Entretien avec deux «euroréalistes» du PS et de l’UMP
Guillaume Lelong est membre du Parti socialiste et Thomas Ménagé milite à l’UMP, après avoir participé à la Manif Pour Tous. Tous deux figurent parmi les quatre co-présidents du Collectif « Jeunes euroréalistes » qui regroupe des souverainistes de droite et de gauche opposés à l’Europe de Bruxelles.
Vous avez lancé la semaine dernière le mouvement des « Jeunes euroréalistes », en compagnie d’autres militants politiques, publiant une tribune dans Marianne intitulée « Issus de la génération Maastricht, nous voulons briser le tabou européen ». Quel est le sens de cette initiative ?
Guillaume Lelong : Tout d’abord, il ne s’agit pas d’un mouvement car nous n’avons pas vocation à fonder un parti politique. C’est une association née des réseaux sociaux et transpartisane ayant pour but d’étendre le débat sur la question européenne à la sphère publique, au-delà de partis ayant monopolisés le sujet parce que les autres ont pris peur de le traiter, mais aussi, et c’est important, d’entrevoir quels consensus peuvent être travaillés entre les différents niveaux de souverainismes. En effet, si à titre personnel je suis favorable à la triple sortie, UE, Euro, Otan (ou du moins son commandement), cela n’est pas le cas de tous les fondateurs, loin de là ! Il revient à notre génération, la génération Maastricht, de s’approprier ces sujets pour contribuer à repenser un projet français sur des fondamentaux. Les discours politiques actuels manquent d’un socle intellectuel et idéologique. Qu’en-est-il de l’indépendance française ? Quel projet européen voulons-nous ? Faut-il des coopérations bilatérales avec des pays du monde entier ou le maintien d’un partenariat privilégié (que j’ai tendance à qualifier « d’amour vache ») via une structure supranationale beaucoup moins intrusive que l’UE ?
Ces débats se dérouleront sur Internet mais aussi par le truchement de conférences tant nationales à Paris, que locales dans la mouvance émergente des courants d’éducation populaire.
Thomas Ménagé : La création de cette association est née d’un constat très simple : l’absence totale d’un débat sur l’Europe lors des dernières élections européennes. Puis nous avons souhaité nous réunir entre jeunes, de tous les horizons afin de mettre fin à l’omerta de nos politiques face aux graves problèmes que nous connaissons dont une grande partie est liée à ce refus d’un débat de fond sur l’Europe.
L’association concrètement se veut être une plateforme de réflexion et d’échanges. Les membres grâce à notre site pourront s’informer, réfléchir et écrire. A cet effet certains dossiers seront seulement consultables par nos adhérents afin de nourrir un vrai débat d’idée. L’association se veut avant tout participative. Nous annoncerons prochainement des dates de conférences et de réunions débat ce qui permettra aux adhérents qui nous ont déjà rejoints de se rencontrer autour de personnes reconnues afin d’échanger sur différents thèmes.
La principale critique qui vous a été adressée, c’est d’avoir « ignoré sciemment une large majorité de l’électorat souverainiste ». Cette objection, vous l’avez compris, émane du Front national. D’une certaine manière, ce reproche n’est-il pas fondé ?
TM : Notre association n’a en aucun cas vocation à critiquer le FN, ni même à en parler. Il n’existe aucun combat personnel contre ses militants et ses sympathisants. Nous avons pris connaissance du communiqué du Front national, mais, par notre démarche, nous avons voulu unir des jeunes de gauche et de droite. Ce rassemblement ne pouvait se faire avec ce parti qui ne rassemble pas et aurait eu pour seul effet de diviser ou de s’approprier une nouvelle fois le monopole de la critique de l’Union Européenne. Le Front national reste un moyen aujourd’hui d’assimilation de l’euroscepticisme à l’extrême droite et à des valeurs identitaires. Ce n’est pas ce que nous souhaitons prôner et ce ne sont pas nos valeurs.
