Le foot français doit nettoyer ses écuries d’Augias

 

Peut-être aurais-je dû rédiger ce texte il y a six mois, en cette fin de mois de juillet alors que le scandale était déjà évident. J’aurais pu aussi évoquer ce sujet en septembre lorsque j’assistai, seul représentant de la presse dans la salle, à l’audience du référé qu’intentait le FC Sochaux-Montbéliard contre la Fédération française de football et la Ligue professionnelle du même sport. Mais j’hésitais. Les lecteurs de Causeur connaissent mon attachement viscéral à ce club et on m’aurait facilement taxé de parti pris. Mais depuis jeudi, un tribunal a officiellement établi les faits. Alors, il n’y a plus de retenue à avoir.

Le tribunal administratif de Besançon a donc rendu son délibéré sur le fond de l’affaire qui opposait le FCSM et les instances du foot français. Il a déclaré illégale une décision prise par le comité exécutif de la FFF le 28 juillet dernier, décision par laquelle ce dernier s’asseyait sur les jugements de la Direction nationale de contrôle de gestion (DNCG), selon lesquels le Racing Club de Lens ne présentait pas les garanties financières suffisantes pour intégrer la Ligue 1 de football. Ainsi, sans cette forfaiture, c’est le club classé 18e de Ligue 1 au terme de la saison précédente qui devait, selon les propres règlements de la FFF, être repêché.

La DNCG est le gendarme financier du football français. Elle a été créée il y a plus de vingt ans et peut procéder à des relégations administratives, des interdictions de montée dans la division supérieure, des encadrements de masse salariale ou des interdictions de recrutement. Elle le fait pour des raisons de santé financière des clubs professionnels et surtout pour éviter la concurrence déloyale entre les clubs (un club qui s’endette pour acheter les meilleurs joueurs est déloyal avec ses concurrents qui respectent leur équilibre financier.). Cette DNCG, au début de l’été dernier, prit notamment deux décisions d’interdiction de montée : celle du petit club ariégeois de Luzenac qui avait été suffisamment bien classé en championnat de National (troisième division) pour prétendre accéder à la Ligue 2 ; et celle du RC Lens qui devait accéder à la Ligue 1. La DNCG, en première instance comme en appel, a jugé que ces deux clubs ne présentaient pas les garanties financières suffisantes pour accéder à la division supérieure. Dans le premier cas, le comité exécutif de la FFF et la Ligue de football professionnel ont suivi les recommandations de la DNCG et ont rapidement repêché le club de Châteauroux, qui devait descendre de Ligue 2 en National. Dans le second cas, qui nous occupe, elle a décidé de passer outre. Face à Lens, la DNCG avait de bonnes raisons de ne pas faire confiance aux dirigeants. Elle souhaitait un versement immédiat de 10 millions d’euros de la part de l’actionnaire azerbaïdjanais Hafiz Mammadov. À chaque fois, le président du club artésien, Gervais Martel, a expliqué que les fameux fonds allaient arriver, qu’ils étaient retardés, un jour par une erreur sur les coordonnées bancaires, un autre par la fête nationale azérie. Mais ils ne sont jamais arrivés. Martel finit par reconnaître qu’ils n’arriveront pas car l’actionnaire est « vexé » qu’on lui demande des garanties, contestant l’existence de notre gendarme financier, très exotique à ses yeux.

Dans les cas de Luzenac et de Lens, la FFF permettait jusque-là un appel à un conciliateur du Comité National Olympique Sportif Français (CNOSF – que la nouvelle jurisprudence du TA de Besançon interdit désormais dans ce cas). Pour Luzenac, le CNOSF a tranché en faveur de Luzenac mais le comité exécutif de la FFF n’en a pas tenu compte (le club de Luzenac est aujourd’hui reparti en huitième division !) ajoutant à ces conditions financières des conditions d’infrastructures. Il faut dire que la LFP avait déjà repêché Châteauroux et la conciliation du CNOSF mettait tout le monde dans l’embarras. Pour Lens, le médiateur a proposé que le virement réclamé dès juillet soit ramenée à quatre millions d’euros. Le RC Lens dit avoir produit à ce moment là les preuves d’un virement SWIFT ce qui a convaincu le conciliateur. Or, les fonds ne sont jamais arrivés sur le compte du RC Lens. Le virement SWIFT était-il un faux ? Nul ne le saura jamais. Toujours est-il que Lens a bénéficié d’un traitement de faveur par rapport à Luzenac ; ainsi que Châteauroux par rapport à Sochaux.

 

Nous sommes devant un scandale. La preuve que les instances du football français prennent leurs décisions et violent leurs propres règlements au gré de leurs copinages est désormais établie. Oui, Gervais Martel est très lié à Frédéric Thiriez, président le la LFP et Noël Le Graët, président de la FFF. Oui, le club de Châteauroux a été repêché avant même la conciliation du CNOSF : avoir le célèbre pipole Michel Denisot à la vice-présidence, ça aide un peu.

