Ce qu’il y a de bien avec les débats entre copains[1. Même si Jérôme a raison de préciser que nous n’avons pas encore eu le plaisir de le rompre ensemble, ce pain.], c’est que l’on s’efforce de ne pas caricaturer la pensée et le discours de l’autre, ce que le camarade Leroy -ou compagnon, c’est comme il souhaite- a admirablement réussi dans la réponse qu’il m’a adressée. Aussi vais-je tenter de le faire à mon tour.
Bien sûr j’adhère à toute la première partie de son texte[2. Sauf pour cette histoire de second tour, mais c’est que mon côté « maverick » est encore plus développé que ne l’écrit Jérôme.]. Nous sommes souvent d’accord politiquement et ce n’est pas une histoire de cartes plastifiées[3. Joliment agrémentées d’un marteau et d’une faucille pour l’une et d’une Marianne, drapeau tricolore à la main, pour l’autre.] qui l’empêchera.
Je dois faire ici une confidence. Je n’ai pas encore lu « La société du spectacle » de Guy Debord. Je suis impardonnable, cher Jérôme, de ne pas m’être encore procuré ce si précieux ouvrage auquel tu te réfères assez souvent. Même très, très souvent. Promis, je le lirai aussitôt que possible. Pour autant, je ne suis pas certain que la Séparation, cette caractéristique de notre modernité, soit tant encouragée par Facebook que cela. L’image du couteau à pain est excellente[3. D’autant qu’elle me rappelle ce « Crime au Paradis », de Sacha Guitry, si formidablement adapté par Jean Becker au cinéma avec la belle performance de Villeret, Balasko, Dussollier et Prévost.]. Oui, Facebook est bien un couteau à pain.
Quittons Facebook et parlons télés. Téléphone ET télévision. Je me souviens l’excellent Abiker répondant à je ne sais plus quel critique d’internet en évoquant une affiche datant des débuts du téléphone. Celle-ci représentait une femme allongée sur un canapé, le nouvel objet du délit à la main et contre l’oreille. La position -lascive- de la dame parlait : il ne faisait aucun doute qu’elle devait téléphoner à un amant. Le téléphone incitait à la débauche, donc. Voire à la séparation avec le monsieur légitime. De fait, je ne conteste pas que les divorces soient plus nombreux aujourd’hui qu’avant l’invention de Graham Bell. Quant à la fidélité des dames[4. Et des messieurs aussi ! Que la gent féminine se rassure, je ne la méconnais pas. Mais sur l’affiche en question, c’était une femme. Donc, les chiennes de garde sont priées de se plaindre à David Abiker qui, en plus, chronique à Marie-Claire.], je ne jurerais pas que la technologie l’ait de quelque manière encouragée. Tout cela me paraît moins technologique qu’hormonal, pour être poli voire pour parler comme Christine Lagarde. Alors, je sais. Certains préféraient parfois installer le téléphone à Mamie pour aller moins lui rendre visite. En ce sens, cela encourage à la séparation. Mais Mamie peut se venger avec l’objet. En appelant sa bru toutes des dix minutes, par exemple. Donc, le téléphone, messieurs les jurés, je vous demande de l’acquitter.
Tel ne sera sans doute pas mon verdict avec la télévision. Puisque Jérôme aime parler du communisme à l’est, nous dirons qu’à l’aune de la séparation, le bilan de la fameuse lucarne est globalement négatif. Les gens, le soir, demeurent à la maison et la regardent. Souvent, le seul dialogue familial consiste à choisir le programme. La télévision fait ainsi mentir Antoine Saint-Exupéry qui rappelait qu’aimer, ce n’était pas se regarder l’un l’autre mais regarder dans la même direction. Convenons que si ladite direction c’est Secret Story, le bon Saint-Ex se fourrait le doigt dans l’oeil. La télé a donc encouragé la société du spectacle et la Séparation. D’ailleurs, si je me rappelle bien, le bouquin de Debord date de 1967 en plein essor de celle-ci. Dis moi, Jérôme, avant même que je ne le lise, il doit être pas mal question de la télé, non ?
