Hier soir, face à Laurence Ferrari, Florian Philippot a utilisé l’imparfait quant à sa participation au FN.
Certes, il n’a pas l’intention de prendre l’initiative de ce départ, précisant qu’il « faudra [le] démettre ». Mais quand on l’écoutait parler au passé de son militantisme pour le Front et évoquer le constat « terrifiant » de changement de ligne, on comprenait qu’il avait intégré la rupture. Dès juin, en fait, Florian Philippot était dans le viseur. Nous étions allés voir Sophie Montel, toute fraîchement débarquée de sa présidence de groupe au Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté et nous avions compris – et écrit – que c’était bien le stratège qui était visé à travers son plus proche lieutenant. Pour avoir commis ce papier, nous avons d’abord été accusés d’être manipulés par Montel, puis plus récemment de l’avoir manipulée, participant à un plan machiavélique aboutissant à la crise du FN. On ne rit pas.
Accord perdu
Il y a quelques jours, notre camarade Daoud Boughezala annonçait sur Causeur.fr que la deuxième phase de la purge était dans les tuyaux, c’était le tour de Philippot. Nicolas Bay est venu installer le successeur de Montel à Dijon et d’autres proches du duo social-souverainiste ont été destitués de leur poste de secrétaire départemental : Robert Sennerich, conjoint de Sophie Montel, dans le Doubs, et Lilian Noirot en Saône et Loire. Surtout, Marine Le Pen elle-même est montée au front, entamant un dialogue avec Florian Philippot par médias audiovisuels interposés. Il devait choisir entre son poste de vice-président du FN et la présidence de son association « Les Patriotes » ; il devait se soumettre ou se démettre. A chaque fois, l’ex-stratège du FN a répondu qu’il ne ferait pas lui-même ce choix, arguant que cette demande était illégitime. Hier soir, il a semblé indiquer qu’il prenait acte du projet de Marine Le Pen de le démettre de ses fonctions exécutives dans le parti. Plus tard, dans la soirée, Marine Le Pen retirait sa délégation à la communication et à la stratégie à Florian Philippot, qui demeure vice-président, mais à rien du tout. Encore une minute monsieur le bourreau !
Ils se sont tant aimés, ces deux-là. Marine Le Pen, avant même de prendre les commandes du FN, souhaitait en faire un parti souverainiste, affranchi du clivage droite-gauche. Ses idées, elle les avait couchées sur le papier dans un livre paru en 2006 A contreflots. Bien avant qu’elle ne connaisse l’existence de Florian Philippot. Tous ceux qui ont expliqué depuis des années que Marine Le Pen était sous influence – voire gouroutisée – par le jeune énarque confondaient cause et conséquence. Marine n’est pas devenue souverainiste à cause de Florian ; Marine a engagé Florian parce qu’elle se pensait souverainiste. Elle avait besoin de lui à double titre : d’abord pour l’aider à concevoir le logiciel politique qui correspondait à ses idées ; ensuite pour symboliser le visage de la dédiabolisation, en être sa vitrine avenante. Ils se sont donc tant aimés, au point qu’elle lui pardonnait tout et qu’elle n’a jamais su vraiment fixer de limites au pouvoir que Philippot prenait, par sa boulimie de travail surtout, mais aussi parfois par une intolérance aux autres tendances du FN.
Y a-t-il un chef au Front national?
Ainsi Marine Le Pen a-t-elle laissé s’installer ce qu’elle a nommé plus tard « les chicayas » entre deux fortes personnalités qui auraient pu s’additionner si elle avait été un chef, un vrai. Au lieu de cela, elle a fini par dégoûter sa nièce, partie se faire voir dans le secteur privé. Personne ne pourra dire que c’est Marion qui a tué Philippot. Au lieu de cela, Marine Le Pen s’est donc résolue à lâcher celui qu’elle aimait tant, mais plus grave encore, celui avec lequel elle était d’accord sur tout. Car ce qui est le plus incompréhensible dans ce divorce, c’est que Marine Le Pen continue de professer le ni-droite ni-gauche et de fustiger cette « chimère d’union des droites » sur les ondes. Et pourtant, elle élimine celui qui a travaillé avec elle depuis 2009 sur la première stratégie pour donner raison à ceux qui défendent la seconde. Allez comprendre ! Mais peut-être que tout cela ne répond à aucune logique. Que c’est tout simplement le fruit de la fragilité humaine.
Marine Le Pen, sous ses abords de guerrière sans foi ni loi, ne serait-elle pas plus fragile qu’elle n’en a l’air ? On a souvent constaté qu’elle n’était pas capable de réunir Marion Maréchal et Florian Philippot dans une même pièce, taper du poing sur la table et leur intimer l’ordre de se parler, organiser avec eux leur complémentarité. On l’a observé plus récemment laisser couper la tête de Sophie Montel à distance de trois-cent-cinquante kilomètres, pour des motifs d’une futilité ridicule, confondant autoritarisme et autorité. Et on la voit aujourd’hui, brinquebalée entre son secrétaire général Nicolas Bay et Louis Aliot – dont notre consoeur Pauline de Saint-Rémy nous disait hier matin sur RTL qu’il suscitait pourtant chez elle de la sidération quand il évoque le FN en « droite populaire ». Certains pourraient rétorquer que le départ de Marion Maréchal et de Florian Philippot laissent la place nette à la présidente du FN, et que ce n’est après tout pas une mauvaise affaire. Plus de « chicayas », et pas de concurrence politique.
Ce calcul serait pourtant loin d’être payant. D’abord parce que son parti s’appauvrit intellectuellement et politiquement ; ensuite parce que des bisbilles pourraient bien apparaître prochainement entre Bay et Aliot et qu’on n’est pas certain qu’elles soient mieux gérées ; enfin parce que cela démontre à ciel ouvert que Marine Le Pen n’a rien d’un chef, ce qui est gênant quand on prétend à la magistrature suprême.
Marine Le Pen souffre encore de l’image qu’elle a donnée lors du face-à-face du second tour de l’élection présidentielle. Elle était apparue comme agressive et incompétente. Mais au moins lui restait-il l’image d’un chef de guerre déterminé. Ceux qui contemplent le spectacle donné par le FN ces jours-ci apprennent que cette image-là aussi s’avère très surfaite.