Clément Viktorovitch reste pour moi celui qui citait de tête les discours de Cicéron dans la matinale de CNews.
Quelqu’un qui cite Cicéron et qui porte les lunettes de John Lennon ne peut être totalement mauvais. D’ailleurs, une de mes amies me faisait perfidement remarquer l’autre jour que « Clément Viktorovitch, c’est toi, mais de gauche ». Je prends cela pour un compliment. Ce spécialiste de l’analyse des discours politiques, auteur d’une thèse sur les techniques de la parole dans les débats parlementaires redonne une visibilité à la rhétorique, en utilisant les concepts traditionnels de cette discipline et non une resucée à la sauce « sciences de la comm’ « . Produits à un rythme quotidien, ce qui est admirable, ses petits billets d’analyse « Les points sur les i », pour l’émission « Clique » de Canal+, réussissent l’exploit d’être tout à la fois très concis et pédagogiquement clairs.
J’aurai toutefois quelques réserves. D’abord, sur l’image qu’il donne de notre commune discipline de prédilection. Il la convoque uniquement pour analyser des stratégies de manipulation… et je suppose que c’est ce qu’on lui demande de faire. Il donne ainsi du crédit à toutes les théories accusatrices qui, depuis Socrate, réduisent les techniques de la parole à des procédés d’adhésion forcée relevant de la fausse logique ou de l’exacerbation des ressorts émotionnels. On aboutit à l’idée que la rhétorique est l’apanage des méchants. Eux, ils utilisent la rhétorique. Et les autres…non?
Saint Augustin disait qu’il ne fallait pas abandonner l’usage de la rhétorique aux méchants. Je suppose que Clément Viktorovitvch et moi-même ne mettrions pas les mêmes personnes dans cette catégorie; mais donner l’impression que seuls les méchants font usage de la rhétorique, c’est biaiser, chez nos auditeurs, la réception des propos en fonction des orientations idéologiques de celui qui s’exprime. C’est risquer de faire croire aux gens que lorsqu’ils écoutent un « gentil », ils peuvent abdiquer leur esprit critique. Je sais trop bien que c’est un travers qui nous guette tous. Mais je le trouve particulièrement prononcé chez Clément Viktorovitch. Là encore, je pense qu’il satisfait aux exigences ou, à tout le moins, aux attentes implicites de la chaîne. De fait, en tant que « caution de gauche de CNews » pour reprendre le titre d’un article de France Info à lui consacré, il était dans un cadre qui lui permettait de prendre pour objet d’analyse toutes les tendances, tantôt contredisant, tantôt appuyant les jugements de Pascal Praud. Maintenant, on n’attend plus de lui que d’être la caution intello de la pensée que promeut l’émission où il intervient. C’est dommage mais je suppose que c’était difficilement évitable.
Le pire est sans doute que sa posture d’observateur des discours mettant les gens en garde contre les manipulations a fini par lui conférer une autorité morale démesurée. Il s’est forgé l’image d’un homme qui évolue hors des discours, qui n’utilise pas la rhétorique puisqu’il n’en est que l’analyste. Il a donc acquis une crédibilité…qu’il exploite au-delà de ses compétences puisqu’il a maintenant sa propre émission sur « Clique TV », où il ne parle pas de rhétorique. Si Socrate était le « médecin des âmes », Clément Viktorovitch intitule, quant à lui, son émission, « Viens voir les docteurs », allusion à une chanson de Doc Gynéco qui fleure bon le détournement de mineure (drôle choix, quand même, mais je ne sais pas si Clément Viktorovitch a trouvé lui-même le titre de son émission).
