Je lisais ce matin l’article de Luc Rosenzweig sur Causeur. Bien que ne partageant pas toutes les options de cet éminent contributeur de mon salon de réflexions préféré, notamment en matière diplomatique, je suis souvent séduit par ses analyses de politique intérieure, lesquelles ne manquent assurément pas de finesse.

Pourtant, ce matin, une phrase a suscité mon incompréhension :« la démonétisation de la fonction de premier ministre excluant, de fait, François Fillon de cette course[…] ». Plus loin, Luc insiste :« Nicolas Sarkozy dispose d’un joker pour éliminer celui d’entre les prétendants qu’il ne souhaite surtout pas voir lui succéder : le nommer en 2012 à Matignon ! ». Je pense exactement le contraire.

Depuis que Nicolas Sarkozy a mis cul par dessus tête la Constitution de la Ve République, il est vrai déjà bien amochée par ses prédécesseurs à coups de cohabitations et de quinquennat, le Premier Ministre n’est plus en première ligne. Démonétisé certes, mais pas davantage que les autres ministres ! Tout se joue à l’Elysée et le Gouvernement n’est que distribution cinéma, comme dirait Eric Zemmour[1. Zemmour dit « casting » mais il m’arrive d’être davantage « vieille France » que lui]. Ainsi le Premier Ministre sous Sarkozy n’est plus un fusible qui prend tous les coups pour le Président et qui arrive grillé aux moments des élections. Il est juste une sorte de numéro 2 dont les Français imaginent qu’il doit quand même bien faire quelque chose et qu’il la fait, de surcroît, dans une discrétion de bon aloi.

Et puisque tout le monde commence déjà à faire des pronostics sur 2017, croyant déjà 2012 jouée, il me faut crier casse-cou. Les élections européennes sont les plus trompeuses des élections, surtout lorsqu’elles suscitent une participation de moins de 40 %. Nicolas Sarkozy a une crise sur les bras, le chômage va encore grimper et il n’est pas impossible que la barre des trois millions de chômeurs, qui pourrait bien être franchie en 2011 voire avant, lui soit fatale. Dès lors, il est probable qu’il ne soit pas en mesure de se représenter ou plutôt que le risque de faire une sortie « à la Giscard » lui fasse horreur. Il s’est d’ailleurs, dès le début de son mandat, ménagé une porte de sortie en répétant un peu partout qu’un mandat lui suffirait peut-être, après tout, et qu’un emploi dans un cabinet d’avocats d’outre-atlantique pourrait l’intéresser. Dans cette hypothèse, qu’il ne faut pas écarter, François Fillon pourrait être le candidat légitime. Plus haut dans les sondages que son Président, moins usé car moins exposé, il pourrait être alors le recours le plus crédible de l’UMP. D’autant qu’après cinq années de style exubérant, le seuil de tolérance bling-bling étant dépassé, les Français pourraient décider de se soigner en retournant vers le sérieux, vers l’austère, vers le « chiant », même.

N’allez pas, pour autant, imaginer que je sois séduit par cette perspective. Fillon, j’ai appris à le connaître. Homme de base du frêle esquif séguiniste duquel je fus simple matelot dans les années 90, j’ai été témoin de sa conversion au néo-libéralisme. Les privatisations, il aimait ça. Bien davantage que lorsqu’il applaudissait les discours sociaux de son Séguin préféré. Plus tard, lorsque le héraut des Vosges prit le RPR, Fillon ne fut pas le dernier à tempérer l’ardeur du patron lorsqu’il s’agissait d’aller au mastic contre Chirac. Et en 1999, alors que le RPF se créait et que lui-même était défait au premier tour de la présidence du RPR, il préféra se rallier à MAM, plutôt que de rejoindre Pasqua, son ancien compagnon de combat anti-Maastricht, et lui donner une majorité gaulliste face à Philippe de Villiers, ce qui aurait certainement donné à ce parti des meilleures chances de pérennisation.

Mais Fillon a sans doute cette idée derrière la tête. C’est pourquoi, après des débuts difficiles[2. Le pauvre, qui avait théorisé l’abaissement du Premier Ministre, mais qui ne pensait pas que cela se vérifierait à ce point !], il semble revigoré et il croit à sa belle étoile. Il a bien vu quels avantages il pourrait tirer de cette situation. S’il était débarqué, comme la rumeur le raconte, au printemps prochain pour être remplacé par Brice Hortefeux, il aurait tout le temps de se préparer et d’exercer… son droit d’inventaire.

