Quand la barque Hollande flanche, c’est la France qui prend l’eau

 

On a beau chercher dans sa mémoire, on ne retrouve pas de moment, sous la Ve République, où le pouvoir exécutif a été si affaibli. Même pendant la phase 1991-1993, sous les gouvernements d’Edith Cresson et de Pierre Béregovoy, même dans les pires périodes d’impopularité du couple Chirac-Juppé ou de Nicolas Sarkozy, on ne percevait pas le duo Elysée-Matignon aussi faible.

Conscient du problème, le couple exécutif tente de réagir et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas très heureux. Ainsi depuis  la fin de semaine dernière a-t-on assisté à deux épisodes assez révélateurs de ses difficultés. Samedi, le conseil national du PS se réunissait afin de désigner les têtes de liste pour les élections européennes de mai 2014 qui s’annoncent périlleuses – c’est un euphémisme – pour le parti majoritaire.

Primo, Vincent Peillon affrontera bien, selon son propre vœu, Jean-Marie Le Pen dans la circonscription sud-est, ce qui pose une question : siégera-t-il oui ou non ? S’il annonce vouloir faire campagne sans siéger ensuite à Strasbourg, il aura du mal à l’expliquer aux électeurs. Si en revanche, il affirme vouloir redevenir député européen, il fragilise encore un peu plus sa position de ministre, ce qui, en ces temps de contestation de la réforme des rythmes scolaires, n’est pas une bonne nouvelle pour le gouvernement.

Secundo, la tête de liste pour la circonscription Île-de-France revient à Harlem Désir. En temps normal, il est effectivement logique que le Premier secrétaire conduise une liste afin de représenter le PS dans les débats télévisés ou radiophoniques. Le problèmec’est que Harlem Désir, surnommé « SOS Charisme » par les députés socialistes, apparaît, tous les jours un peu plus comme une erreur de casting. Fin octobre, il avait aussi mis, dit-on, le Président dans une colère noire. Désir l’avait publiquement contredit moins de trente minutes après l’allocution présidentielle sur l’affaire Léonarda. Pour une fois qu’Harlem décide de montrer un peu de  personnalité, c’est pour faire une bêtise au pire des moments. Cette désignation comme tête de liste n’a pas réduit la déprime dans les rangs socialistes. Certains participants au conseil national nous confiaient dimanche leur crainte que leur liste en  Île-de-France batte non seulement le vieux record de Michel Rocard (sur la France entière, en 1994) de 14 % mais, qu’en sus, elle finisse à la quatrième place, derrière les listes UMP, FN et Front de Gauche. Ce qu’on a du mal à comprendre, ce n’est pas que Désir croie en sa bonne étoile, mais que l’Elysée et Matignon n’aient pas tenté d’empêcher cette investiture catastrophique. Voilà un premier épisode qui en dit long sur la faiblesse –ou pire, l’aveuglement complet-  du duo Hollande-Ayrault.

Le second épisode est intervenu ce mardi lorsque le Premier Ministre a annoncé une «  remise à plat » de la fiscalité française. Il s’agirait de déterrer la vieille proposition de fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu, préconisée par l’économiste Thomas Piketty. Le candidat Hollande l’avait reprise à son compte au début de sa campagne. Mais comme cette proposition révolutionne le calcul de l’impôt, qui serait désormais calculé par personne fiscale et non plus par foyer fiscal, il avait consenti à ne pas la porter en bandoulière pour ne pas prêter le flanc aux griefs de Nicolas Sarkozy qui lui reprochait « d’attaquer les familles ». Une fois élu, François Hollande aurait pu néanmoins lancer cette réforme dans les trois premiers mois de son mandat, arguant qu’elle figurait en toutes lettres dans son programme. Profitant de la légitimité que conférait une élection très récente, c’était le moment ou jamais de mener cette révolution fiscale. Tel Nicolas Sarkozy qui avait renoncé à mettre en œuvre la TVA sociale qui lui avait pourtant fait perdre une cinquantaine de députés en juin 2007 (quitte à avoir perdu autant en l’annonçant, autant la faire !), le président de la République a loupé cette occasion unique. Mais la ressortir maintenant alors que le pouvoir n’arrive même pas, effrayé par des bonnets rouges, à appliquer une écotaxe pourtant votée à la quasi-unanimité, prouve que le pouvoir est, littéralement, aux fraises. Il ne sait plus où il va, comment rebondir. Il n’a plus de visibilité au-delà de deux semaines. Jamais pouvoir exécutif n’avait été aussi faible et on peut trouver facilement les raisons qui ont mené à ce désastre.

