Ces derniers jours, dans tous les médias, il a été question de la syntaxe du président de la République. Celui-ci, notamment près de chez moi dans la bonne ville de Gustave Courbet[1. Ornans, près de Besançon, est une petite bourgade magnifique où naquit le peintre de L’origine du Monde. Je conseille à tous les lecteurs de venir la visiter lors de leur prochain passage en Franche-Comté. Il y a aussi une petite usine Alstom, où le président de la République s’est exprimé.], maltraite la langue française de plus en plus fréquemment notamment lorsqu’il est dépourvu d’un discours écrit à l’avance.

Le président de la République calcule sa communication au rasoir depuis son entrée en politique. Il est connu pour ne rien laisser au hasard dans ses prises de parole. On ne peut donc pas sérieusement imaginer que cette tendance soit le fruit d’une négligence. Certes, il n’est pas un amoureux de la langue française. La langue, pour lui, c’est juste de la com’. Il ne passe pas non plus pour un lettré, au point même qu’après la triste affaire de La Princesse de Clèves Mme Bruni-Sarkozy se répand en indiscrétions dans la presse sur les lectures qu’elle met entre les mains de son mari. Mais il avait tout de même ressenti le besoin pour sa campagne présidentielle d’appeler Henri Guaino, connu pour avoir déjà écrit pour Séguin dans un style intransigeant sur la qualité de la langue. Même si on le dit « au bout du rouleau », il est absolument impossible que ce choix de langage dans ses discours et improvisations publics ne soit pas le fruit d’une réflexion délibérée.

Le choix d’utiliser un langage familier alliant extrême pauvreté du vocabulaire et syntaxe plus qu’approximative[2. Avec l’abandon, notamment, de toutes les négations.], ne peut se concevoir que dans l’objectif de « faire peuple ». Le président de la République souhaite renouer avec la partie populaire de l’électorat qui lui avait permis d’atteindre les 30 % en 2007, performance qu’aucun candidat de droite n’avait réalisé depuis plus de trente ans lors d’un premier tour d’une élection présidentielle. Les sondeurs lui ayant indiqué que cet électorat populaire l’abandonnait, il a donc décidé de passer à l’action et à entreprendre une opération de séduction en direction de ces classes de la population, premières victimes de la crise. Cette séduction se manifeste par le retour du thème de l’insécurité publique[3. Statistiques qui ne plaident pas en sa faveur puisque la violence ne fléchit pas, au contraire.] et notamment par la proposition de législations sur les bandes organisées. Mais cette séduction semble aussi passer par ce qu’il pense être une proximité de langage. C’est là qu’il faut examiner les précédents et en arriver aux fameux deux George(s), Marchais et Bush Junior.

Le premier opérait en France. Secrétaire général du PCF de 1972 à 1994, il était connu pour employer un langage très familier et d’une redoutable efficacité face aux journalistes ou à ses contradicteurs politiques. Le second, aux Etats-Unis, fut réélu triomphalement en 2004 grâce à l’Amérique profonde. C’est bien évidemment à tort qu’on les a pris pour des personnages incultes (pour Marchais et Bush) ou benêt (pour Bush). George Walker Bush est diplômé de Yale. Quand bien même aurait-il été pistonné, il faut néanmoins suivre les cours de cette université, parmi les réputées au monde. Quant à Georges Marchais, il suivit les cours de la fameuse Ecole des Cadres de Moscou. Là encore, ce n’est pas donné à tout le monde. En fait, les deux hommes ont choisi, l’Américain avec ses conseillers et le Français à l’Ecole des cadres du Parti, une stratégie de proximité avec une partie de la population, populaire et souvent peu diplômée. Le PCF de Marchais demeura longtemps le premier parti ouvrier de France, même si la chute de l’Union soviétique et l’émergence du Front national précipitèrent son déclin à la fin de son magistère place du Colonel-Fabien. La stratégie de Dobeliou fut gagnante dans la mesure où John Kerry représentait presque de manière caricaturale l’Amérique côtière et urbaine.