Pourquoi ce détour vers le téléphone et la télévision ? Pour expliquer que la technologie, c’est pas nouveau. Que les questions posées par les nouvelles technologies ne sont pas nouvelles, elles. Et pour s’interroger aussi sur autre chose : est-ce que cette nouvelle révolution technologique initiée par Internet ne constitue pas un progrès par rapport à la télévision, notamment ? Est-ce qu’elle ne permet pas au sujet assis devant sa télé, comme le racontait joliment Florentin Piffard dans son article consacré à Cespedes, de se lever et devenir ainsi un iota plus actif ? Cette abolition des distances que permettent téléphone et internet, c’est quand même un progrès. Tu ne crois vraiment pas, cher Jérôme ? Parce que les kilomètres qui séparent Lille de ma Franche-Comté, ils existent toujours. Et s’il avait fallu que nous attendions de nous voir pour écrire ensemble un éloge de l’estrade, ce dernier n’aurait jamais été publié, au grand plaisir des pédagogistes[5. Tiens, tu n’avais pas évoqué cet autre point d’accord entre nous, dans ton papier.].
Je sais. Je mélange Internet en général avec le cas particulier de Facebook. Mais le camarade Leroy avait lui-même commencé dans sa conclusion. Et il n’avait pas tort. Pour ma part, et tout le monde l’aura compris, je n’appellerai jamais Facebook, réseau « social ». Comme d’ailleurs j’évoque « contacts » et non « amis ». Trop de respect pour ces valeurs que sont l’amitié et la chose sociale pour les confondre avec un simple outil. Reste qu’il s’agit d’un outil qui peut permettre aux moins niais d’entre nous de se faire davantage de connaissances voire même d’amis. Et qu’il permet parfois d’accompagner le « mouvement social » cher à Jérôme. As-tu vu, camarade, l’usage que les lycéens ont fait de Facebook pour être si nombreux lors des dernières manifs ? Moi, qui suis plutôt un opposant à cette réforme, j’ai aussi ce reste de tradition familiale droitière qui me fait penser que la place de ces gamins seraient plutôt en classe pour apprendre à devenir des citoyens, qualité qui leur permettra de manifester plus tard en toute connaissance de cause. Mais toi, tu ne penses quand même pas que cela soit assimilable aux apéros géants ?
Lillois vs Châtillonnais: le papier de Jérôme était excellent; on est pas du tout déçu par ta réponse ! à + dans Besac !
« La place de ces gamins seraient plutôt en classe pour apprendre à devenir des citoyens » ? Dans le monde des Bisounours, peut-être. Mais voilà déjà quelques temps que l’éducation nationale dépérit dans ses méthodes, si ce n’est dans le contenu de ses programmes, si l’on en croit le niveau des élèves. Mais elle dépérit aussi dans son vivre ensemble (repas différenciés selon les religions, programme remis en question par certains élèves pour les mêmes raisons), dans le respect de l’institution et de ceux qui l’incarnent (autorité professorale bafouée, professeurs molestés, bâtiments saccagés et/ou incendiés), et dans ses débouchés (150 000 personnes sortent chaque années du système sans diplômés, et nombre de diplômés ne trouveront jamais le boulot pour lequel ils ont été formé… si jamais ils trouvent un boulot ! ).
Pour les jeunes, l’avenir se fera par le biais de changements radicaux, et ces changements ne s’obtiendront que par les urnes… ou par la rue. Espérons pour la France que la prise de conscience soit assez rapide pour que la première solution rende inutile la seconde.
Franchement Fabrice, je me demande si l’UNL et la FIDL sont favorables à un changement de méthodes, celles qui remettraient le Savoir au centre du système alors qu’on y a mis l’élève. Seule solution, à mon sens, pour en faire des citoyens instruits. L’existence même de syndicats lycéens démontre qu’on a mis la charrue avant les boeufs.
Pour réfléchir sereinement sur les « nouvelles » technologies qui se succèdent à un rythme effréné depuis 200 ans,il faut faire un peu d’histoire. par exemple, revoyez la révolte des canuts contre la machine à coudre ou l’émoi soulevé contre le chemin de fer après la première catastrophe ferroviaire en France (en 1842, de mémoire).
Ce sont toujours les mêmes interrogations, anxiétés, voire angoisses des uns, face aux admirations béates des autres, comme si la technologie allait faire sortir de l’humanité, l’Homme nouveau, forcément dégénéré pour les premiers, obligatoirement meilleur pour les thuriféraires de la technique.
Tout ceci est enfantin.
La technique n’est que la technique. Guy Debord était bien gentil, mais ça ne casse pas trois pattes à un canard. Il ressort de l’évidence que le succès d’une technologie nouvelle, car susceptible de faire faire des gains de productivité, modifie les comportements humains. Néanmoins, l’être humain reste lui-même en persistant à mettre le progrès au service de l’archaïsme : à quoi sert la télé ? A retransmettre des matches de foot et à regarder des films pornos ou à grand spectacle. A quoi sert internet ? A la même chose ! Plus l’horoscope ! Vive le progrès !