Le principe de cette émission mensuelle est le suivant : sur un thème d’actualité (le climat, les Gilets Jaunes), Clément Viktorovitch fait intervenir, « non pas des éditorialistes, non pas des polémistes, non pas des journalsites mais des universitaires ». Comprenez : non pas des gens qui développent des opinions mais des gens qui exposent des vérités; on pourrait se réjouir d’une démarche relevant de la vulgarisation de débat scientifique mais il n’en est rien. L’image que cette émission (après deux épisodes seulement, concédons-le) donne de la recherche universitaire est celle d’un discours homogène et pétri de certitudes ; on est en plein dans le grand mal de notre époque, le règne de l’expert. Et surtout, le concept même de l’émission est une invitation à baisser la garde. Délaissez votre esprit critique, soyez en confiance, de toute façon vous n’y connaissez rien, eux, ils savent. Et puis, je suis Clément Viktorovitch, jamais je ne laisserai personne vous manipuler, faites-moi confiance. Vous pouvez donc gober sans réfléchir tout ce qui vous sera dit dans le cadre de cette émission. Pendant que les autres débattent et abusent de la rhétorique, la science nous dit ceci, donc croyez la science. Avec Clément Viktorovitch, la science (les sciences sociales dans le cas des Gilets Jaunes, les sciences dures pour l’étude du climat) parle d’une seule voix. C’est trompeur : en réalité, les colloques universitaires sont des lieux de débats parfois très tendus. La recherche est un cadre d’affrontements dont l’idéologie est rarement absente. Il est dangereux de faire ainsi idéaliser la science.
En outre, son statut de brillant analyste des stratégies rhétoriques n’empêche pas Clément Viktorovitch de commettre lui-même de petites manipulations (les vidéos sont en fin d’article):
D’abord, la manière dont il aborde les propos d’Eric Zemmour. Il commence, à chaque fois en rappelant quelles sont les idées de Zemmour, par une compilation d’extraits. Ce petit montage rapide n’est pas commenté (« bon…bon…bah oui… ») et pour cause, il n’y a rien à commenter. C’est le regard de l’animateur Mouloud Achour, parfois assorti d’une petite réflexion (« j’ai déjà mal au crâne »), et la mine atterrée de l’invité (chanteur, acteur) qui nous indiquent ce que nous devons en penser : les idées de Zemmour puent. Mais ce n’est pas à Clément Viktorovitch de le dire et d’ailleurs, il ne le dit pas. Malin.
Mais il essaie de décortiquer la rhétorique de Zemmour. Or, dans le cas du discours prononcé à la Convention de la Droite, il fait preuve d’une réelle mauvaise foi en cherchant à démontrer que Zemmour déploie une « rhétorique extrémiste » et, pour ce faire, en trahissant les propos du journaliste, qu’il vient pourtant de donner à entendre. Zemmour dit: « tous nos problèmes sont aggravés, je ne dis pas créés, mais aggravés par l’immigration et tous les problèmes liés à l’immigration sont aggravés par l’islam ». Ici, Zemmour opère un distinguo très clair (« pas créés mais aggravés ») et même lourdement appuyé par la répétition du mot « aggravés » et la mise en évidence d’un choix lexical (« je ne dis pas…mais [je dis] »). Clément Viktorovitch, habituellement si prompt à dégainer ses concepts techniques, ne veut pas entendre cela et reformule ainsi le propos d’Eric Zemmour : « Ce que nous explique Eric Zemmour, c’est que l’immigration en général et l’islam en particulier sont responsables de tous les maux de la société ». C’est faux.
Ensuite, il blâme la tendance de Zemmour à pratiquer la « désubjectivation » (présenter une opinion personnelle comme une vérité objective »), ajoutant que cela pose un « problème démocratique ». Je ne peux m’empêcher de penser ceci : dans un débat, il est évident qu’on exprime une opinion personnelle, ce n’est pas la peine de le préciser et il est bien normal de parler avec aplomb si l’on ne veut pas donner l’impression de développer un avis sans consistance. Quel professeur ne barre pas d’un trait rouge énervé ces formules que certains élèves nous imposent à longueur de dissertations : « mais ce n’est que mon avis et on peut penser autrement ». Et surtout, voilà le plus important : Zemmour se place dans le domaine aléthique (« vous avez raison », « vous avez tort », « c’est vrai », « c’est faux »), alors que ses adversaires l’attaquent toujours avec des postures morales : « vous ne pouvez pas dire ça », « je ne peux pas vous laisser dire ça ». Ce sont eux qui posent un « problème démocratique », selon moi. Ils évoluent dans le domaine de l’idéologie et de la certitude morale, donc de l’opposition bien/mal. Ils autorisent ou interdisent les opinions, attitude que Zemmour n’adopte jamais.
