvages » et « peuples civilisés », déduisant de cette généalogie lexicale infâmante que ce qui pose problème, c’est « l’origine » des affreux du State de France. Viktorovitch vient donc de bannir le droit à la métaphore : des gens qui tirent des femmes par les cheveux, qui fondent en bandes sur des groupes d’amis pour les rouer de coups et les détrousser sont des individus parfaitement civilisés. Le terme de « sauvages » est à bannir car il empeste le racisme.
Mais Viktorovitch ne s’en tient pas là et, après le racisme des esprits fascisants, il va fustiger leur mépris social. De fait, le terme de « racailles » ne lui convient pas non plus : discrédité pour être sorti des lèvres putrides de Sarkozy, il désignait au Moyen-Âge « les pauvres » et a fait une apparition chez Jouhandeau dans l’expression « racaille juive prétendument française », ce qui le colore de toute l’opprobre d’une connotation raciste.
Ne nions pas l’évidence : oui, « sauvages » et « racailles » désignent bien, comme le dit Clément Viktorovitch, des « Noirs et des Arabes » et c’est à fort juste titre qu’il note la récupération affective du second terme par ceux qui revendiquent le titre de « kaïra ». Mais précisément, il est faux de prétendre, comme il le fait, que « vilipender les sauvages et les racailles, c’est sous-entendre que les populations d’origine immigrée poseraient intrinsèquement des problèmes de sécurité. » En réalité, « sauvages » et « racailles » permettent de désigner une catégorie particulière de « voyous » dans un contexte idéologique, le nôtre, où l’origine des gens ne doit être mentionnée que dans les contextes valorisants. Ce n’est donc pas un postulat généralisant mais bien une stratégie lexicale de contournement. Or, ce procédé n’est pas étranger au camp de Clément Viktorovitch lui-même. En effet, en tant qu’ils désignent des voyous noirs et arabes, « sauvages » et « racailles » ne sont jamais que l’équivalent péjoratif de… « jeunes ». « Jeunes » : un terme né à gauche, qui euphémise la violence en lui offrant l’excuse de l’âge afin d’effacer le critère de l’origine. « Jeunes » : un mot censé donc dissimuler l’origine ethnique des voyous mais qui, par un retournement inévitable, en est devenu le révélateur. « Jeunes » : un de ces mots relevant à proprement parler de l’encodage idéologique du réel. « Jeunes » : un terme qui ne pose sans doute aucun problème à l’amoureux des mots qu’est Clément Viktorovitch.