Depuis début septembre, le Président de la République n’a cessé de ménager la chèvre et le chou alors que la contestation montait au sein même de son gouvernement. Son ministre de l’Intérieur, qui est aussi le plus populaire (voire le seul) de son équipe a été contesté voire attaqué violemment. Il fallait à l’évidence le soutenir, bruyamment, à chaque fois. Au lieu de cela, il a géré l’affaire en Premier secrétaire du PS qu’il fut, a mécontenté tout le monde mais surtout, a montré à la France entière que la contestation était possible puisque Cécile Duflot, par exemple, pouvait  la mener sans que ça n’émeuve le Président de la République. On se désole que le 11 novembre soit pris en otage par quelques siffleurs qui manifestent leur hostilité au Chef de l’Etat, ou que des portiques « écotaxe » soient saccagés, ou encore que des maires refusent d’appliquer le décret mettant en œuvre les rythmes scolaires mais l’exemple de la contestation n’est-il pas venu d’en haut ? L’affaire Léonarda a symbolisé en quelques jours cette séquence de deux mois. Le jour même, l’affaire commence à faire le buzz dans les médias. Dès le lendemain, nous expliquions, notamment grâce aux communiqués de la préfecture du Doubs, ce que l’inspection générale de l’administration avait détaillé trois jours plus tard. Dès le mercredi soir, donc, le Président aurait pu apporter son soutien à Manuel Valls et à ses services, affirmant l’autorité de l’Etat, quitte à prier Mme Duflot de quitter le gouvernement si elle et ses amis persistaient à contester l’autorité de l’Etat. Au lieu de cela, il a laissé dire n’importe quoi dans ses propres rangs, tolérant que certains traînent le ministre de l’Intérieur dans la boue. Même sa compagne fut de la partie. Et il a conclu en beauté, avec la tragi-comédie  « Léonarda peut revenir, mais sans sa famille », ce qui fut immédiatement contesté par la première intéressée, en direct du Kosovo !

Le roi est nu. Mais c’est lui qui s’est dévêtu devant tout le monde. Dans ces conditions, François Hollande devra donner pas mal de coups de rame avant de recouvrer son autorité présidentielle. Encore faudra-t-il qu’il s’assure, préalablement, que la barque est bien dans l’eau et non à terre.

5 commentaires

  1. Bien analysé. Mélanger la CSG et l’IRPP est un piège avec de nombreuses bombes à retardement, ne serait-ce parce que l’on mélange un prélèvement social et l’impôt. On oublie simplement que les objectifs en sont différents, financer la sécurité sociale gérée paritairement (en principe) et financer l’Etat.
    Comme les gouvernements depuis 1992 se sont coupé les deux bras, ils ont transformé l’impôt en moyen d’action pour « modifier les comportements » des Français et ont oublié son rôle premier. D’où des usines à gaz toujours plus compliquées !
    Ici, on balance le bouchon de l’autre côté sans se rendre compte des difficultés !
    C’est le syndrome d’un pouvoir qui n’en est plus un : son unique objectif est de satisfaire les créanciers étrangers de l’Etat jusqu’au stade grec.
    Bon, allez, je vais refaire on passeport pour demander l’asile politique en Albanie !

  2. Bien mauvais tempo effectivement. Qui peut croire que le moindre projet de réforme pourra survivre aux municipales et surtout aux européennes (avec des listes PS à 10-12 %) ?

  3. Je ne suis pas inscrit pour les commentaires sur le site « Causeur ». Peut-être m’inscrirai-je si je pense en écrire plus.

    Mais, je suppose que Jérôme Leroy vient parfois sur ce blog. Ceci pour commenter son article « 1er décembre, enfin une manif de gauche ! »

    Je ne suis plus au PCF et je ne vote même plus pour ce parti (1), mais Leroy fait partie des communistes dont j’apprécie encore les positions.

    Leroy souhaiterait la présence de NDA à cette manif. Moi, je serais bien favorable à une manif rassemblant des gaullistes, des communistes, d’autres républicains contre des politiques au service de la finance mondialisée et aux ordres de l’Union Européenne.
    Dans un commentaire sur « Causeur », David Desgouilles a rappelé le triste épisode de la manif sur la Grèce où NDA avait été expulsé par des gens du NPA et du PG. Je n’y reviens donc pas, d’autant que Leroy déplore aussi cela.

    Sur les « bonnets rouges », Leroy reprend trop à mon goût le langage ouvriériste dont Mélenchon a abusé.
    Certes, je condamne les violences, ici comme ailleurs (2). Certes, une certaine dérive autonomiste me déplait. Notons qu’un de ses représentants est le maire divers GAUCHE de Carhaix, Troadec, proche d’EELV (2).

    Pour le reste : il y avait dans cette manifestation des patrons, des ouvriers, des paysans, des pêcheurs. « Les esclaves suivant leurs maitres » selon les excès de langage de Mélenchon (3). Ajoutons que Mélenchon fait de l’anticléricalisme (il y aurait des prêtres dans la manif) et se veut le successeur des Jacobins (contre les Chouans bretons ?).

    À « Mots Croisés », NDA, au contraire (face à Delapierre du PG qui, par ailleurs, disait ^parfois des choses justes), soutenait le fait que plusieurs classes sociales manifestent ensemble.