GL : Nous n’ignorons pas cet électorat et à terme il faudra que nous réfléchissions à la manière dont nous pourrons le faire participer au débat. Mais nous avons volontairement mis de côté certaines institutions partisanes monopolisant médiatiquement ces sujets pour montrer de façon explicite qu’il revient à tout à chacun de pouvoir critiquer librement la construction européenne et son principe, sans forcément être assimilé à un parti politique en particulier et à tous ses propos relatifs aux questions notamment identitaires ou d’immigration. C’est d’autant plus important à la veille des congrès à venir dans tous les partis politiques français pour les inciter à se saisir des sujets et à briser le tabou européen. Un début de réflexion sur ces thèmes avec une vraie honnêteté intellectuelle faisant fi de la religiosité eurobéate sera, pour la France, un constituant primaire pour un nouveau projet national devenu aujourd’hui inexistant : les discours des starlettes de la politique ne sont-ils pas devenus très creux ?
A titre personnel, je sais qu’à gauche la critique est forte mais souterraine. Arnaud Montebourg n’a pas fait 17% aux primaires citoyennes en 2012 avec un programme de démondialisation par l’opération du Saint-Esprit ! Cependant, l’attachement aux investitures et aux postes de collaborateurs en dissuade plus d’un de s’exprimer publiquement. La dislocation du maillage territorial de la gauche due aux défaites subites lors de ce quinquennat – et à venir – sont l’occasion de redistribuer les cartes.
Le cas d’Arnaud Montebourg est intéressant. Il n’a jamais remis en cause l’euro mais a simplement appelé à l’émergence d’un protectionnisme européen, d’une part, pendant la primaire socialiste, et appelé à une confrontation avec l’Allemagne sur la gestion de l’euro, ce qui lui a valu de graves ennuis cet été. Cet exemple démontre que la remise en cause de la monnaie européenne demeure un tabou difficile à dépasser. De même, de l’autre côté de l’échiquier politique, Henri Guaino est qualifié de souverainiste mais souhaite le maintien de la monnaie européenne. La dissolution de l’euro fait-elle l’objet d’un consensus au sein de votre association ?
GL : Il est vrai qu’Arnaud Montebourg ne s’est pas focalisé sur l’échelon national. Il y a fort à parier que la tiédeur de ses propositions en 2011 qui semblent similaires à ce que propose aujourd’hui Nouvelle Donne, fussent pensées à l’époque pour ne pas brusquer un électorat de gauche qui a oublié que l’internationalisme n’impose pas forcément de partager sa souveraineté avec ses voisins. Les faits sont têtus et mettent de plus en plus en lumière de par la mise en place de traités de libre-échange avec les États-Unis, le Canada ou le Vietnam, que l’UE est intrinsèquement libre-échangiste. Le principe de réalité ne rappelle-t-il pas vite à l’ordre quand on tente désespérément de mettre en place une nouvelle UE qui voudrait protéger de la mondialisation alors que celle-ci héberge en son sein un paradis fiscal duquel, l’ancien premier ministre est aujourd’hui président de la Commission ? Faut-il aussi rappeler que Martin Schulz, candidat à ce poste et présenté comme étant de gauche, n’a eu cesse d’être favorable au traité transatlantique pendant toute la campagne, sauf la dernière semaine . Si Montebourg revient au premier plan de la scène politique, j’ose espérer qu’il aura le courage de ses convictions et qu’il ira jusqu’au bout de son raisonnement, faute de quoi, il aura du mal à convaincre. Il devra sans doute poser sur la table la question de l’Euro de façon franche et prendre conscience que la demi-mesure n’est pas de mise quand les intérêts des pays européens divergent à ce point. Le cas Guaino me semble plus complexe. J’espère que nous pourrons compter sur lui lors d’une conférence pour qu’il vienne partager sa réflexion et nous expliquer comment on peut être souverainiste tout en restant pieds et mains liés à la gouvernance économique commune qu’impose la monnaie unique. En attendant, la dissolution ne fait pas consensus au sein de l’association mais nous pouvons en discuter librement sans se faire traiter de réactionnaires et trouver à terme, je l’espère, une position commune à ce sujet.
TM : C’est Arnaud Montebourg qui, lorsqu’il était encore ministre de l’Economie, s’était défini comme un « euro-critique », dans un duel face à Marine Le Pen. Il a voulu combattre ardemment pour la dévaluation de l’euro. On remarque que si cela s’est produit, à la marge, ce n’est pas vraiment grâce à lui, mais à la panique de la Banque Centrale Européenne. Je pense qu’il sait maintenant que la supranationalité de la monnaie ne permet pas de pouvoir agir sur la politique monétaire de l’Europe entière, surtout avec l’entêtement de l’Allemagne à vouloir une monnaie forte.
