Les invités de François Busnel ont à peine 380 ans à eux quatre, mais ils ont plus de souvenirs que s’ils avaient mille ans…
Sur le plateau de La Grande Librairie l’autre jeudi, « quatre grands témoins du XXème siècle », annonce dans sa présentation François Busnel. De fait, les invités ne sont pas nés de la dernière pluie ; comme dit l’une d’eux, Marceline Loridan-Ivens, « à nous quatre, nous avons près de 400 ans »
Mais ni leur âge ni ce qu’ils ont vécu n’empêche cette joyeuse bande de « seniors » d’être en pleine forme. Déportée à quinze ans, Marceline Loridan-Ivens fut, comme son nom l’indique à moitié, l’épouse du cinéaste Joris Ivens. Elle retrace son parcours dans un livre, Ma vie balagan, dont on ne nous expliquera hélas pas le titre.
Si l’animateur se garde de révéler l’âge exact de Marceline, galanterie oblige, en revanche Georges-Emmanuel Clancier est fier d’avoir fêté le mois dernier son centième anniversaire. L’écrivain est célèbre notamment pour Le Pain noir, adapté à la télé en 1974 par Serge Moati ; une saga familiale dans le Limousin de 1870 à 1918. Roman ? Pas seulement : l’auteur fut quand même le témoin direct des quatre dernières années…
Jean-Louis Crémieux-Brilhac n’a que quatre-vingt dix sept ans, et il en fait vingt de moins ! Figure de la France libre, il en est devenu l’historien. Aujourd’hui, dans De Gaulle, la République et la France libre, il explique comment le combat du Général à Londres eut pour but non seulement de chasser l’occupant, mais de préparer la reconstruction de l’État.
Ce qui intéresse le plus Busnel, ce sont les Mémoires de Guerre : « Quelle est la part de la vérité historique et celle de la construction légendaire ? » Crémieux-Brilhac répond avec un art consommé de la nuance. D’une part, De Gaulle raconte ici sa guerre, pas celle de la France libre, même s’il en fut le chef. D’autre part, ce récit historique ne va pas sans quelques arrière-pensées politiques : publiés en pleine traversée du désert, les Mémoires ont aussi pour but d’en sortir.
À 93 ans, Daniel Cordier, ancien secrétaire de Jean Moulin, est le benjamin de cette assemblée, au moins côté garçons. Les garçons, justement, c’est le sujet de son livre, Les feux de Saint-Elme. Dans ce récit autobiographique, il raconte sa passion adolescente pour David, un élève du même âge que lui.
L’essentiel tient en deux (jolies) phrases : « Un jour, j’avais treize ans, je me suis dit : « Eh bien, au fond, c’est lui ! » raconte Daniel Cordier sur le plateau. Et Busnel de citer la fin du livre : « Le regret de ma vie est celui de cette histoire que je n’ai pas vécue. »
Touchant, à coup sûr, mais pas tout à fait vrai ! Cordier a un autre regret, qu’il va révéler lorsque l’animateur prétend lui reparler de « sa guerre » : « Mais je n’ai pas fait la guerre, malheureusement, puisque je n’ai jamais tué un Boche ! C’est mon désespoir ! »
Après ce coming out là, à l’heure où tout le monde ne parle que « dialogue franco-allemand », Daniel Cordier a eu de la chance de ne pas être arrêté par les gendarmes à la sortie du studio de télé…
[Article paru dans Valeurs Actuelles]