Réponse à l’article de François Martin


Le texte de François Martin sur Pinot et ses intertitres (notamment « Pinot, l’Elu de la Macronie », qui est de la rédaction) ont fait sursauter David Desgouilles. Dans la tradition causeurienne de dispute civilisée, il répond. Prétendre que le système politico-médiatique ait fait du coureur du Tour de France son emblème est méprisant pour le sportif.


Autant le dire tout de suite, j’ai davantage apprécié le compte-rendu du Tour de France de Jacques Déniel que l’article de François Martin sur Thibaut Pinot.

Refaire l’histoire, ça peut être un exercice intéressant. Quand on est l’auteur soi-même d’une uchronie avec DSK candidat en 2012, on ne saurait reprocher à quiconque de se livrer à ce genre de fiction. Mais à une condition essentielle, toutefois. Ne pas finir par y croire soi-même. Ne jamais perdre de vue que ce n’est qu’un jeu.

Politique fiction

Car c’est bien à un tel exercice que se livre François Martin. Voilà donc Thibaut Pinot dépeint en Elu de la Macronie, et qui, par la grâce de France 2, des ministres, et même du président de la République en personne, aurait été investi d’une mission suprême : redorer le blason présidentiel et offrir à Emmanuel Macron des vacances tranquilles. Et voilà que Julian Alaphilippe, qui serait le représentant d’une autre France, aurait fait échouer le plan grâce au vent d’Albi et la fameuse « bordure ». Au terme de la démonstration, Thibaut Pinot serait bien le représentant de la « loose » française, et cette histoire apparaîtrait comme une jolie parabole, mêlant Vladimir Poutine et Bachar El-Assad. Le romancier que je suis ne peut que saluer l’effort d’imagination !

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Pour les besoins de son histoire, François Martin a omis deux faits sportifs loin d’être négligeables. D’abord, après avoir survolé les Pyrénées, Thibaut Pinot avait effectivement repris la minute et les quarante secondes perdues sur l’équipe Inéos dans la bordure d’Albi. Les compteurs étaient ainsi remis à zéro. Ensuite, et ce n’est pas le moindre des oublis, l’enfant de Mélisey n’a pas abandonné par lâcheté, par paresse ou par hasard. Il a abandonné parce qu’il est impossible de pédaler avec une déchirure musculaire, sans doute consécutive au fait que, pour éviter une chute, Pinot a effectué une manœuvre entraînant un contact violent entre son genou et le guidon de son vélo. Car le sport, c’est ainsi. Il y a des impondérables. Geraint Thomas était lui-même moins fort que l’an dernier parce qu’il a été victime d’une chute dans le Tour de Suisse. Dans le passé, Laurent Fignon a perdu en 1989 parce qu’un furoncle mal placé l’a empêché de rouler à son aise lors de la dernière étape sur les Champs. Bernard Hinault a abandonné à Pau en 1980 à cause d’un genou souffrant. La liste est longue.

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Souvenons-nous du Mondial…

Si des stratèges ont effectivement tenté d’élaborer ce plan machiavélique, ils se seraient montrés fort présomptueux. Revenons d’ailleurs un an en arrière. Emmanuel Macron se met à fond derrière l’équipe de France. Dès le début, on nous explique qu’il les exhorte à n’envisager  qu’une seule issue : la victoire en finale. Et la France gagne la Coupe du monde. Parce que c’est une bonne équipe et qu’elle figurait en effet pour les spécialistes parmi les six ou huit sélections les plus fortes du tournoi. Mais surtout parce qu’il y a une part de chance, d’impondérables, comme en vélo. Si, au lieu de finir sa course au fond des filets argentins, la reprise de volée de Benjamin Pavard s’envole dans les nuages, comme c’est le cas de 95% de celles des défenseurs latéraux, la France s’arrête en huitièmes, et Didier Deschamps revient à Paris sous les quolibets. Mais la France a gagné, me direz-vous. La gloire pour Macron, dont on a d’ailleurs immortalisé la joie dans la tribune présidentielle. La gloire pendant… trois jours. L’affaire Benalla a tout emporté. Comme aurait été emportée une éventuelle victoire de Pinot si le président avait effectivement cherché à en profiter, avec la nouvelle de la découverte du corps de Steve Caniço, et la position devenue très difficile de Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur.

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Pas de complot pour soutenir Thibaut Pinot !

De même, le service des sports de France Télévisions avait proposé à Thibaut Pinot de le suivre pendant le Tour de France. Comme Canal plus l’a fait en 1998 et en 2018 avec « Les Yeux dans les Bleus ». Là encore, on doute que cette initiative ait été prise dans le cadre d’un plan plus global dont l’organisateur se trouvait à l’Elysée. Simplement, Pinot avait eu de très bons résultats cette année. Il était avant le Tour un des prétendants à la victoire. Julian Alaphilippe ne l’était pas. Il est déjà aujourd’hui le des coureurs de « classiques » le plus fort de toute l’histoire du cyclisme français et se présente d’ores et déjà comme le « Sean Kelly » français mais ses aptitudes en haute montagne n’en faisaient pas un favori avant de prendre le départ il y a un mois ; ce n’est pas lui faire injure que de le reconnaître. Voilà pourquoi la presse française en général, et France 2 en particulier, avait jeté son dévolu sur Thibaut Pinot : parce qu’il avait objectivement plus d’aptitudes pour concurrencer l’armada Inéos que n’importe qui d’autre, ce que les hauteurs du Tourmalet et de Foix ont d’ailleurs validé.

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Depuis vingt ans, une mauvaise légende continue de faire des ravages, y compris sur des très bons esprits : Jacques Chirac aurait plié le match avec Jospin en même temps que Zidane contre le Brésil en finale de la Coupe du monde. Il ne faut rien connaître au sport ni en politique pour croire à cette fable. Chirac a gagné parce que Jospin a été mauvais comme un cochon pendant les deux ans qui ont précédé le scrutin, et plus encore pendant la campagne proprement dite. Zidane ou pas Zidane. Alors laissons tranquille Thibaut Pinot et donnons-lui rendez-vous l’an prochain. Il est le premier depuis longtemps à avoir permis aux nombreux passionnés français de ce sport qu’un de leurs compatriotes pouvait gagner le Tour. Par son seul talent, et pas parce qu’un « spin doctor » tapi dans l’ombre l’avait décidé.

Note de l’auteur : Toute coïncidence géographique entre mon origine régionale et celle de Thibaut Pinot ne serait évidemment que fortuite.