Premières victimes : les journalistes, les vrais.
Il y a quelques jours, je m’entretenais avec Philippe Delaroche à l’occasion d’une interview pré-enregistrée pour l’émission « Décryptage » qu’il dirige sur RND. Il me demandait de commenter l’accueil qu’a reçu mon livre dans les médias. Je lui ai répondu que, à ma grande surprise, La Langue des médias était globalement très bien reçu par la presse, signe, peut-être, que les temps étaient en train de changer. En effet, j’en suis arrivée au point où je peux me payer le luxe de décliner des invitations médiatiques au lieu de bousculer, séance tenante, tout l’emploi du temps familial pour me ruer sur un micro !
Comme Philippe Delaroche me rappelait la tentative de nazification dont j’avais fait l’objet dans l’Obs, il y a quelques mois, je lui répondis, ce qui est vrai, que cet épisode avait formidablement contribué au succès du livre. Le fait est que la journaliste, si vraiment elle avait voulu me nuire, n’aurait jamais écrit un mot au sujet de l’ouvrage. On me rétorque, en général, que c’est plus ma réponse publiée par Causeur, que l’article signé Anne Crignon, qui a stimulé les ventes de l’ouvrage. Peut-être, mais encore fallait-il qu’on m’eût procuré l’occasion de l’écrire. Et pour cela, je demeure très reconnaissante envers cette journaliste.
Que certains médias (notamment les plus fréquemment critiqués dans le livre) persistassent à m’ignorer était parfaitement normal. Mais je n’avais fait l’objet d’aucune censure. Les réponses que j’ai données en interview n’ont jamais été ni déformées, ni manipulées afin de biaiser ma pensée, ni abusivement tronquées, y compris quand mon interlocuteur manifestait une forme de scepticisme, de suspicion, voire de défiance à mon égard. Toutes les occasions d’exposer mon travail qui m’ont été offertes dans la presse ont donné lieu à publication, sans rencontrer d’opposition.
Jusqu’à maintenant.
Au détour d’une journée bien chargée, j’avais accordé un entretien à un grand quotidien. A la suite de quoi, plus de nouvelles. Concentrée sur une série de conférences prévues de longue date, qui m’ont bien occupée ces derniers temps, j’avais presque oublié cet article et quand j’y repensai récemment, je me dis que, sans doute, il avait été publié sans que j’en sois informée, ou qu’un autre sujet, plus important, s’était substitué, au dernier moment, à l’article portant sur mon livre. Pas une seule seconde, je n’ai pensé que l’on avait pu interdire la publication de cet article.
Et voilà quelques jours, je reçois un courriel du journaliste qui m’a interviewée pour ce quotidien.
C’est lui qui emploie le mot « censure ».
Je lui dis ma surprise. Quel sens, quel intérêt y aurait-il à censurer quelqu’un que d’autres grands médias ne censurent pas ? A peu près au moment où j’ai donné cette interview censurée, je disposais d’une pleine page dans Marianne ! Coïncidence non moins cocasse, le jour-même où je reçus son message à la fois triste et courroucé, me parvenait également un courriel signé d’un haut dignitaire maçonnique. Il me disait sa satisfaction suite à la conférence à laquelle j’ai participé il y a quelques semaines, au siège du Grand-Orient de France. Comme je l’ai souligné en introduction de mon exposé ce jour-là, le GOF aurait eu toutes les raisons imaginables de ne pas inviter quelqu’un comme moi (à commencer peut-être par l’article de Mme Crignon !). J’ai pourtant été reçue sans aucune animosité et, oserai-je le mot, avec une courtoisie qui a donné tort à tous ceux qui m’avaient déconseillé de « foncer dans ce piège ». Il est d’ailleurs assez rigolo que l’on puisse tenir le même propos au Grand Orient qu’à la fête de Radio Courtoisie et recevoir la même approbation ! Cela révèle de manière flagrante l’agacement généralisé qu’engendre le discours médiatique. Un peu incrédule, je pose donc au journaliste cette question en forme de boutade : votre journal serait-il plus sectaire que la franc-maçonnerie ?
Il me répond. Face à la réaction de son journal, il se dit « consterné mais pas surpris », même s’il n’aurait « jamais cru qu’on lui ferait un jour ce coup-là ». Il tient à ce que je sache qu’il s’est battu pour obtenir la parution de son article, arguant auprès de sa hiérarchie que ce pourrait être valorisant pour le journal que d’offrir une petite place à un discours critique vis-à-vis des médias. On lui a répondu que cette idée était mal venue en cette période.
Tiens tiens…
Il semble que ce journaliste courageux se soit heurté au « Journaliste ». Vous savez, celui dont je parle dans mon livre. Celui qui a abdiqué toute son éthique professionnelle au profit d’un sens de la « responsabilité » consistant à anticiper en permanence les réactions supposées d’un lectorat stupide et prompt à mal penser, celui qui se dit que, les élections approchant, il serait dangereux de donner une place à ce qu’on appelle communément le « discours anti-médias » (expression qui disqualifie un travail comme le mien en le fourrant dans le même sac que tous les agités qui vitupèrent contre les « journalopes » et les « merdias »).
