Le tribunal correctionnel de Dijon a rendu son verdict. Jean-Paul Laligant, instituteur près de Saulieu, a été condamné en première instance à 500 euros d’amende avec sursis, ce qui lui vaudra une inscription à son casier judiciaire.

Rappel des faits[1. Pour davantage d’informations, vous pouvez notamment vous reporter à l’article du Bien Public.]. En septembre 2008, des élèves de sa classe de CM1 viennent le voir pour l’informer qu’un de leurs camarades « montrait son zizi ». Il a alors demandé au gamin en question de venir à son bureau et, sortant de son cartable le cutter dévolu aux travaux manuels, a exhibé ce dernier en lançant sur le ton de la plaisanterie : « Je coupe tout ce qui dépasse ». Il s’en expliquera plus tard avec les parents de l’élève. Fin de l’histoire, croit-il naïvement.

Car, deux mois plus tard, il a la mauvaise surprise de se retrouver en garde à vue à la gendarmerie la plus proche. L’histoire a fini par arriver aux oreilles de la maréchaussée qui, semble t-il, a trouvé les mots pour convaincre les parents du gosse de déposer plainte. Pour se rendre compte du mal que gendarmerie et Parquet se sont donnés pour coincer ce dangereux terroriste, les parents retireront même leur plainte plus tard, ce qui n’éteindra pas les poursuites à son encontre. Finalement, le tribunal a suivi les réquisitions du Parquet : Jean-Paul Alligant est bien coupable (sic) de violence sur enfant de moins de 15 ans. L’élément intentionnel serait, d’après le substitut du procureur, constitué par la « volonté de faire peur, d’intimider l’enfant ».

Il n’est pas ici question de discuter cette décision de justice même si, l’accusé ayant fait appel, celle-ci n’est pas définitive. Je préfère réfléchir sur cette drôle d’époque dans laquelle un instituteur, bien noté, est traîné devant la justice pour un tel motif. Comme le dit un parent d’élève, soutien de l’instituteur, lequel d’entre nous n’a pas entendu un enseignant lancer à un élève trop bavard qu’il allait lui couper la langue ? Et, heureusement, ce dernier n’est pas traduit en justice[2. Pour combien de temps ?]. Convenons donc que c’est bien le zizi qui pose problème. Comment la gendarmerie et le parquet[3. Et même l’inspecteur académique de Côte d’Or qui a suspendu le prévenu, lui accordant en plus de son silence radio sur l’affaire, l’aumône du maintien de son traitement. Ouf !] souhaitaient-ils que le maître d’école réagisse ? Il ne faut pas faire peur à l’enfant et ne pas l’intimider. J’en viens donc logiquement à penser qu’il ne fallait pas non plus l’humilier. Horreur. Pas question, donc, d’utiliser une formule comme : « Ce n’est pas avec ça que tu vas faire peur à tes petites camarades », formule  que certaines femmes à la répartie facile ont pu utiliser efficacement en rencontrant un homme nu sous son imperméable. Pas question non plus de tenter le célèbre : « Range ça, tu vas prendre froid. » Encore que, en septembre dernier, la grippe A n’était pas encore là. Ces deux expressions, n’en doutons pas, n’auraient pas trouvé davantage grâce auprès des autorités susnommées en raison de leur caractère exagérément humiliant et pouvant générer des séquelles psychologiques importants. Et les gamines qui voyaient l’engin de leur camarade pendant la classe ont-elles été traumatisées ? Pas davantage, certainement, que le gamin en question devant le cutter.

Mais j’ai la faiblesse de penser que si Jean-Paul Aligant avait été inerte devant l’acte d’exhibition de l’élève et qu’il se soit trouvé un parent pour s’en plaindre, on lui aurait reproché de ne pas avoir alerté les autorités compétentes et donc empêché que celles-ci déclenchent l’ouverture d’une cellule psychologique dans la classe, voire toute l’école, et promette au gamin un suivi particulièrement drastique.