À droite, la réaction de l’UMP face à la charge d’Henri Guaino et Laurent Wauquiez durant la campagne européenne m’a déterminé à lancer notre association. Sur la question de l’Euro, Guaino s’est lui aussi exprimé sur le sujet, disant même que « l’euro a été une erreur ». S’il admet cela, il a peur du « saut dans le vide » que serait la sortie de l’euro. Ainsi dans sa conviction profonde, il admet que cette monnaie est un poison.
Dans nos rangs, certains prônent une sortie de l’euro, d’autres le passage d’une monnaie unique à une monnaie commune, d’autres encore restent fébriles sur l’idée d’en sortir, moi y compris. Le constat fait consensus, la solution pas encore, il nous faut donc débattre et avancer argument par argument pour voir les avantages et les inconvénients de cette sortie, afin d’en conclure ce qui sera le mieux pour notre pays, ce sujet sera donc un point essentiel de notre débat. Mais dans tous les cas, nous ne pouvons rester dans cette situation intenable dans laquelle nous place cette monnaie qui ne convient aujourd’hui qu’à l’économie allemande. Concernant ces deux politiques, nous espérons qu’eux comme tant d’autres accepteront prochainement de venir débattre intelligemment de cette question à l’invitation de la jeunesse que nous représentons.
Les signataires de votre manifeste sont à la fois issus des deux grands partis de gouvernement au sein desquels vos arguments se font difficilement entendre, et de mouvement plus modestes (Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan y est sur-représenté) dont vos idées constituent la colonne vertébrale. N’est-ce pas la preuve qu’aucune de ces deux stratégies -tenter de peser dans un grand parti, défendre les mêmes idées dans une petite formation souverainiste – ne s’est jusqu’ici révélée efficace ?
GL : DLF fut sur-représenté parmi les signataires mais le manifeste publié dans Marianne nous a permis d’avoir de nouvelles signatures rééquilibrant en partie les effectifs, notamment à gauche. Mon expérience dans un grand parti m’a montré l’impasse d’une action en interne tant il est irréformable de l’intérieur. A titre d’exemple, voir Martine Aubry -fille biologique et politique de Jacques Delors, ce grand chaman du projet communautaire – être la chef de file des frondeurs tient presque du comique et illustre les postures vides et dépourvues de vision politique qui s’opèrent dans une gauche paralysée. Le combat culturel doit donc s’imposer aux partis de gauche par le corps citoyen non militant et les menacer de Pasokisation. Je crois au déclic populaire à venir.
D’autre part, DLF est un parti encore jeune. N’est-il pas trop tôt pour juger ses résultats alors qu’une dynamique positive semble jouer en sa faveur ? Certes, la logique de la 5ème République n’avantage pas le parti de Nicolas Dupond-Aignan mais ne voyez-vous pas la droite qui est en train de se transformer ? Pourquoi croyez-vous que la Droite populaire a choisi de devenir plus indépendante ces jours derniers en se constituant comme telle ? Les lignes de clivages sont en train de muter.
TM : Oui, la présence d’euroréalistes au sein de tous les partis nous a motivés à créer notre association. Mais aujourd’hui ces militants sont, soit marginalisés au sein de grands partis tels que l’UMP ou le PS , soit dans des partis plus petits, plus jeunes et moins médiatisés tels que le MRC, l’UPR ou DLF par exemple. Notre association a donc pour vocation de nous renforcer mutuellement indépendamment de la route que chacun a choisi, l’important étant d’informer les Français et de débattre le plus largement possible des nombreuses questions liées à l’enlisement de la France au sein de l’Union Européenne. Certes, DLF a été représenté de manière importante mais aujourd’hui l’équilibre revient au sein des nouveaux signataires qui viennent se greffer aux 100 premiers et qui sont issus de tous les partis : PG, MRC, Nouvelle Donne, UPR, UMP… et de nombreux non-encartés qui veulent s’engager et débattre, ce qui témoigne d’une réelle attente.