Clément Viktorovitch aime repérer les « arguments ad personam » (qui visent la personne de l’adversaire) et il accuse Zemmour d’en abuser. Mais les exemples qu’il prend pour illustrer ce procédé, dans la bouche de Zemmour, relèvent en réalité de « l’argument ad hominem », qui concerne directement l’attitude l’adversaire en relation avec la question en débat, ce qui est tout à fait honnête et en rien condamnable. L’argument ad personam consiste à réduire l’autre à des caractéristiques de sa personne (sa couleur de peau, son passé, sa famille, son handicap) en espérant le déstabiliser ou détruire sa crédibilité. Ce que Zemmour ne fait jamais.
Enfin, dans le billet qu’il consacre à la rhétorique de Julie Graziani, Clément Viktorovitch met en pratique une technique qu’il serait sans doute le premier à dénoncer dans la bouche d’un autre. Payée pour tenir des propos-chocs dans des émissions de débats excités où tout le monde donne son avis sur tout, Graziani a trop bien rempli sa mission et, la fatigue aidant sans doute, elle a dit une idiotie (c’est aussi la preuve, pour moi, qu’il ne faut jamais participer à ce genre d’émissions fourre-tout parce que, fatalement, on finit par dire n’importe quoi). Subissant moquerie et réprobation, elle va sans doute connaître une mort médiatique temporaire ou définitive, qui sait. Mais c’est l’occasion pour certains de se ruer sur elle en proclamant qu’elle est coutumière du fait en tous contextes. Clément Viktorovitch exhume ainsi une vidéo où elle affirme qu' »il est discriminatoire d’éliminer les trisomiques avant leur naissance », se justifiant en disant qu’il ne viendrait à l’idée de personne « d’avorter un enfant parce qu’il est noir ». Clément Viktorovitch souligne qu’elle assimile les Noirs à des handicapés, la taxant donc de racisme. Or, Julie Graziani avait justement opéré ce rapprochement pour suggérer que la trisomique était aussi insignifiante que la couleur de peau et ne pouvait donc légitimer une élimination par avortement. Ce que fait Clément Viktorovitch porte un nom, cela s’appelle l’analogie renversée.
Et c’est une petite manipulation…
Quand j’entends l’animateur de cette émission et ses invités, quand je vois leur mimiques d’atterrés, je comprends que Viktorovitch pourra déclarer n’importe quoi, il sera approuvé par eux. Ce contexte encourage Viktorovitch à être paresseux dans ses argumentations, ce qu’il est.
Les amateurs d’approximations apprécieront Viktorovitch et ils trouveront, pour se laisser convaincre encore plus facilement, dans son regard naïf, dans son regard d’enfant (il louche un peu), dans son vêtement simple et sobre, dans ses lunettes minimales, épurées, dans ses mines modestes des gages de bonne foi, de sincérité, de transparence et, par un raccourci confortable et paresseux, de vérité.
Un type qui se croit supérieurement intelligent et porte au surplus les lunettes de ce triste sire que fut John Lennon (qui prétendait être lui-même plus célèbre que Jésus Christ) est un gars suspect. Au lieu de se la pèter et de sortir de grandes théories décalées et fumeuses à la TV, Viktorovitch ferait mieux de se pencher sur la pauvreté actuelle de la langue française. Ma nièce, professeur de français, me disait récemment que ses écoliers de 14 ans ne connaissaient pas les mots ‘écarlate’ ou ‘grommeler’. Elle ne leur a cependant pas demandé s’ils comprenaient par contre les mots ‘fellation’ ou ‘clitoris’ (certainement appris grâce aux sites pornos de leurs tablettes). Viktorovitch est le type parfait de ces ‘intellectuels’ bidons, une catégorie spécifiquement française (avec les ‘spécialistes’, les ‘experts’ et les ‘philosophes’ à la BHL ou à la Onfray qui encombrent le paysage audiovisuel de l’Hexagone), des guignols prétentieux éloignés du réel et se consacrant à la seule masturbation (mot connu des ‘ados’!) intellectuelle. Bref un baratineur autosatisfait qui, comme l’a dit Lénine, disparaîtra dans les poubelles de l’histoire (comme ce fut le cas pour Benni (?) Lévy, le dernier secrétaire de Sartre, un autre prétentieux fumiste.