Après avoir expliqué dans Mainstream combien notre pays et sa culture étaient lilliputiennes, après avoir fustigé Eric Zemmour mais aussi une mystérieuse Zemmour en jupons[1. Il semble bien que cette expression empreinte de tendresse visait Elisabeth Lévy qu’il soupçonnait d’avoir, sur Causeur, écrit Le voyage de Monsieur Martel sous le nom de Florentin Piffard. Nous savons qu’il n’en est rien puisque Florentin n’est pas Elisabeth et qu’il ne saurait donc être qualifié de Zemmour en jupons puisque, à notre connaissance, il ne porte pas de jupons.], symboles selon lui de la France poussiéreuse, ringarde ou moisie -comme aurait dit Sollers, il fallait bien que Frédéric Martel  s’en prît à la Francophonie, tout aussi poussiéreuse, ringarde et moisie.

Il l’a fait dans Le Point cette semaine et il ne faut donc pas s’en étonner. Mais cet article ne nous explique pas seulement que l’anglais, c’est cool, et que la France ne pourra s’en sortir qu’en remisant sa propre langue au vestiaire des accessoires inutiles. Il est aussi un acte hilarant d’opposition au Président de la République, lequel serait un défenseur de cette francophonie ridicule, et de la France riquiquie et étriquée qui va avec. Et là, les bras m’en tombent. Parle t-on bien de la même personne ? Du même Président ?

Parle-t-on de celui qui a voulu chasser des concours de la fonction publique non seulement la Princesse de Clèves mais l’académisme des dissertations et son cortège de culture générale ? Parle-t-on du Président qui a imposé, alors que son prédécesseur renâclait, le Protocole de Londres qui a mis fin à l’obligation de traduction des brevets en langue française ? Parle-t-on de la personnalité politique, fière comme Artaban -ou Frédéric Martel, qu’on le surnomme Sarko l’Américain ? Parle-t-on du Chef de l’Etat qui a abandonné la vieille position indépendante, et donc forcément poussiéreuse, ringarde et moisie, en revenant dans le commandement intégré de l’OTAN ? Parle-t-on du Président qui a nommé Bernard Kouchner au Quai d’Orsay, lequel tenait avant l’élection présidentielle exactement le même discours que Martel sur la francophonie dépassée et la nécessité de se mettre à l’english ?

Pourtant, il semble que c’est cet homme là dont Martel voulait parler. Et pour faire bon poids, face à la colonne fabuleusement mainstream de l’action de Nicolas Sarkozy, Martel a du lourd : Joyandet, ancien ministre de francophonie, qui a trouvé un nouveau mot pour remplacer buzz, Raffarin qui reproche à Trichet, Lamy et DSK de ne pas causer plus souvent dans la langue de Molière et le faible niveau du Président de la République en langue anglaise. Impressionnant, n’est ce pas ? S’agissant du troisième point, on fera aimablement remarquer que François Mitterrand aussi usait de l’oreillette et du traducteur. Et qu’il était le fondateur du Parti socialiste. Pour Joyandet, effectivement, il n’est plus ministre et d’ailleurs, il n’y a plus de ministère de la francophonie[2. Et cela, d’autant plus que c’est maintenant Kouchner qui gère directement le dossier. Autant confier le malade directement au croquemort.], ce dont devrait se réjouir Martel mais qu’il omet de faire[5. Quant à Raffarin, c’est Raffarin.].

Au passage, souvenons-nous de la campagne présidentielle de 2007. Ségolène Royal avait avoué sa tendresse pour le souverainisme québecois, lequel doit sembler rance parmi le moisi à Frédéric Martel. Pourquoi, doit-il penser, cette peuplade de ploucs se bat-elle pour parler français alors qu’elle est encore davantage proche des States, comme il dit, que nous ne le sommes ? Se posant une telle question, il ne ferait d’ailleurs que rejoindre Nicolas Sarkozy qui fut assez clair sur le sujet au grand dam des souverainistes de la Belle Province. Or, pendant la campagne de 2007, Martel semblait beaucoup plus proche de la candidate socialiste au point de lui remettre deux rapports[2. L’un co-écrit avec Michel Rocard sur le numérique ; l’autre avec Bernard Kouchner sur le service civique.]. On imagine fort bien l’état de désespoir dans lequel il pouvait se trouver lorsque sa candidate préférée, encouragé par le rance Chevènement, encourageait les Français à hisser les couleurs tricolores sur leur balcon ou s’enthousiasmait devant la perspective d’un Québec libre. Des moments à vous faire regretter de ne pas être assis entre Dominique Faruggia et André Glucksmann dans une réunion publique de Sarkozy.

