L’art de la guerre idéologique selon Mediapart

 

Tempête sous un crâne. Depuis deux jours, l’affaire « Morelle » me perturbe. Il se trouve que j’ai de la sympathie pour Aquilino Morelle. Je ne l’ai pourtant jamais rencontré. Mon a priori positif s’explique : Morelle était le directeur de campagne de Montebourg pendant la primaire ; il avait mis un peu de République dans les discours du deloriste Hollande. Noniste en 2005, il était le lien entre Valls, l’homme d’ordre, et Montebourg, l’apôtre de la démondialisation. Tout cela me parle, même si des amis très prolixes me font remarquer que, comme Guaino, il démonétise nos idées en les mettant ses mots au service de François Hollande ou Nicolas Sarkozy. Depuis deux jours, alors que l’affaire a éclaté, des amis de confiance m’ont décrit l’Aquilino Morelle qu’ils ont fréquenté. L’un d’eux m’a parlé de lui comme d’une véritable catastrophe en termes de rapports humains ; l’autre – qui l’avait plutôt apprécié par le passé  -m’a confié sa déception devant un comportement indigne sur cette histoire de laboratoires.

Toujours est-il que le jour où Mediapart a sorti l’affaire, j’ai eu un réflexe : défendre Morelle. Parce que je me méfie instinctivement d’Edwy Plenel et de son journal en ligne. Réflexe conditionné, méfiance instinctive. C’est en m’en rendant compte que je m’inquiète. Pour moi-même, cette fois-ci. Ne suis-je pas en train de devenir l’exact pendant des inconditionnels du célèbre journaliste moustachu qui le soutiennent quoi qu’il fasse, quoi qu’il publie avec les méthodes qui vont avec ? La première fois que j’ai pris le clavier pour dénoncer Mediapart, c’était défendre Laurent Blanc et François Blaquart, alors respectivement sélectionneur national et directeur technique national à la Fédération française de football. Ils avaient été -déjà!- enregistrés à leur insu lors d’une réunion et étaient malhonnêtement désignés comme des racistes. Au passage, notons que le fonctionnaire de la fédé qui avait procédé à cet enregistrement n’a pas été l’objet de la même opprobre que Patrick Buisson. Certes, sélectionneur de l’équipe de France, c’est un poste moins important que Président de la République[1. Quoique… On aura l’occasion de se poser la question pendant la Coupe du monde cet été.] mais peu importe la place qu’occupe celui qu’on piège. C’est déloyal.

De même, quand Mediapart a mis en ligne le message que Jérôme Cahuzac avait laissé par erreur sur la boîte vocale d’un de ses adversaires politiques, j’avais tiqué. On me dira que sans ce point de départ, un ministre du Budget fraudeur fiscal serait peut-être encore en poste. C’est possible. Mais la fin ne devrait pas plus justifier les moyens en matière journalistique que dans la politique[2.  Notons à cet égard l’incohérence des fans de Nicolas Sarkozy qui conspuent Mediapart lorsqu’il s’agit de leur idole mais qui se sont jetés comme une volée de moineaux sur l’affaire Morelle.]. Plenel explique ce deux poids deux mesures dès qu’il en a l’occasion : de Mitterrand à Hollande en passant par Sarkozy, il a sorti des affaires de droite et de gauche. Il prétend qu’on ne pourrait pas le soupçonner de choisir ses cibles. Et mon cul, c’est du poulet ? Comment expliquer la discrétion dont il a fait preuve à propos des affaires touchant Dominique de Villepin ? De toute manière, comme Plenel est intelligent, il s’affranchit du clivage droite-gauche. Il sait bien que les clivages essentiels sont ailleurs depuis bien longtemps. Ce n’est pas parce qu’il s’en affranchit qu’il n’est pas idéologue, c’est même plutôt l’inverse.

Voilà, vous savez pourquoi j’ai ce réflexe conditionné, cette méfiance instinctive. Avouez qu’elle ne repose pas sur du vent. Pourtant, j’ai tort. Parce que le conditionnement et l’instinct ne sont pas les meilleurs garants de l’objectivité. Et aussi parce je réduis abusivement Mediapart à son patron, alors que ce medium compte une rédaction étoffée. Parce que, enfin, les ennemis de nos ennemis ne sont pas forcément des amis. J’ajoute qu’il faut aussi reconnaître le succès entrepreneurial de ce journal en ligne dans une presse en crise. Plenel, c’est surtout un sacré chef d’entreprise qui a parfaitement intégré les codes capitalistes.

Reste qu’il y a quelque chose qui me séparera toujours d’Edwy Plenel. Il considère les partisans de la souveraineté de l’Etat-Nation -dont je suis-  comme des adversaires idéologiques et politiques. Et ces adversaires, comme les autres, il est prêt à tout pour les abattre avec des méthodes peu ragoûtantes. Si un jour, une source m’offrait sur un plateau un document audiovisuel enregistré à l’insu d’Edwy Plenel, qui l’accablerait, qu’en ferais-je ? Je n’hésiterais pas une seconde et je le détruirais. Certains me diraient que je manquerais à mon devoir de journaliste au service de l’information de mes lecteurs. Cela tombe bien, je n’ai pas de carte de presse. D’autres me considéreraient comme un déserteur dans cette guerre idéologique que mène Plenel. Les derniers, enfin, jugeraient, impitoyables : « trop bon, trop con ». Peu importe ! C’est ma différence avec le patron de Mediapart, et je l’assume.

4 commentaires

  1. rassure toi pour DdV si celui ci revient sur le devant de la scène les « affaires » le concernant sortiront elles sont au frigo ……patience

  2. « Je ne suis pas un journaliste de gauche : je n’ai jamais dénoncé personne. »La citation fameuse de Guy Debord s’applique tellement à Plenel qu’elle explique la gêne de D.D. Il existe certainement des journalistes de gauche qui ne dénoncent personne. Ils sont si rares qu’ils se sentent certainement très seuls. Plenel, lui, est très entouré.

  3. Perso, je ne serais pas si intransigeant avec E. Plenel. Je te conseille la lecture de son livre « savoir dire Non ». il est brutal dans ses dénonciations, mais dans une maffia politique généralisée, c’est plutôt sain pour la démocratie, et même , oserais-je , nécessaire. La fin justifie les moyens ? grande question ; mais il ne crée pas les souillures il les porte à la connaissance des citoyens… Mai je peux comprendre tes réticences.

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