Nos dirigeants devraient écouter attentivement le réquisitoire de Christophe Guilluy dans « La France en face ». Sinon, ils pourraient se prendre la France en pleine face…
France 2 diffusait l’autre lundi La France en face, documentaire accablant sur l’état de notre société métamorphosée par trente ans de mondialisation.
Conseiller technique et fil rouge de l’émission, le géographe Christophe Guilluy y développe le constat de son dernier livre sur les nouvelles « Fractures françaises ». Il est loin, le temps des Trente glorieuses où partout dans le pays, toutes les catégories sociales pouvaient prendre l’ascenseur social – tombé en panne depuis et jamais réparé.
Désormais, explique t-il, deux France se font face : d’un côté les grandes métropoles dynamiques, qui totalisent 80 % du P.I.B. pour 40 % de la population ; de l’autre… tout le reste du pays, en état de « fragilité sociale », où la vie quotidienne s’apparente souvent à de la survie.
C’est par centaines que les usines ferment chaque année, victimes d’une concurrence sans frontières. Une concurrence à laquelle nos industriels n’ont pas pu, ou pas voulu s’adapter… À moins que ce ne soit nos syndicats, ou les deux ? Sur cette délicate question, le doc n’apporte pas de réponse.
En revanche, l’ancien sidérurgiste auquel il donne la parole ne fait pas prier, lui, pour incriminer les fonds de pension et les patrons : « Autant prendre une corde pour les pendre…Parce qu’ils ne méritent que ça ! »
Mais le témoignage le plus frappant est sans doute celui de Bahija, aide à domicile d’origine marocaine qui élève seule ses deux enfants. Devant son intervieweur médusé, elle explique pourquoi elle a voté et revotera Marine Le Pen : « Elle n’est pas contre les gens comme moi qui travaillent, elle est contre l’assistanat ! » Et d’enchaîner posément, pendant que l’autre avale son micro : « Même s’ils me renvoient chez moi au Maroc, c’est pas grave… La priorité, c’est aux Français ! »
Dans le monde paysan, la situation n’est pas plus réjouissante. Chaque jour, en France, un agriculteur se suicide. Une maraîchère explique : « Il faut savoir que, quand on vend au grossiste, on ne choisit pas notre prix. C’est l’acheteur qui décide du prix de la salade. » Pour survivre, elle a créé une association et vend directement sa production aux consommateurs adhérents. Bientôt le troc ?
Autre image de cette France majoritaire et pourtant oubliée, cette jeune femme originaire de Firminy (Loire) qui, malgré son diplôme universitaire, n’a jamais réussi à y trouver un véritable emploi. Alors, après une succession de « petits CDD, CDI de merde », elle a rejoint sa copine d’enfance à Montpellier : là, les deux amies comptent ouvrir un camion-restaurant bio pour cadres bobos pressés…
Au lieu de chercher des issues personnelles, il arrive aussi que ces « invisibles » décident de se manifester au grand jour, comme on vient de le voir en Bretagne. Mais pour faire entendre leur voix, les « bonnets rouges » ont dû sortir quelque peu de la légalité pour verser dans l’émeute, voire dans la jacquerie.
Attention, Messieurs du Château ! On sait comment ça commence, mais on sait aussi comment ça finit…
Article publié dans Valeurs Actuelles, le mercredi 6 novembre 2013