Alors, je repense à ce jeune journaliste qui était intervenu à la fin d’une de mes présentations orales publiques. Il venait de claquer la porte d’un grand quotidien car, disait-il, « on peut passer la moitié d’une conférence de rédaction à se demander si l’on va sortir telle info, jugée trop susceptible de faire le jeu du Front National ».
Je repense à un épisode survenu alors que mon livre venait de paraître. Un quotidien aussi : contacté par le service de communication de ma maison d’édition à l’occasion d’une séance de dédicaces, le journal promet d’envoyer quelqu’un. Un rendez-vous est fixé. Le journaliste me pose un lapin. Je ne m’étonne ni ne m’offusque ; ce sont peut-être les usages du métier et puis, qui suis-je pour exiger qu’on s’intéresse à moi ? Le même journaliste est contacté par une grande librairie lors d’une autre séance de dédicaces. Il ne viendra jamais. « Je ne comprends pas : en général, il est toujours là, je le connais bien », me dira, gêné, le libraire. A l’époque, j’étais seulement toute stupéfaite que tant de gens viennent me rencontrer et achètent mon livre. C’est aujourd’hui que je repense à cet épisode…
Je repense aussi à ce livre que j’ai dévoré : « Le Monde » tel qu’il est, rédigé par un journaliste, Michel Legris qui, après avoir travaillé durant 26 ans pour ce journal, établit (en 1976 !) un diagnostic alarmant et dégoûté de ce qu’est devenu la conscience professionnelle des journalistes au sein de sa rédaction. Ainsi que j’ai déjà eu l’occasion de le dire, si j’avais lu ce livre plus tôt, je n’aurais probablement pas écrit la Langue des médias. Comme disait mon copain La Bruyère, « tout est dit et l’on vient trop tard ». Si l’on en croit Michel Legris, aux avant-postes de la dégradation des médias en instruments d’une propagande moralisante, simplificatrice et abêtissante, était le Monde, le quotidien de référence.
Et je repense à la fin de mon entretien avec Philippe Delaroche : n’y aura-t-il pas toujours, me demandait-il, une différence entre l’audiovisuel et la presse papier, cette dernière fonctionnant moins dans l’immédiateté ? Je répondis que le temps de la rédaction obligeait nécessairement, tant soit peu, à une réflexion sur le choix des mots, que l’espoir résidait peut-être là.
J’ai péché par généralisation. J’ai oublié de préciser ce que je constate à présent : les quotidiens sont à la presse écrite ce que les chaînes d’information continue sont à l’audiovisuel.
Et je veux saluer ici la vaillance des vrais journalistes, ceux qu’animent la curiosité humaine et le sens de l’écoute, ceux qui savent faire fi des préjugés entretenus par leur sphère professionnelle, ceux qui doivent lutter au sein de leur propre rédaction pour avoir seulement le droit d’exercer correctement leur métier, ceux, enfin, qui subissent une censure pratiquée par leurs propres confrères au nom de principes qui ne devraient pas avoir droit de cité dans le monde de l’information.
tiens, les commentaires ont disparu…..
Bonjour,
Nous avons dû supprimer tous les commentaires suite
à une avalanche récente de spams. Nous sommes désolé pour la gêne occasionnée.
A une autre que vous, Ingrid, je n’aurais pas signalé ce point de grammaire: vitupérer est un verbe transitif. On ne vitupère pas CONTRE les journalopes, on vitupère les journalopes. L’emploi transitif indirect (contre) est une évolution récente mais incorrecte.
Cela fait longtemps que « vitupérer » est considéré par la plupart des dictionnaires comme un verbe transitif indirect, et qu’il est très majoritairement employé ainsi. Vitupérer de la sorte Ingrid Riocreux sent bon la naphtaline… 😉
Un signe des temps que votre livre ne soit pas fortement censuré ou dénigré..? Je ne pense pas.
Il est habituel de laisser un peu de place aux critiques -juste un petit peu- pour donner l’illusion de l’objectivité et de la pluralité des opinions. C’est comme se défendre d’être raciste en exhibant UN ami noir.
Si « La langue des médias » était un parmi d’autres, publiés et loués, alors oui, ce serait un signe des temps, tant par le nombre d’auteurs que par les accueils chaleureux qu’ils recevraient. Mais je ne sache pas qu’il y en ait beaucoup, ne serait-ce qu’un seul autre dans ce cas.
Vous en profitez et c’est tant mieux, mais ne nous berçons pas d’illusions: vous êtes surtout un alibi.
Addendum à mon propre commentaire:
S’il devait y avoir beaucoup de critiques telles que les vôtres sur la presse et le travail journalistique, ne doutons pas que nous assisterions à un tir de barrage de leur part, avec censures consensuelles, analyses orientées, dénigrements des œuvres en même temps que discrédits jetés sur leurs auteurs allant jusqu’à des diffamations, restant impunies comme il se doit.
C’est toujours comme ça lorsque des rentes, des privilèges et des pouvoirs illégitimes sont menacés. Les exemples sont nombreux et quotidiens dans tous les domaines, et le contexte des prochaines élections en offre de nombreuses démonstrations.