12 commentaires

  1. David, évitons le terme « démonétisé », dont la signification demeure obscure mais qui me donne des hauts le coeur à chaque fois, tant ce néologisme hideux me rappelle les choix lexicaux nauséabonds de la clique des éditorialistes-économistes anti-français du Monde, MM. Delhommais et Lemaitre.

    Quant à F. Fillon, je ne sais s’il a déjà cru en ses idées — je ne pensais pas que le non à Maastricht, chez un prétendu gaulliste, put être autre chose qu’un vote de conviction. Il y avait de la noblesse dans ce geste. Si on ne peut même pas lui accorder de l’avoir fait en le souhaitant vraiment, il ne mérite pas beaucoup de considération.

  2. @Géry

    Effectivement, ce terme n’est pas élégant mais, comme tu l’as remarqué, je l’ai repris du texte de Luc Rosenzweig auquel je répondais, en quelque sorte.
    Démonétiser, pour un être humain, ce n’est pas terrible, je le conçois.
    Mais on parle d’hommes politiques pas d’êtres humains, non ?
    😉

  3. belle analyse ! plus on y pense, plus le quinquennat prend l’allure d’une véritable révolution constitutionnelle. et pourtant, le taux d’abstention était de 70% si je ne m’abuse…

  4. @Gil

    Effectivement, ça l’était. J’avais fait campagne pour le « NON » et je me souviens que nous étions raillés et ringardisés à souhait encore davantage que pour les traités européens.
    De plus, on sortait d’une cohabitation de 5 ans, et les partisans du OUI ont eu beau jeu de rappeler que c’était un antidote assez efficace à un renouvellement de l’expérience.
    Du coup, les Français ont considéré la chose jouée et ils ne se sont pas rendus aux urnes.

  5. de toute façons les carottes sont cuite pour sarko?
    les français n »on pas la mémoire courte
    les chomeurs c »est sûrement plus de 3,5 millions,et c »est pas finie,
    nous avons encore,rien vue,
    taxes carbone,la?? on ne va pas rire,
    libéralisations du fret?? on ne va pas rire
    les retraites,?? on ne pas rire du tout
    la dette intérieur,extérieurs,la sècu,ect ect
    droit dans le mur,c »est sur
    a tout moment le couvercle peut sauter,et la chienlit s »installer,
    2012 c »est pas pour lui,
    qui que se soit,c »est de l »ordre dans les finances de la france qui doit être la priorité,
    ou un consensus nationale

  6. Il est pour moi, Fillon, effectivement un symbole bien triste. Celui des politiques qui choisissent la gamelle plutôt que l’aventure. Quand je pense, comme tu le rappelles, qu’on le voyait au début des 90’s comme un gaulliste « de gauche », un de ceux qui auraient pu faire vivre notre vieux rêve d’un néo-CNR.
    Allez, j’ai plus de respect pour des adversaires comme Madelin ou De Villiers qui ont toujours préféré leurs idées aux postes.
    C’est moins spectaculaire, mais dans le reniement, Fillon, c’est Besson en pire.

  7. Oui, mais imaginons que Sarkozy remette en avant ou redonne tout son crédit à son premier ministre,pour mieux se cacher derrière et le voir se consumer à petit feu avant 2012.
    Qui retrouverait toutes ses chances en 2012?

  8. Très bon article comme d’hab’ dès qu’il s’agit d’analyse politiques. Moi je l’aime bien Fillon, il me rappelle un peu balladur (serait-ce lui le vrai fils politique du Smyrniote ?). Et puis ma mère est folle de lui, c’est dire. Je pense qu’il incarne à l’excès le profil rassembleur de toutes les droites, évitant de se facher avec tout le monde, gardant des liens dans tout les courants (très pote avec Villiers dans les futur-ex pays-de-loire), au risque de passer pour un opportunisme, ce qui comparé à Sarko, passerait complètement inaperçu.Il est plutot libéral mais pas trop, gentiment catho, cultivant son image de campagnard par son implantation dans la Sarthe. Après tout balladur avait connu des sommets de popularité rien que sur cette image. En tout cas la « démonétisation » de la fonction de 1er ministre l’arrange bien. Pas question de se griller comme Juppé ou raffarin. Pour finir je dirais qu’il existe un clone de fillon à gauche : françois hollande.

  9. Je trouve l’expression démonétisée très bonne.

    Après tout, pour faire un bon casting (selon Zemmour), il faut des acteurs « bankable ».
    (traduction pour DD, pour faire une bonne distribution de film, il faut des acteurs dont la réputation rapportera des espèces sonnantes et trébuchantes aux producteurs).

    Quand un acteur fait un flop dans le film en question, il se démonétise. CQFD.

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