    Je rappelle à Jérôme Leroy que, dans les années 70, le slogan du PCF de G. Marchais était « Union du Peuple de France ». Cela signifiait l’union (certes sous la direction de la classe ouvrière, ce qui n’était pas le cas en Bretagne) des ouvriers, paysans, travailleurs intellectuels, artisans, commerçants et PATRONS de PME contre le pouvoir des multinationales.

    De nos jours face à un pouvoir de la finance mondiale bien plus fort (et avec le pouvoir de l’UE), il me semble que ce slogan serait plus valable que jamais).

    (1) En 2002, j’ai voté Chevènement et en 2012 NDA.

    (2) La député EELV, Mme Pompili réclamait à « Mots Croisés » des sanctions fortes contre les violents. Moi aussi.
    Mais, les verts sont mal placés pour réclamer cela. Cf leurs actions violentes (faucheurs OGM, casses de McDo, …). De plus, les verts hurlent contre les « sécuritaires » quand on exige des sanctions contre les délinquants.

    Mme Pompili avait même le toupet de dire que si des « jeunes » de banlieues agissaient ainsi, on enverrait l’armée. Ah bon ? Parce que depuis 30 ans, ils ont souvent fait PIRE (cf novembre 2005) et les sanctions ont souvent été inexistantes.

    (3) Je ne suis pas toujours contre ce que dit Mélenchon. Je crois qu’il a longtemps hésité sur la ligne à suivre. Mais je crains que maintenant, il s’enferre dans un gauchisme sociétal qui déplairait à G. Marchais.

  4. (Suite).

    J’ajoute ceci concernant la différence entre les propos de Mélenchon et le PCF des années 70.

    À l’époque, ce parti avait soutenu les combats de viticulteurs de l’Hérault. Combats dirigés par Emmanuel Maffre-Baugé (1). Ce dernier devint aussi de 1979 à 1989 député européen élu sur les listes Marchais de 1979 et 1984.
    EMB n’était pas membre du PCF. C’était un viticulteur aisé (donc pas un ouvrier). Il était catholique pratiquant (2) et fils et petit-fils de monarchistes.
    Bref, « l’horreur » pour Mélenchon en 2013.
    Mais, EMB était sur la même ligne que le PCF sur l’Europe.

    Leroy parle de la présence de Lutte Ouvrière à la manif du 1er décembre.
    Je n’ai jamais été trotskiste, mais, le groupe dont je me sentirais le plus proche n’est ni LO ni le NPA, c’est le POI de Gluckstein et Schivardi dont les positions sur l’Europe sont assez « gaulliennes » (même si ce groupe n’assume pas cela) et est favorable à une école des savoirs et non de la dispersion « animée », contre le pédagogisme.

    Leroy se félicite des bonnes relations entre le député PCF Alain Bocquet et NDA. Moi aussi . Je me réjouis que Bocquet se déclare « d’accord à 95% » avec NDA.
    Mais, ce n’est pas le cas de Lutte Ouvrière qui a écrit un article « incendiaire » contre ces 2 « affreux nationalistes » :
    http://www.lutte-ouvriere-journal.org/?act=artl&id=3&num=2359

    (1) Il y eut aussi, hélas, des incidents graves avec mort d’homme dans l’Aude. Maffre-Baugé qui était hostile à la violence en fut très affecté.

    (2) Maurice Thorez fut, hélas, un stalinien de choc. Mais, il avait parfois une vision juste : cf la « main tendue aux chrétiens » en 1936.

  5. (suite et fin).

    Donc, la « gauche de la gauche » a condamné les « bonnets rouges » car ce serait (pour reprendre une expression ancienne) de la « collaboration de classe ».

    Et à la suite de cela, elle a participé à une manifestation « syndicale » avec la CFDT.
    Certes, cette dernière centrale est peut-être hostile à la « collaboration » avec les petits patrons. Mais, avec le MEDEF, le CFDT est engluée dans la collaboration depuis un bon moment.

    Quant à la CGT et la FSU (dont l’instituteur retraité que je suis a été adhérent), elles sont en train de dériver sérieusement. Cf le communique commun qu’elles ont signé avec la CFDT, la CFTC et l’UNSA.
    Ces syndicats s’en prennent-ils à la finance, à la politique de l’UE, au MEDEF ?
    Nullement : cette alliance se construit contre « le populisme ».
    « Belle » dérive de ces apparatchiks syndicaux !
    Le dernier à peu près correct, sera peut-être FO ? Quel paradoxe quand on se souvient de l’époque de Bergeron !

    Mais, je crois que ça « passe mal » à la CGT, cf l’article suivant :
    http://canempechepasnicolas.over-blog.com/article-cgt-cfdt-le-tournant-dangereux-par-jean-levy-121307051.html

    Lénine écrivait qu’une révolution est possible quand « ceux d’en bas ne veulent plus et ceux d’en haut ne peuvent plus ».
    Que les dirigeants de la CGT et de la FSU se méfient, ils viennent de prouver (ce dont on se doutait déjà) qu’ils font partie de « ceux d’en haut ».

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