Lettre ouverte à Manuel Valls
Malgré nos désaccords, on ne peut pas dire que j’aie été désobligeant envers vous ces derniers mois. Au contraire. Entre les deux tours de la dernière élection présidentielle, j’expliquais toutes les raisons qui devaient conduire le futur Président de la République à vous nommer à Matignon. Cet automne, je récidivais en analysant les ressorts de votre insolente popularité avant de reprocher à François Hollande de ne pas vous avoir soutenu plus clairement dans la malheureuse affaire Léonarda.
Quelle mouche vous a donc piqué, Monsieur le ministre, pour vous saisir soudainement du personnage de Dieudonné M’Bala M’Bala, en faire une affaire personnelle, en prenant les Français à témoins, au risque, ainsi que l’expliquait excellemment mon camarade Jérôme Leroy, de vous en faire le meilleur attaché de presse ? Certains expliquent que cette stratégie avait pour but de créer un écran de fumée destiné à passer sous silence le fait que le « pacte de responsabilité » annoncé par le Président lors de ces vœux n’était qu’une resucée du « pacte de confiance » proposé par les plus hautes instances du MEDEF, ce qui n’est tout de même pas glorieux pour l’auteur du discours du Bourget. Je n’en crois rien. Certes, François Hollande a pu faire ce calcul, et profiter ainsi dudit écran de fumée. Mais vous menez vous-même une stratégie personnelle. Vous êtes bien trop ambitieux pour vous sacrifier pour un autre, fût-il président de la République. Et déjà à La Rochelle, l’été dernier, vous aviez déjà annoncé la couleur en ciblant Dieudonné ainsi que son comparse Alain Soral.
Personne ne nie que l’ancien compère d’Elie Semoun tienne des propos intolérables et avait déjà acquis, avant que vous ne sonniez le tocsin pendant la trêve des confiseurs, une audience très importante, remplissant des Zéniths à travers la France et publiant sur le net des vidéos vues par deux millions de personnes. Personne ne nie que le justiciable M’Bala M’Bala ait déjà été condamné plusieurs fois et qu’il continue malgré tout à répéter les propos qui ont valu ces sanctions pénales. Mais pourquoi donc avoir voulu, à tout prix, obtenir l’interdiction a priori de ses spectacles ? Franchement, ne me dites pas que c’est le journal Le Monde et le reportage de Complément d’enquête qui vous a appris que Dieudonné parlait en ces termes de Patrick Cohen ? Vous, l’homme le mieux informé de France ? Vous n’avez pas découvert non plus la semaine dernière que le condamné Dieudonné ne payait pas ses amendes, comme le premier sénateur écologiste venu[1. On remarquera, à l’occasion, que faire passer Dieudonné pour un martyr laisse rêveur. A moins que nous essayons tous de ne pas payer, y compris votre serviteur, nos amendes, notamment pour des infractions routières. Qu’est ce qui nous en empêche, à la lumière de cette affaire ? La trouille, peut-être ? Cela doit être ça…] ? Dépêcher des agents assermentés au Théâtre de la Main d’Or, à Nantes ou à Tours, pour constater que ces infractions étaient répétées, c’était impossible ? Ecrire à votre collègue de la Justice – si possible, en faisant fuiter le courrier dans la presse[2. J’ai cru comprendre que votre cabinet savait faire…] – pour vous étonner du manque de rigueur dans l’exécution des décisions de justice et de l’insolvabilité organisée de M’Bala M’Bala, ce n’était pas non plus dans vos cordes ? Bien sûr que si !
Mais vous avez préféré hystériser la séquence, comme l’un de vos modèles, qui occupa pendant cinq ans le palais que vous guignez aujourd’hui. Vous avez, en exigeant et en obtenant finalement l’interdiction d’un spectacle a priori, ouvert une boîte de Pandore. Désormais, au nom de la « dignité humaine », les demandes de ce type vont affluer et on pourra comparer la manière et la vitesse avec laquelle la justice administrative sera rendue pour les uns et les autres. Avez-vous mesuré, monsieur le ministre, les dégâts causés par la convocation en urgence du Conseil d’Etat pour casser la décision du tribunal administratif de Nantes ? Jamais un appel, fût-il de jugement en référé, n’avait jamais été jugé aussi rapidement. Le sentiment du « deux poids, deux mesures », de justice d’exception, a été renforcé dans l’opinion et vous en portez, pour le coup, l’entière et écrasante responsabilité. Comme l’expliquait Jean-François Kahn, soit les autres demandeurs de futures interdictions – d’humoristes, de polémistes, ou d’autres encore – seront déboutés, renforçant encore la théorie du complot, soit cette jurisprudence s’appliquera et on verra tous les malheurs apportés par Pandore ! On pourrait finir, par exemple, par interdire aux hommes politiques exigeant de voir sur la place du marché de leur ville davantage de « whites et de blancos » de se produire en meeting, ce qui serait, convenons-en, à la fois injuste et dommageable.
Mais vos initiatives ne portent pas seulement atteinte à la sérénité du débat politique français. Elles vous porte aussi personnellement préjudice, Manuel Valls. On croit deviner votre stratégie. Cette manière de vous focaliser sur les thèmes de la dignité humaine, de la lutte contre les discours de haine, c’est une manière de prendre date face à votre future adversaire. Votre combat avec Marine Le Pen, dont l’apothéose se jouera peut-être en 2022 ou même plus tôt -qui sait ?- a déjà débuté. Seulement, votre adversaire a déjà réagi, tout en nuances, reconnaissant être « choquée et « heurtée par les propos de Dieudonné, se démarquant ainsi habilement de son diable de père. Et elle s’est payé le luxe de se reconnaître en accord avec la Ligue des Droits de l’Homme sur la question des interdictions a priori. Voyez-vous, Manuel Valls, vous n’êtes pas le seul à savoir « trianguler ». Et si la Cour européenne des droits de l’Homme finit par donner raison au citoyen M’Bala M’Bala, en censurant le Conseil d’Etat[3. Ou si le Conseil d’Etat revient lui-même sur sa décision, mais sur le fond, cette fois, et pas en référé.], vous vous retrouverez gros-jean comme devant. Le boomerang sera terrible. Vous qui êtes si sensible aux études d’opinion, avez-vous remarqué quelles sont les libertés auxquelles les Français sont les plus attachés ? La première, vous l’avez intégré : c’est la sécurité. Mais la seconde, c’est la liberté d’expression. Si, à l’avenir, votre nom est associé à une limitation de cette dernière, vous en paierez personnellement le prix électoral. Au passage, vous m’avez poussé exceptionnellement dans le camp d’Edwy Plenel, ce qui me rendra très rancunier !
Cher Manuel Valls, vous hésitiez depuis dix-huit mois entre la posture de Jean-Pierre Chevènement et celle de Nicolas Sarkozy. Vous avez choisi la seconde, préférant l’agitation hystérique à l’intransigeance républicaine et pondérée. C’est une erreur pour vos propres intérêts et, pis, c’est une faute pour la France.
Et dans le même temps, lui si sourcilleux des sondages positifs peut s’interroger, ce matin, sur la validité de sa stratégie au vu de la dégringolade sondagière que l’on observe depuis hier. Pour rester dans la culture lyonnaise, les Français préféreront toujours Guignol ( même très mal embouché ) au gendarme … Guignol tient un bâton, pas un boomerang !
De toute façon Valls ne peut pas avoir une attitude chevènementiste : c’est un européiste fanatique comme tous les zozos du PS. Il ne lui reste donc que l’hystérie sarkomaniaque.