Cette stratégie, donc, pourrait s’avérer payante pour Nicolas Sarkozy ? Je ne le pense pas. D’abord parce que l’exemple américain ne se transpose pas si facilement en France. Les classes populaires françaises ne dédaignent pas, loin s’en faut, qu’une personnalité politique s’exprime dans une langue châtiée. Sinon, Jean-Marie Le Pen, qui n’est jamais pris en défaut sur sa syntaxe et qui emploie un vocabulaire parmi les plus riches du personnel politique français, n’aurait pas fait du FN le premier parti ouvrier de France, et cela pendant des années. Et c’est, précisément, une grosse partie de cet électorat-là que Nicolas Sarkozy a réussi à ramener à lui… en lisant des discours bien écrits. En face, Ségolène Royal tentait justement la proximité avec sa démocratie participative et un lexique volontairement pauvre, que les Guignols de l’Info parodièrent de manière éclatante dans un sketch hilarant où on la voyait parler aux électeurs comme à des enfants : « Les Français, il faut leur parler simplement. » On note aussi que le candidat qui aurait pu s’avérer être le « Kerry français », Bertrand Delanoë, semble aujourd’hui hors-course.

D’autre part, l’exemple de l’autre Georges qui va dans les usines, parle comme les ouvriers et reste un bretteur hors-pair en toutes circonstances se heurte à deux écueils. D’abord, Georges Marchais était effectivement issu du monde ouvrier, alors que Nicolas Sarkozy a passé son enfance à Neuilly dans un milieu favorisé. Face à un Georges Marchais[4. On peut aussi citer Bernard Tapie dans ce style gouailleur et issu des classes populaires.] qui leur parlait ainsi, les classes populaires, même lorsqu’elles l’abandonnèrent pour le PS de Mitterrand ou le FN de Le Pen, entendaient quelqu’un qui leur parlait d’égal à égal. Face à Nicolas Sarkozy, cette manière de s’adresser à eux peut davantage être ressenti comme du mépris : « Toi y en a être ouvrier, moi te parler simplement. » Ensuite, comme pour Georges Marchais, le contexte de la crise d’un système (communiste pour l’un, capitaliste pour l’autre) ne plaide pas en faveur du renouvellement de l’expérience.

La stratégie des deux George(s) semble donc inopérante pour Nicolas Sarkozy. D’autant qu’elle n’est guère cohérente avec sa politique. Si le thème de l’insécurité le rapproche des classes populaires, il s’en éloigne sur les choix sociétaux[5. Morano, gouailleuse à l’image du président, mène une politique familiale qui plaît aux bobos urbains.]. Et ses choix en matière économique et sociale, qui ne remettent pas en cause la jungle libre-échangiste, au mépris de sa campagne électorale qui fustigeait les délocalisations et l’euro cher, ont consommé un divorce avec les ouvriers. Ce n’est pas en singeant – mal – le « populo » que Nicolas Sarkozy pourra effacer cette cruelle réalité.

6 commentaires

  1. Singer le peuple et les pauvres gens,tant par la parole,comme Sarkozy que par le vêtement, comme ces petits cons bobos et anars en peau de lapin, c’est l’insulter.

  2. Sarko à bout de souffle ? Contraint à une nouvelle et vaine démagogie ? Si c’est tout ce qu’il a en magasin, c’est sans doute une nouvelle. Malheureusement, cette stratégie devant échouer, il va peut-être nous produire autre chose de plus dur.
    Il faudrait vérifier le niveau de langue de Berlusconi.
    Une erreur probablement dans votre texte, ce ne sont pas les ouvriers du FN qui ont voté Sarkozy au premier tour mais plutôt la boutique.

  3. pour faire suite à notre conversation:
    ci-joint le site d’André Bercoff

    http://andrebercoff.blogspot.com/

    PS: exit Cluzel, bonjour J.L Hess: normal
    plus étrange, quoique logique ( 2 copains ), l’arrivée de Philippe Val à la direction de France Inter !!
    Merci Carla, amie de Philou ??
    c’est l’autre anar Font qui doit se retourner… dans sa cellule !
    et quid de la gestion du trublion Guillon ??
    Nicolas nous étonnera toujours autant !

    Bon WE

    F1000

  4. Le village d’Ornans. En ce qui concerne l’Origine du monde, je suppose que c’est déjà fait, non ? Et pour les plus jeunes de mes lecteurs, je ne me permettrais pas de les inciter à la débauche.

Laisser un commentaire

Please enter your comment!
Please enter your name here