Soyons honnêtes : Martel a tout de même réussi à dénicher une déclaration de Nicolas Sarkozy, prouvant qu’il pourrait avoir été, un jour, influencé par la propagande francophoniste poussiéreuse, ringarde et moisie. Ainsi, il a trouvé consternant que le Président de la République regrette que certains diplomates français, par « snobisme », « [soient] heureux de parler anglais ». Il faut tout de même préciser que cette phrase a été prononcée devant le l’organisation internationale de la francophonie. Cela s’appelle une figure imposée. En tant qu’ancien membre d’une ambassade, Frédéric Martel ne peut pas l’ignorer.

Toujours est-il que les actes et même beaucoup de déclarations de Nicolas Sarkozy sur la langue française en général et la Francophonie en particulier  vont dans le même sens que celui souhaité par Frédéric Martel. Mais cela, ni l’un, ni l’autre, n’ont intérêt à ce que cela se sache.

Car Nicolas Sarkozy a en effet construit sa campagne de 2007 en grande partie avec les discours ciselés par Henri Guaino, pour lequel, d’ailleurs, la Langue française et la Francophonie n’ont rien de poussiéreux, de ringards ni de moisis. Grâce à eux, Nicolas Sarkozy a réussi à séduire la France qui avait dit Non au référendum de 2005. Il suffit de jeter un oeil sur les cartes des résultats électoraux de 2005 et 2007 pour s’en apercevoir. Le référendum de 2005, c’est effectivement la première victoire et l’émergence de ce que Sollers appelait la France moisie et que Martel qualifie d’étriquée. A la suite de cette victoire, on remarque que les médias ont progressivement commencé à laisser s’exprimer des voix qu’on entendait peu jusque là : Eric Zemmour, qui obsède Martel et quelques autres[3. Notamment les Inrockuptibles ou Bruno-Roger Petit, que je trouve personnellement beaucoup plus prolixe lorsqu’il s’agit de foot.]. C’est peut-être parce que la base électorale de Nicolas Sarkozy et celle, médiatique, de Zemmour  -et les autres réactionnaires de la même espèce, se superposent assez bien que Martel veut absolument y voir les deux faces d’une même médaille, poussiéreuse et ringarde. Sauf que.

Sauf qu’il y a le Sarkozy des discours de Guaino et le Sarkozy des actes conseillés par Minc, plus conforme à son histoire politique et à sa formation idéologique auprès de Balladur, notamment. On l’a maintes fois démontré ici. D’ailleurs, la trahison de sa base électorale fut inaugurée en grandes pompes le 4 février 2008 lorsque le Traité de Lisbonne, copie conforme de la constitution européenne refusée par les Français, fut adopté à Versailles par le Congrès. Depuis, cette France du Non a commencé de vérifier peu à peu à quel point elle s’était faite rouler dans la farine, s’abstenant d’ailleurs de manière écrasante aux élections européennes.

Qu’on le veuille ou non, ces discours, ces thèmes, que Martel trouve étriqués, demeurent majoritaires. Même si Nicolas Sarkozy est intellectuellement d’accord avec Martel, il est conscient que ce sont à nouveau eux qui feront gagner le Président élu en 2012. Pas facile, pour autant, de remettre le couvert. La base électorale sarko-noniste de 2007 commence à utiliser sa mémoire et ce n’est pas le renforcement récent du super-comptable Fillon qui va arranger les bidons. Sauf si des alliés inattendus viennent à assimiler miraculeusement Nicolas Sarkozy à cette France moisie, rance en faisant de lui, par exemple, un adorateur de la francophonie.

Frédéric Martel semble si bien jouer ce rôle qu’on croirait que ces deux là sont de mèche. Mais ce n’est, très certainement, pas le cas. L’histoire politique fourmille d’exemples de gens qui se croient de redoutables adversaires mais qui se révèlent in fine de véritables alliés.

13 commentaires

  1. Bonjour

    Claude Duneton avait écrit « La mort du français » en 1999… Et il enseignait l’anglais au collège, lui, et il le sait sûrement beaucoup mieux que ce c…

  2. Frédéric Martel, alias Le Tram à l’époque où il était militant dans l’homosexualité, n’a jamais été vraiment engagé dans la culture ; pourquoi s’étonner, il n’est que journaliste à France Cul.

  3. C’est la stratégie habituelle des défenseurs de la mondialisation libérale, qui s’amusent à s’inventer un Ordre Archaïque Dominant contre lequel ils lutteraient courageusement.
    Ainsi la grande bourgeoisie cosmopolite et ses affidés peuvent se poser en rebelles au nom de la Modernité.

  4. Ce Martel est frustré et fielleux. L’ordre anglo-saxon utilise depuis longtemps ce genre de petites frappes. On peut s’interroger sur le mécanisme qui lui permet d’être si souvent visible dans les média.