L’un d’entre vous a été très actif dans la Manif Pour Tous Les débats sociétaux ne supplantent-ils pas depuis quelques mois les débats européens, économiques, monétaires ? À terme, ne risquent-ils pas de faire naître des divisions insurmontables dans votre collectif naissant ?
TM : Au sein de l’association il existe une grande liberté et nous acceptons le parcours de chacun dès lors qu’il n’est pas contraire aux valeurs de notre association. Me concernant, mon engagement dans la Manif pour tous m’a montré qu’il existait aujourd’hui d’autres manières de faire de la politique, qu’il n’est pas forcément nécessaire d’être au sein d’un parti politique pour porter des idées, loin sans faux. La Manif pour tous, au-delà de ses positions et du fond, démontre sur la forme qu’on peut, en dehors de tout parti, influencer le débat politique et ceux qui le porte. On peut constater aujourd’hui que les partis semblent parfois dépassés sur certains points et qu’il est nécessaire de réinventer l’engagement politique au sens noble du terme. C’est cette vocation métapolitique qui est à l’essence même de notre association. Au sein des Jeunes euroréalistes, chacun garde ses idées mais ne met pas en avant son parti afin de garder que l’essentiel : un vrai débat loin des appareils politiques. Nous avons mis en avant ce qui nous rapproche – notre réelle volonté de débat – pour reléguer au second plan ce qui pourrait nous diviser. De plus, notre organisation transpartisane avec un Conseil d’administration doté d’une grande diversité et de 4 co-présidents, garants des différentes sensibilités de nos membres que sont Guillaume, Charles Roehrich, Corentin Balaine et moi afin d’éviter toute personnification de notre association qui aurait pu avoir pour seul effet de nuire à notre volonté de diversité d’opinion.
GL : L’enjeu de cette association est de faire en sorte que les débats sociétaux ne supplantent justement pas les débats européens et économiques sans pour autant tomber dans le piège de « l’économisme ». Comme nous n’avons pas vocation à devenir un parti politique, nous pouvons nous permettre de restreindre nos travaux aux champs thématiques précis de la question européenne, voilà qui représente déjà beaucoup de travail ! Quand on construit une maison, on s’occupe des fondations avant de poser le papier peint.
La couleur du papier peint ? Thomas Ménagé vous rétorquera sans doute que la famille, la filiation, relèvent davantage des fondations !
GL : D’un point de vue anthropologique, je ne saurais lui donner tort s’il venait à me dire ça. Christine Taubira elle-même a dit que c’était une « réforme de civilisation ».
D’un point de vue politique, dans le cadre de la prise de décision pour faire un projet de société, n’est-ce pas plutôt l’échelle de souveraineté choisie pour l’exercice de la démocratie qui prime et qui constitue un socle fondamental pour que le pouvoir soit reconnu comme légitime ? Or, nous sommes dans une association politique.
TM : Je considère les enjeux autour de la famille et de la filiation comme une fondation de la maison, si je reprends la métaphore de Guillaume. Cette fondation est par ailleurs mise à mal par les institutions supranationales européennes. On l’a vu avec la récente décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme – bien qu’il s’agisse là d’une institution européenne mais pas liée à l’UE – vis-à-vis de la GPA ou encore avec les différentes directives venant de la Commission et du Parlement Européen. On le voit encore avec ce gouvernement qui, sous prétexte de réduction des déficits sous l’impulsion de la Commission, porte atteinte à une politique familiale qui est une grande réussite pour la France.
Cependant si la famille est une fondation, elle s’avère fragile et peu viable si elle est touchée par le chômage, la pauvreté, et les fins de mois difficile. Les conséquences de l’Union européenne sur notre économie et notre mode de vie, viennent tuer notre souveraineté et notre cohésion nationale. Et en cela, nous nous rejoignons tous. Enfin, peu importe les opinions de chacun, cette loi sur le mariage pour tous est un sujet tellement majeur qu’il mérite un référendum qui a été réclamé tant de fois. Un référendum, c’est un retour à la souveraineté nationale, et l’association a avant tout été constituée pour défendre les sujets de souveraineté !
Dans la sixième intervention de Thomas Ménagé:
« …qu’il n’est pas forcément nécessaire d’être au sein d’un parti politique pour porter des idées, loin sans faux ». Hum….Avec un « x »…..
Cette « faux » n’est-elle pas un bâton pour se faire battre?