Chars en caoutchouc pour l’opération « Fortitude » : et si le monde libre avait été sauvé par l’humour anglais ?
Vu sur D8, un documentaire intitulé La face cachée du Débarquement. La partie la plus intéressante est sans conteste celle qui revient sur l’opération Fortitude, supercherie grandiose dont la seule évocation a le don de me mettre en joie. Ce n’est pas tous les jours que la guerre est drôle !
Dès 1943, pour faire diversion au débarquement prévu l’année suivante en Normandie, Churchill conçoit un plan machiavélique et rigolo : créer un leurre pour persuader les Allemands que l’intervention alliée aura lieu dans le Pas-de-Calais.
Le premier ministre britanique charge donc une unité ultra-secrète, la London Controling Section, de créer une immense armée fantôme de quarante divisions, le tout en caoutchouc gonflable ! L’anecdote veut même qu’un fermier du coin, voyant quatre soldats anglais porter un tank à bout de bras, se soit exclamé : « Ils doivent avoir de sacrées rations, dans l’armée ! »
Des milliers de faux chars, camions, avions et armes lourdes sont installés dans les plaines du Kent, et des centaines de barges du même métal dans le port de Douvres… Et ça mord ! Comme prévu, les survols aériens ennemis confirment l’existence d’impressionnantes forces massées juste en face de Calais…
À cette armée de comédie, baptisée pour faire sérieux First U. S. Army Group (FUSAG), il manque un chef digne de ce nom. Le général Patton, que les Allemands admirent et redoutent, accepte de jouer ce rôle et multiplie de bonne grâce les tournées d’inspection bidon dans le caoutchouc. « Teufel ! » se disent les Boches, comme dans mes B.D. d’enfant : un général de son rang et de sa classe est forcément à la tête d’une grande armée !
Pour parfaire encore l’illusion, les services anglais ont recours aux services d’un agent double espagnol, Joan Pujol Garcia. Engagé sous le nom de code de « Garbo », en hommage à la star, ce jeune homme déborde d’imagination. Il s’invente un réseau de vingt-sept « espions » prétendument recrutés dans toute l’Angleterre, et inonde Berlin six mois durant de faux rapports, qui confirment tous peu ou prou ce fameux bobard de guerre : le FUSAG stationné dans le comté Kent serait fort d’ « un million d’hommes » (au diable l’avarice !)
Non seulement le piège est bien fichu, mais Hitler n’a pas le même sens de l’humour que Churchill. Bref il tombe dans le panneau, et fait masser l’essentiel de ses troupes en face de paisibles baudruches… Ça ne mérite pas un bon cigare, ça ?
On peut se demander si l’opération Overlord, déjà beaucoup plus difficile que prévu, aurait pu réussir sans ce coup de bonneteau génial, qui éloigna des plages normandes au bon moment une bonne partie des forces ennemies.
Une private joke géante au service de la victoire : qui dit mieux ? Ça mérite bien qu’on entonne tous ensemble, en l’honneur de Churchill, un God save the Queen en forme de karaoke d’estrade…
[Article publié sur Valeurs Actuelles]