  5. lire DD sur son Antidote dans le Pelopponèse, en terrasse ( Wifi dans toutes les tavernes ici ), devant un ouzo, à 30°, devant la mer et les gamins à la piscine en contre-bas.
    Merci à toi
    un petit tour sur causeur avant de repartir à l’eau !

  6. Ce monsieur n’est qu’une tête à claques prétentieuse et démodée, un Christine Lagarde au masculin. C’est écrit sur sa figure, d’ailleurs.
    Ne vous occupez pas de lui, il ne le mérite même pas. Laissez-le découvrir les résultats en 2012.

  7. @David

    Ce type est Has-Been comme on dit dans l’english internationnal. Il devrait prôner l’enseignement du chinois c’est plus tendance.

  8. Relisez Les trois derniers chagrins du Général de Gaulle d’Anne et Pierre Rouanet à propos de la trahison des pseudo-z’élites au sujet du « Vive le Québec libre ! »
    Cela fait don au moins 43 ans que les rassis que vous décrivez, ne rêvent que de nous ravaler au rang des anglo-saxons. Ils ont gagné ! Crachons leur à la gueule, c’est tout ce qui nous reste !

  9. @ David Desgouilles

    Cher David Desgouilles

    Je partage le contenu de ton billet.

    Je fais le même constat que vous et pour ma part je me situe à gauche au PG de Jean-Luc Mélenchon mais là aussi, je suis un peu ostracisé par une pensée dominante bien pensante bobo écolo libertarienne qui ostracisent les républicains socialistes et jacobins de mon espèce. j’en ai abordé un peu la question dans un échange que nous avons eu sur le blog de NDA.

    Les propos de Martel me semblent bien représentatifs d’une certaine pensée dominante qui a fait depuis quelques temps comme adversaire (ennemie) la république Françaies et tout ce que cela comporte. La langue et donc la culture et le patrimoine français c’est à dire la francophonie. Mais également, c’est aussi l’idée d’Etat-Nation et de peuple souverain qui est remise en cause et de manière sous jacente dans les propos de Martel et des autres qui passent leur temps à cracher sur la France, sur la République, sa souveraineté, sa langue et sa culture ! C’est tellement mieux à leurs yeux la mondialisation, le communautarisme, l’individu, le consommateur. A gauche, ils utilisent un langage gauchard verbeux pour dénaturer l’idée de république et de souveraineté.

    Je me rappelle m’être fait traiter de nationaliste, de xénophobe et de colonialiste parce qu’avec d’autres amis républicains socialistes et jacobins, nous avions rédigé et publié un Manifeste Jacobin Pour la République et le Socialisme. Nous parlions d’universalité, de l’idéal des Lumières, de grandeur de la France, de francophonie et nous proposons aussi de créer un corps de coopérants de l’universalité frrançaise. Qu’est ce que j’ai pris par les biens pensants gauchards écolos bobos tsoin tsoin !

    Le sir Martel rentre bien dans la même pente idéologique bien pensante; Sarkozy, a gagné la bataille politique en 2007 parce qu’il a gagné la bataille à la fois idéologique et culturelle. Si, Sarkozy lis Gramsci, Jaurès que lis la Gauche et bien il faut bien le dire pas grand chose ! Donc pas de références, ni idéologiques, ni historiques, ni politiques définies, appréhendables. A part un vulgate marxiste, pabliste et guévariste fort simplette bien souvent il y a pas grand chose dans les coins disponibles des cerveaux de certains militants de gauche. Je pense qu’à droite cela doit être bien un peu pareil vu que l’idéologie libérale libertaire est harchi dominante dans le PPF (paysage politique français).

    Et bien, à tous ces bien pensants, ils préférent l’anglosaxon au Français. La culture vite consommable, sans longue histoire derrière elle et vite consommée, permet à nos classes moyennes et petites bourgeoises de préférer le grand large du monde libre échangiste et apatride à la république et l’Etat nation. Pas étonnant qu’ils ne veulent pas mettre en perspective la rupture de notre pays avec l’UE, la BCE, le GMT, l’OTAN. Ils crient bien fort des mots et des verbes sonnants et trébuchants de gauche mais au final, ils se complaisent dans cet ensemble européen supranational dans un premier temps et dans le prochain territoire vassalisé par les USA dans le cadre du GMT. Pas étonnant qu’ils s’en prennent encore et toujours à la république française !

  10. « Prenez garde, je vais parler français » (Winston Churchill 1949.)