Pourtant, la DNCG avait de toute évidence pris la bonne décision s’agissant de Lens, perdant patience face aux promesses non tenues par Gervais Martel et, pis, à ses mensonges. À l’heure où sont rédigées ces lignes, six mois après la décision de la DNCG, il manque toujours les quatorze millions réclamés. Un jour l’actionnaire disparaît, puis il réapparaît, au point que les élus du Pas-de-Calais perdent patience et le font savoir publiquement. Les élus, justement, parlons-en. Ils ont pesé de tout leur poids pour que les instances du foot ne tiennent pas compte des recommandations de la DNCG. Le député Nicolas Bays a ainsi exhibé benoîtement un échange de textos avec le Président de la République himself. Il s’inquiétait des conséquences d’un maintien de Lens en Ligue 2 pour la région ; Hollande lui a répondu : « Je m’en occupe en ce moment même ». Bays s’est ensuite raccroché aux branches expliquant que Hollande lui promettait de s’occuper de la région au cas où Lens était effectivement interdit d’accession dans l’élite mais on ne peut s’empêcher de penser que des coups de fil bien intentionnés en direction de la FFF aient pu être donnés. Pendant ce temps, l’élu de Sochaux-Montbéliard Pierre Moscovici est demeuré inerte. Ses préoccupations étaient plutôt du côté de Bruxelles où il guignait un poste de commissaire très rémunérateur alors que Hollande hésitait entre lui et Elisabeth Guigou pour une promotion européenne. Il n’allait quand même pas risquer de perdre une si belle promesse sonnante et trébuchante pour le club d’une région en difficulté dont il est l’élu depuis plus de vingt ans !

Pourquoi était-il important de ne pas empêcher la montée de Lens ? Et pourquoi s’en est on préoccupé en haut lieu ? Est-ce parce qu’il ne fallait pas fâcher l’Azerbaïdjan ? L’actionnaire Mammadov est proche du dictateur local Iliev. D’autre part, la SOCAR, la société pétrolière de l’Etat azerbaïdjanais, est l’un des sept sponsors officiels du Championnat d’Europe 2016, organisé en France, et dont le stade lensois, en réfection, sera l’un des hôtes. Avait-on peur que l’organisation de cette compétition pâtisse du respect absolu des règlements sportifs et de cette fichue DNCG ? Notons que Gervais Martel était présent dans la délégation française lors de l’accueil du dictateur Iliev lors de sa dernière venue à Paris.

Il faut également noter l’absence, voire  la servilité, de la presse dans cette histoire qui puait pourtant le scandale à cinquante kilomètres. Où étaient-ils, les limiers de la fameuse presse d’investigation ? Pourtant, tout ce qui leur plaît d’habitude était présent dans l’affaire : libertés prises avec le droit, actionnaire proche d’un dictateur, soupçons de pressions politiques du gouvernement en place, éventuel faux et usage de faux (virement SWIFT). Je ne résiste pas au plaisir de citer Edwy Plenel qui à propos de l’affaire Cahuzac, plastronnait en direction de ses confrères : « Tout est devant vous et vous ne voyez rien ». Certes, le site Backchich a enquêté sérieusement sur Mammadov. Enfin Vincent Duluc, de L’Equipe, et Daniel Riolo, de RMC, ont fustigé la différence de traitement entre l’affaire de Lens et celle de Luzenac. Hormis ces rares professionnels, rien. Nada !

Ce jugement du tribunal administratif de Besançon démontre la responsabilité écrasante de Messieurs Thiriez et Le Graët. Rappelons que le premier est avocat de profession, auprès du Conseil d’Etat, autant dire un spécialiste du droit public. Soit il est incompétent dans sa propre profession, soit il a violé les règlements en toute connaissance de cause. Dans les deux cas, c’est très grave. Le second est quant à lui le créateur de l’institution DNCG. Est-ce pour cela qu’il se permet de suivre les décisions de cette dernière au gré de ses humeurs ?

Le tribunal administratif rend sa décision exécutoire au terme de la saison 2014/2015. À ce moment-là, ce sera à la Ligue professionnelle de football de décider ce qu’elle fera, si elle décide de réintégrer Sochaux en Ligue 1 automatiquement, et de rétrograder Lens. Ou si elle décide d’accorder à Sochaux une indemnité compensatoire correspondant au manque à gagner dû au non-respect des règlements. Pour ma part, je ne souhaite rien de cela. Je souhaite que mon club retrouve l’élite grâce à ses performances sur le terrain et non à la décision d’un tribunal. Je ne souhaite même pas cette fameuse compensation financière qui, pourtant, serait bien utile à un club en quête de nouvel actionnaire, qu’on espère moins sulfureux que celui de Lens. Après tout, Sochaux avait fini à une place qui lui faisait mériter la relégation en Ligue 2, et n’aurait pu y rester qu’au seul motif des fantaisies du duo Martel-Mammadov.

Non. Si ce jugement doit servir à quelque chose (outre que la DNCG est aujourd’hui confortée dans son indépendance et la souveraineté de ses décisions), c’est à nettoyer les écuries d’Augias ! Si ce jugement est confirmé en appel, Messieurs Thiriez et Le Graët doivent partir. Et les nouveaux dirigeants qui leur succéderaient doivent déposer plainte au pénal, afin de déterminer les responsabilités de chacun dans ce scandale. Parce que le foot français ne doit pas, ou plus, se comporter en mafia.

 

1 commentaire

  1. Très bon article qui éclaire un sujet auquel je ne comprenais pas grand’chose.
    On pourrait se pencher sur le rôle de l’arbitrage en L1 en comptant les pénalties favorables au PSG (et à Lyon), les sanctions douteuses infligées à leurs adversaires… Je pense qu’on pourrait trouver « des indices graves et concordants »…

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