Les dessous d’un retour précipité
Cela ne prend pas. Malgré toutes les dénégations de Brice Hortefeux, les sarkozystes doivent donner raison à Henri Guaino : « Cela va être compliqué ». Depuis que l’ex-président est redescendu dans la mêlée pour partir à l’assaut de l’UMP, il plonge dans les sondages. L’étude d’IPSOS, effectuée samedi et dimanche dernier, donne à cet égard des résultats terribles. Il perd neuf points d’opinions favorables à 31 %; se plaçant loin derrière Alain Juppé (54%) mais, plus grave, derrière François Fillon (36%) et Marine Le Pen (34%). La patronne du FN doit se frotter les mains, elle qui nous prédisait en février dernier : « à chaque fois que je le revois, je retrouve tous ses défauts que les Français ont dû oublier parce qu’il a la sympathie des morts. Les types, ils sont morts et on les trouve vachement sympas. Et puis en fait, quand on le revoit on se souvient pourquoi on ne pouvait plus, pourquoi on n’y arrivait plus. […] Il a vraiment cette manière de faire, ces défauts qui sont insupportables et d’autant plus insupportables que la crise s’est aggravée […] ». Quand on voit les images des sketches de Nicolas Sarkozy reprises en boucle par les télévisions, assis devant les militants, en train de faire rire aux dépens de François Hollande ou d’autres, ou quand on se rappelle son entrée en campagne sur France 2, on ne peut que donner raison aux prévisions marinistes.
Il y a une explication à cette rentrée cahoteuse. Et elle se trouve dans un livre qui est sorti ces derniers jours, co-signé par notre ami, le regretté Philippe Cohen, et Laureline Dupont, aujourd’hui journaliste au Point. Le titre de l’essai annonce la couleur : C’était pas le plan. Cette phrase, prononcée par Nadine Morano, résume à elle seule les causes des actuelles difficultés de Nicolas Sarkozy. Le plan mis en place dès la défaite du 6 mai 2012 était tout autre : c’est le devoir qui devait appeler Nicolas Sarkozy. De Giacometti à Buisson, en passant par Henri Guaino et Brice Hortefeux, ils étaient pourtant tous d’accord. C’était en sauveur, en homme providentiel, qu’il devait revenir, sans doute après les élections régionales de 2015. Certainement pas en prenant l’UMP. Nicolas Sarkozy ne disait-il pas que « Copé avait cassé le jouet » ? Mais il y a eu l’affaire Bygmalion. Alors qu’il avait déjà été évoquée dans la presse quelques mois auparavant, ce scandale a connu son plus grand rebondissement la semaine suivant le scrutin européen qui voyait le parti frontiste devancer l’UMP. Les déclarations de l’avocat d’un des dirigeants de Bygmalion, Maître Maisonneuve, puis celles, larmoyantes, de Jérôme Lavrilleux, directeur de cabinet de Copé et ex-directeur de campagne adjoint de la campagne de Nicolas Sarkozy, ont permis à Fillon et aux autres de renverser la table, en congédiant Jean-François Copé. Sitôt le triumvirat installé et le futur congrès annoncé, Nicolas Sarkozy a dû bouleverser ses plans. Le consensuel Baroin ayant préféré diriger l’association des maires de France, il était suicidaire de laisser Estrosi défier Bruno Le Maire. Et il a donc fallu tout changer. Sarkozy candidat. Sarkozy qui fait le contraire de ce qu’il prévoyait depuis deux ans. L’ouvrage raconte ces deux dernières années dans les coulisses de la Sarkozie. Passionnantes, comme l’est aussi l’annexe consacrée à un entretien entre Philippe Cohen et Patrick Buisson, long d’une trentaine de pages. On y apprend que le gourou, aujourd’hui honni pour cause d’enregistrements aussi intempestifs que compulsifs, considérait qu’il partageait 90% des convictions d’Henri Guaino, leur opposition ayant été montée de toutes pièces. On ne sait comment l’ombrageux Henri a réagi à ce passage du livre. Buisson s’opposait en revanche à Pierre Giacometti et Alain Minc, « les modernes », pas un compliment dans sa bouche. Disgracié, il peut néanmoins compter sur Emmanuelle Mignon et Camille Pascal, restés dans le proche entourage de Nicolas Sarkozy, pour défendre sa ligne idéologique.
Mais la ressource des grands généraux n’est-elle pas de s’adapter ? Nicolas Sarkozy, qui méprise ses concurrents Le Maire et Mariton, devrait prendre l’UMP en novembre. Alors que son entourage visait les 85% symboliques (c’est sur ce score qu’il remporta l’élection en 2004), ses prétentions semblent aujourd’hui moins ambitieuses. S’il devait n’atteindre que 65% (voire moins), il serait affaibli face à un Juppé déjà concentré sur la future primaire. Ce même Juppé qui exhortait –révélation piquante du Cohen-Dupont- Nicolas Sarkozy à ne pas insulter l’avenir en annonçant, le 6 mai au soir à la manière d’un Lionel Jospin, qu’il se retirait définitivement de la vie politique. Le maire de Bordeaux regrettera-t-il cette adresse à son rival d’aujourd’hui ?
C’était pas le plan – Le vrai scénario du retour de Sarkozy, Philippe Cohen et Laureline Dupont, Editions Fayard, 2014.