Étant seule, ou montrée comme telle pour faire croire que vous êtes une exception, voire une curiosité, vous ne représentez pas un vrai danger, et ils se servent de vous comme d’une antidote.
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La censure est une pratique répandue parmi beaucoup de médias francais, notamment sur leurs sites web où il n’est souvent pas question de contester leur ligne rédactionnelle.
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Les records ont été battus avec la trop fameuse « affaire Fillon » au sujet de laquelle tout commentaire qui n’allait pas dans le sens du lynchage était souvent censuré.
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J’ai quelques exemples sur mon site (« Smile today, tomorrow will be worse », article : « Censure sur le site de France Info : Cinq exemples »). France Info bat en effet tous les records de partialité et n’est plus aujourd’hui qu’un instrument de propagande se cachant derrière le masque de station radio d’ « information ».
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Beaucoup de médias sont dans le même cas, ce qui met en péril notre République.
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JML 92
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Les records ont été battus et resteront longtemps inégalables avec la reconquête d’Alep et les innombrables montages, omissions, mensonges et forgeries qui l’ont accompagnée.
Merci, un grand merci de montrer aux journalistes qui sont d’accord avec vous (et les citoyens qui voient ça tous les jours) qu’on peut dénoncer cela ! Il suffit de faire comme vous. Vous faites votre métier pour transmettre l’information telle que vous la vivez alors si vous voulez laisser une petite trace dans l’histoire, faites juste en sorte de dire ce que vous constatez personnellement …
Vous êtes vraiment quelqu’un de très bien …
Moi, je fais une pub incessante pour votre livre, chère et brillante collègue.
Merci pour cette belle analyse sur la partialité des grands médias. Ce matin donc, j’ai été censurée sur le P…….pour cause, je défendais FF.
J’ai compris qu’il ne pouvait s’agir que du Monde quand j’ai lu « On lui a répondu que cette idée était mal venue en cette période. »
J’eus la même expérience en …1982 ! quand j’avais proposé un article sur la Chine maoïste particulièrement critique envers ce régime. Il fut rejeté au motif susdit, énoncé mot pour mot dans cette phrase : « Ce n’est pas le moment, le public n’est pas mûr pour ce genre de chose ».
Quand il ne veulent pas entendre des faits, ni les répercuter au public, ils soutiennent que « le moment est mal choisi », non sans justification puisqu’ils paraissent tous les jours et que le moment peut venir dans les jours ou les semaines à venir : c’est bien le syndrome « info en continu » des chaînes de propagande politique masquée, qui jugent de la pertinence de rapporter les faits à l’aune de leur subjective appréciation de ce que le public « peut » (mais en fait « doit ») entendre dans le moment. De moment en moment, se construit le faux, s’édifie la montagne idéologique, l’immense crassier d’une info déchet que produit la fabrique d’opinion, qui débite une info filtrée, et donc orientée, 24 h sur 24 et sept jours sur sept.
« …en le fourrant dans le même sac que tous les agités qui vitupèrent contre les «journalopes» et les «merdias»… »
Très juste: les zozos sociaux (à mon tour d’utiliser un terme trop bassement polémique) pallient leur manque total de réflexion par l’invective systématique et un vocabulaire consternant, qui se voudrait ironique.
Je dirais que la grande victoire de Mitterand..et son plus grand chantier durant 14 ans de mise a sac et de destruction de notre Pays, fut le maillage complet des systèmes d »information de la France..Il n’y a qu’a observer le niveau d’asservissement de TOUS les média (excepter Causeur et les sites d’Extrême Droite) tous je dis bien tous sont a la botte. Certe dans le Figaro par exemple il y’ a bien quelques plumes critiques..mais la ligne est là..bien présente;..combien de fois je fut censuré quand mes propos étaient pas dans la ligne (et sans Gros mots non plus) je ne parle pas du Point sois disant objectif (un des plus sectaire et hypocrite).. ne parlons pas de la télévision !! TF1 sois disant chaîne privée.. »tu parle » quelle rigolade..quand aux autres chaines c’est proprement ahurissant !! FR3 est sans aucun doute le bras armé de la rue Solferino..C+ et ses petites sœurs sont en campagne électorale..et pour elles ce sera Macron !! et lui seul..Mon épouse Hollandaise ne comprend pas une telle partialité..elle s’étonne que personne ne se révolte..et bien moi aussi je m’étonne que nous soyons de tels veaux !!
Chère Ingrid,
Si un jour je devais revenir aux études universitaires, vous seriez un professeur que j’adorerais avoir. Si les cours sont à l’avenant de vos écrits, on ne doit pas s’ennuyer beaucoup dans vos classes…
Cher Michel Sand,
L’Europe et notamment la France sont mortes en 1914…
Et vous remontez bien peu dans le temps, Mitterrand n’aura que poursuivi la bataille de ses prédécesseurs. De Gaulle en son temps avait déjà repris l’adage de Thiers voulant qu’un peuple intelligent (Thiers employait « instruit ») soit un peuple ingouvernable…
Vous faites mouche à chaque article. Je ne sais pas quoi ajouter… Bravo et merci !