Ce qu’on reproche à Jean-Paul Aligant, en fait, ce n’est pas d’avoir été violent. C’est de ne pas avoir suivi les nouveaux codes de l’époque. Tout doit être judiciarisé. Tout est psy. L’enfant a toujours raison[4. On croyait pourtant qu’avec Outreau, on en avait fini avec cette bêtise. Pas de bol !]. Et en matière pédagogique, l’improvisation n’a pas sa place. La pédago, c’est scientifique. Comme le reste, cela obéit à des protocoles :  H.A.C.C.P[5. Hazard Analysisis Critical Control Point (Analyse des dangers – points critiques pour leur maîtrise.) ; il s’agit d’une méthode mise au point par la NASA et qui a été importée en Europe surtout dans le domaine de l’hygiène alimentaire. Mais pas seulement : aujourd’hui, dans de nombreux secteurs (la comptabilité, l’administration, etc.) on met en place ce genre de protocoles en Europe alors que les Américains, eux, seraient davantage enclins à les abandonner] for ever !

Je vais vous faire un aveu : je ne suis pas très optimiste. Ce procès, celui de cet instituteur, n’est que le premier d’une longue liste. Bientôt, ce n’est pas seulement à l’Ecole qu’il faudra faire attention à nos mots mais sur notre lieu de travail, dans la rue même. Pas de blague cochonne sans harcèlement sexuel. Évidemment, pas de plaisanterie sur la religion[6. Toute règle a son exception : en l’occurrence, ce sont les cathos] ni sur le handicap. Le nouveau puritanisme ne semble pas beaucoup plus sympathique que l’ancien[7. Sur ce sujet et notamment l’évolution du « politiquement correct », on relira la note que j’avais consacré à l’affaire DSK-Guillon, Don Juan n’est pas un rigolo]. Pour inverser la tendance, il va falloir beaucoup de boulot. Et encore faut-il en avoir la volonté.

10 commentaires

  1. « Il n’est pas ici question de discuter cette décision de justice »

    Hmm… Contrairement à ce qui se dit souvent, il est possible de commenter une décision de justice. C’est remettre en cause l’institution judiciaire qui risque d’attirer des ennuis.

    « Ce qu’on reproche à Jean-Paul Aligant, en fait, ce n’est pas d’avoir été violent. »

    En revanche, il est manifestement loisible à tout un chacun de faire de la fiction… Comme ici.

  2. @Irène Delse

    Libre à vous de penser qu’il s’agit d’une fiction de ma part. Jamais on aurait considéré comme violente cette phrase il y a encore dix ans. C’est ce que j’ai tenté -sans doute maladroitement, puisque vous ne l’avez pas compris- d’expliquer ici.

  3. Je ne sais pas ce qui te fait dire que la gendarmerie a trouvé les mots pour inciter les parents à porter plainte, car connaissant la gendarmerie, ils font preuve de plus de discernement que cela. Mais tu as peut-être d’autres infos. J’espère que ce n’est pas une attaque gratuite de cette institution qui reste une des seules à tenir la route et ce serait dommage de la discréditer.

  4. @Franc Soit

    En lisant le dossier de presse concernant cette affaire, il semble bien que ce soit malheureusement le cas. Ce n’est pas une attaque gratuite contre la gendarmerie, institution que je respecte énormément et dont je déplore qu’elle soit l’objet d’attaques de la part de Nicolas Sarkozy qui la méprise.
    Mais la gendarmerie est une institution humaine et, en l’espèce, il est tout à fait possible que, comme toutes les autres institutions, cette petite gendarmerie puisse être dirigée par un imbécile. Imbécile qui s’est bien entendu avec l’idiot de substitut du procureur.

  5. Lorsque j’étais petite, si je rentrais de l’Ecole en disant : la maîtresse m’a grondé et donné une claque ; je reprenais une aussi sec.

    Après on discutait éventuellement avec la maîtresse si c’était justifié.

    Un enseignent pourrait être nous dire ce qui aurait dû dit dans cette circonstance.

    Je trouve que cette judiciarisation du système est dépirmante, déplaisante et grave.

    Bientôt, on ne pourra plus rien dire ou faire sous peine de le voir écrit dans son casier.