    Contrairement à ce que prétend monsieur Martel qui ne se prénomme pas Charles, nous, Francophones, disposons d’un peu de temps encore pour , enfin exister avec l’adoption prochaine , selon lui, de l’English comme langue nationale en France

    Pour preuve: Aux USA depuis 1349 les esclaves noirs ont parlé l’English pendant plus de 600 ans,sans pouvoir exister !
    M.Frédéric Martel, prend en exemple, l’anglaisement actuel accéléré des pédérastes français qui se seront peut-être éteints dans 250 ans puisqu’ils ont du mal à se reproduire, parait-il ?.
    D’ailleurs un philosophe anciennement francophone n’a t-il pas dit « Je parle english, donc je suis »

  11. je pige pas pourquoi vous vous interessez à cette petite frappe de martel
    son ton de petite gouappe sur froncecul (« masse critique » ou « crasse mythique ») devrait -aussi bien que ses gouts musicaux détestables- le disqualifier à jamais comme speaker dans une radio nationale
    en l’entendant on peine à réaliser qu’il cause « de l’industrie culturelle »
    on aurait plutot le sentiment qu’il est là pour commenter la kermesse de villefranche de rouergue
    si ce n’était faire gravement injure aux rouergats
    laissons le donc dans sa crasse (non pas mythique …juste morale)

  12. Bonjour,

    Je dois vous avouer que je suis tombé vraiment par hasard et sérendipité sur votre blog, et que je ne partage absolument pas les idées souverainistes (qu’elles soient de droite ou de gauche d’ailleurs) que vous défendez. Si je me suis décidé à laisser ce mot au lieu de passer mon chemin sans rien dire ni écrire, ce n’est pas du tout pour soutenir le point de vue de Frédéric Martel, ni combattre le vôtre ; simplement pour exprimer combien vos propos me navrent autant que ceux de votre supposé adversaire.

    D’un côté comme de l’autre, il n’y a aucune espèce de nuances ou de réelle compréhension des effets induits par la globalisation culturelle. Il y a bien finalement identité d’approche en terme de domination culturelle entre ceux qui comme Martel entérine une domination (fausse) de l’anglais et ceux qui comme vous pensent y résister en prenant cette posture crispée et victimaire du Français d’abord, qui nous rend si ridicules, même aux yeux de nos amis étrangers les plus francophiles… Il se trouve que je suis enseignant, milieu dans lequel le souverainisme a fait pas mal de dégâts dans sa version chevènementiste (le schéma classique a été: je vote Chevènement en 2002, je me nourris de la novlangue antipédago – voir les âneries écrites dans votre Bossuet au menu des résistants pédagogiques – , car il faut bien que je trouve un coupable à la crise de l’école, je vote sarkozy en 2007) et il se trouve aussi que j’anime un gros réseau éducatif international.

    Il n’a jamais été question pour nous d’en faire un réseau anglophone pour être dans le mainstream, ni un réseau francophone pour défendre la langue française, mais bien au contraire de favoriser et respecter la diversité des langues des membres de notre réseau, du letton à l’arabe, de l’anglais au chinois, du français au bambara… Quand nous avons besoin de parler anglais, nous écrivons en anglais, si cela est plus facile de passer par le français pour travailler ensemble, alors nous utilisons le français. Et je prends autant de plaisir à enseigner le Français Langue Etrangère à mes amis chinois qu’à apprendre le chinois grâce à eux. La globalisation culturelle pour notre Ecole Hors les Murs, c’est autant le refus de la préférence nationale que de la domination hégémonique d’une langue sur une autre. Un exemple parmi tant d’autres: prenez le temps d’écouter des profs étrangers s’approprier dans leur langue un poème d’Apollinaire que je leur avais proposé: http://horslesmurs.ning.com/profiles/blogs/voice-thread-guillaume … A-t-on réellement besoin d’imposer le français ou bien de donner à lire/voir/entendre une oeuvre à portée universelle ?

    La dernière fois où j’ai eu vraiment honte d’être Français: me voilà à Prague l’année dernière, invité pour un sommet sur les échanges éducatifs et culturels en Europe. Des invités d’une bonne quarantaine de pays. Une assistance d’environ 600 personnes, pas de système de traduction simultanée dans une quarantaine de langues différentes. Seule la langue anglaise est comprise par tous. Et seule une Française a tenu mordicus à s’exprimer en français devant un auditoire dont à peine 5 % était capable de comprendre ce qu’elle disait. C’était parfaitement ridicule, assommant et un sujet de moquerie, ou même parfois de tristesse de la part des non-francophones comme des francophones qui se demandaient: « comment est-il possible de montrer autant de mépris aux personnes qui écoutent sans comprendre pendant plus de 40 minutes ? ».

    Si c’est la francophonie que vous défendez ainsi, vous vous y prenez très mal et vous achevez de la liquider… Et votre républicanisme manque singulièrement d’humanisme…

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