Communication, piège à cons

 

Avertissement : Certains lecteurs de Causeur ont sans doute entendu la semaine dernière des journalistes évoquer la figure de Rocky, incarné à l’écran par Sylvester Stallone, dans le cadre de la stratégie de reconquête de Nicolas Sarkozy. Ils ont pu entendre l’ex-président lui-même réagir au fait qu’il était comparé au célèbre boxeur du ciné américain. C’est en assistant à cette séquence plutôt amusante que nous avons eu l’idée de cette fiction. Bien entendu, nous précisons que toute ressemblance, etc.

La scène se passe dans la salle de réunion d’une boîte de communication parisienne, en début de semaine dernière. Un homme prend la parole, l’air grave : « Je vous ai réunis parce que notre client nous presse. Rue de Vaugirard, ils sont complètement affolés. Juppé a réussi sa rentrée. Sa séquence a été parfaite et les sondages le démontrent. Notre client, quant à lui, s’enfonce. Il n’a jamais été aussi bas dans les enquêtes. Il veut rebondir. Et vite. ». Un tour de table débute. L’un des participants regrette : « Il n’a pas de stratégie. Qu’il arrête de mettre la charrue avant les bœufs. Quand il aura une stratégie, on adaptera la com’. »

–         Le client, il paye. Cher ! Donc, il veut une idée. On la trouve.

Le tour de table continue. Un autre participant, l’œil pétillant, lève le doigt.

–         J’aurais bien une idée, moi.

–         Annoncez !

–         Rocky !

–         Quoi ? Rocky ?

–         Oui, l’idée, c’est Rocky. Mais pas n’importe quel Rocky. Le III, celui avec Mister T !

–         Intéressant. Poursuivez.

–         Il faut faire du retard dans les sondages et de la symbolique de l’homme à terre, des forces. Comme Rocky Balboa dans cet épisode. L’homme est à terre, il est seul et abandonné des siens. Plus personne ne croit en lui, y compris son fidèle entraîneur. Et il se relève, en tant que challenger. L’idée, c’est le challenger que tout le monde prend pour un ringard, et qui se relève, à la surprise générale. Ainsi, on fait également le lien avec Chirac en 95, qui était lui aussi seul et abandonné des siens. Le client a déjà décidé d’emprunter la même méthode de campagne, labourant la France profonde.

–         Vous voulez dire que Rocky III, l’œil du Tigre, ce serait le nouveau signe de ralliement, comme le « Mangez des pommes » de Chirac ?

–         Très exactement !

Un silence pesant règne sur la pièce. Tout à coup, un autre participant ose : « Et Juppé, alors, c’est Mister T ? » Un rire communicatif se propage alors. Tout le monde imagine Juppé s’adressant à Carla Bruni en ces termes virils : « Puisque ton mec est dégonflé, pourquoi t’essaies pas un vrai mec ? Je parie que tu dors pas la nuit, que tu rêves à un mec, un vrai. Alors écoute-moi : ramène ta belle petite gueule à mon appartement ce soir. Tu verras ce que c’est, un vrai mec ! »

–         En effet, tout le monde va se moquer de nous ! Ce n’est pas crédible.

–         Ils veulent une idée. Vous avez mieux ? De toute manière, quoi qu’on fasse, il y aura des moqueries. Je vois déjà Nicolas Domenach faire un montage avec Rocky qui fend la foule à Philadelphie, avec la tête de Sarkozy. Même Causeur va se foutre de nous (NDLA : Ces gens-là prévoient tout) mais ce n’est pas grave. L’important est de tenter de transformer la faiblesse du client en force. Et puis la musique est entraînante. On pourrait en faire l’hymne de la campagne !

–         C’est aussi le générique des « Grosses têtes » !

Nouveau rire général. Celui qui a l’air d’être le chef finit pas essuyer ses larmes et interroge le promoteur de l’idée.

–         Bon, on va essayer ça quand même. Comment imaginez-vous la mise en place ?

–         Il faut déjà trouver un « élu de terrain », désigné comme tel, qui accepte de reprendre l’idée à son compte, qu’il explique qu’il a eu un flash en re-visionnant le film pendant les fêtes. Et qu’il en informe quelques journalistes qui en feront des « confidentiels », dès mercredi.

–         Et ensuite ?

–         Vendredi matin, c’est-à-dire le matin du déplacement du client dans l’Eure-et-Loir, il faut en remettre une couche. Qu’on en parle dans les matinales de radio et sur les chaînes d’info continue. Enfin, le soir, lors du déplacement, veiller à ce qu’un journaliste lui pose la question sur la comparaison avec Rocky III. Et que le client réponde qu’il aime beaucoup le personnage de Rocky.

Le chef conclut :

–         Bon, nous sommes bien d’accord. C’est une idée complètement con. Mais ils sont capables de l’aimer. Donc, on va la proposer.

 

Une semaine plus tard. Même lieu. Même participants.

 

Le chef, regard fixé sur le créatif de la semaine précédente : « Comme prévu, c’est un flop. Ils ne sont pas contents, rue de Vaugirard. Ils demandent de redresser le tir. »

–         Ça aurait pu fonctionner ! C’est le client qui a tout gâché ! Comme d’habitude, il a fallu qu’il en fasse trop !

–         Comment ça ?

–         Oui. Quand on l’a interrogé, il a répondu : « Dans ce film, Rocky gagne… et il est aimé. » Personne ne lui demandait d’ajouter ça. Il acte le fait qu’il n’est pas aimé. Et qu’il est en recherche d’affection.

–         On doit prendre le client comme il est. Vous avez une autre idée ?

–         Il faut refaire de cette faiblesse, une force !

–         Comment comptez-vous faire ?

–         On demande à Patrick Sébastien de l’inviter dans « Les années bonheur » !

–         …

–         On le grime en Claude François et il chante « Le mal-aimé ».

Rire général.

Le chef reprend son souffle : « Cette fois-ci, on ne propose pas l’idée. Ils sont capables d’accepter ! »

 

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