  6. Enseignant moi-même en lycée professionnel et donc confronté quotidiennement à ces formes de « délinquances » ou déviances verbales ou même physiques de la part d’élèves (certes minoritaires mais chaque année un peu plus nombreux), je pense que la réplique de l’enseignant offensé fait d’autant plus l’objet de soupçon et de procès d’intention de la part des parents des élèves auteurs de ces méfaits, qu’elle renvoie ces parents à leurs propres insuffisances et carences en matière d’éducation de leur progéniture.
    La question est de savoir pourquoi depuis quelques années les autorités ministérielles et judiciaires suivent et encouragent cette tendance en condamnant de plus en plus fréquemment des enseignants qui dans la plupart des cas ne peuvent être accusés de faute professionnelle. C’est probablement un des effets de l’idéologie ultra-libérale tendant à la marchandisation des services publics, dont l’école, qui veut que l’usager devienne « un client » et que le client est roi. Sauf qu’il ne paie pas dans le service public, du moins hors impôts. La preuve a contrario : on peut remarquer que ce genre de situation ne se produit pratiquement jamais dans l’enseignement privé . Pourquoi ? Dès lors que le client (les familles) paie pour un contrat auquel il a souscrit (le règlement intérieur) et que « prestataire de service » (l’école privée) est libre de congédier le client en cas de rupture de contrat, le client-parents demande à sa progéniture de respecter le contrat. On pourrait déduire de mon propos: « Vive l’enseignement privé made in USA : A bas l’enseignement public laïque et obligatoire à la française ! » Ce serait la pire des erreurs et une catastrophe pour une grande partie de la société.
    La solution réside bien évidemment dans une autre politique au service de l’école publique, prenant en compte effectivement, pratiquement, concrètement les difficultés posées par un public scolaire en difficulté de plus en plus nombreux, victime de la crise générale de la société. Cette politique devrait permettre aux enseignants qui y font face quotidiennement de pourvoir les gérer et les résoudre. Ce qui repose les nombreuses questions des moyens, de la formation des enseignants, des structures d’encadrement, de direction et d’aide éducative, des finalités et programmes d’enseignement, de l’orientation, des effectifs, …
    C’est pourquoi, face à de tels incidents, les discours de nos responsables pour plus contrôle et de répression policiers (caméras, contrôles d’identité…) et pour un retour aux anciennes méthodes, ne sont que démagogie et hypocrisie. D’abord parce qu’ils incitent les enseignants à des actes de répression et donc à des risques de dérapages pour lesquels ils se font condamner. Ensuite parce que ces discours ne représententent en rien des propositions sur le fond des problèmes.
    Voilà pourquoi, le métier d’enseignant du public devient chaque jour un peu plus impossible et dangereux notamment en fin de primaire, en collège et en lycée professionnel.

  7. Vous souvenez-vous de ce suicide d’un prof d’éducation physique, en 1997 ?
    Un de ses élèves, 13 ans, mécontant d’une remontrance, l’avait accusé d’attouchements.

    Garde à vue musclée, sans l’ombre d’une raison.

    De retour chez lui, le prof, déstabilisé, s’était pendu, et le gamin s’était retrouvé en prison.

    Grâce soit rendue à Ségolène qui a pondu une circulaire qui interdit, en principe, le seul-à-seul adulte-enfant à l’école.

    Et pas d’encouragement genre caresse sur les cheveux (je ne parle pas de jeunes filles ados, mais de petits enfants, tout petits, à peine visible à l’oeil nu).

    Je ne sais plus qui a dit ou écrit « trop de lois tue la loi »…

    Merci à D.D. pour cet excellent article.

    FR.

  8. @Corvielle

    Vous récitez votre prêt-à-penser antilibéral, sans voir que si on en est arrivé là, c’est à cause de l’idéologie de gauche bisounours contre toute forme de punition ou de réprimande, même verbale, et surtout à l’endroit d’un enfant, innocent par définition. Ajoutez à ça un réflexe dedéfense clanique de certains parents ou le culte de l’enfant-roi chez d’autres, et vous aboutissez à un laxisme qui fait prospérer chez quelques enfants pervers un sentiment de toute-puissance, d’absence de frein paternel ou légal à leurs envie d’appropriation (racket, violences, bandes…).

    On ne peut pas toujours tout résoudre par « des moyens supplémentaires » ou « une autre politique pour l’école ». Il s’agit de laisser la possibilité aux enseignants de faire observer un minimum de discipline, comme nous l’avons connu nous-même à l’école, sans pour autant qu’on nous donne des coups de règles !

  9. @Covielle et Gaëtan B.

    En fait, l’idéologie ultra-libérale et la mise en berne de la notion d’Autorité sont toutes les deux filles de Mai 68 libertaire et anti-étatique.
    Même la notion d’enfant-roi n’a pas été découragée, loin s’en faut, par le « Marché » car synonyme de débouchés intéressants.

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