De l’art de choisir sa casquette

 

Vendredi, en fin d’après-midi, Dominique Reynié était l’un des invités de l’émission C dans l’air, diffusée chaque jour sur France 5. Jusque-là, rien d’anormal. Le politologue, qui est aussi directeur de la Fondapol – think tank proche du parti « Les Républicains » – est une personnalité récurrente de l’émission. Le problème, c’est que depuis quelques semaines, Dominique Reynié n’est plus simplement un expert engagé, comme de nombreux autres chroniqueurs de C dans l’air. Il est aussi tête de liste LR-UDI aux élections régionales dans la super-région Midi-Pyrenées-Languedoc-Roussillon. Alors, bien entendu, la présentatrice Caroline Roux n’a pas omis d’apporter cette précision aux téléspectateurs en début d’émission. Grâce à ce procédé liminaire, on saurait ainsi d’où parle Reynié et l’affaire serait entendue. Pas si simple.

On se trouve en effet devant un double problème. Primo, la campagne électorale a commencé – Reynié anime déjà des réunions – et une distorsion de temps de parole lèse d’ores et déjà ses adversaires à cette élection. Mme Carole Delga, MM. Aliot ou Lempereur, pour ne citer que ceux que je connais, pourraient légitimement demander à la chaîne d’être invités à leur tour. Après tout, l’émission de vendredi ne portait pas sur la meilleure façon de confectionner la tarte aux fraises, mais sur un dossier extrêmement politique, le dossier grec, où Reynié a pu donner ses avis éclairés et engagés. Pourquoi les autres candidats ne pourraient-ils pas donner aussi leur opinion sur le duel Tspiras-Merkel ? Au nom de quel favoritisme ? Après tout, Delga et Aliot sont aussi professeurs de droit public et pourraient intervenir de la même manière dans cette émission en qualité d’experts.

Secundo, qu’il le veuille ou non, Dominique Reynié, grâce à sa candidature pour l’un des trois plus gros partis de France dans un scrutin important, est devenu un homme politique de premier plan. Sa place est donc dans les émissions politiques, pour débattre avec d’autres personnalités politiques, ou être interrogé par des journalistes. Or, à C dans l’air, il est connu des téléspectateurs pour intervenir en tant que professeur de sciences politiques. Il n’est pas sain qu’on puisse ainsi cumuler les fonctions d’expert et d’homme politique de premier plan, candidat à une présidence de région. On est soit l’un, soit l’autre. Imagine-t-on par exemple le spécialiste de l’économie de France 2, François Lenglet, se présenter aux élections législatives et poursuivre ses éditoriaux économiques au journal de vingt heures ? Imagine-t-on Manuel Valls, ou un autre ministre, invité à chroniquer un sujet politique dans C dans l’air ? Poser la question, c’est y répondre.

Il n’est bien entendu pas question d’en appeler au CSA, qui a déjà une grosse tendance à en faire plus qu’on lui demande en termes de « police médiatique ». On en appellera plutôt au bon sens de Dominique Reynié lui-même, qui a notamment fait preuve par le passé – nous nous en souvenons forcément – d’un véritable amour du pluralisme en défendant l’utilité de Causeur dans le débat démocratique. Son compte Twitter, annonçant alternativement ses réunions électorales et ses participations à des émissions en tant qu’expert, démontre qu’il assume contre toute raison ce mélange des genres. Il est temps d’arrêter les frais. En cumulant la casquette de politologue et celle de personnalité politique, il fausse la compétition loyale avec ses adversaires candidats à la Région. Il sème la confusion dans la tête du téléspectateur qui peut se demander, à bon droit, comment les fameux experts sont choisis dans ce genre d’émission. Et il se met lui-même dans une position très délicate.

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