Eléments incontrôlés
Publié ici en cinq épisodes, ce texte figure en avant-propos de l’anthologie Les Pastiches de Jalons, récemment paru aux éditions du Cerf.
En 1984, nouvelle loi Savary ; sauf que là, c’est du lourd ! Le projet de création d’un « grand service public unifié et laïc de l’éducation nationale » suscite un vaste mouvement d’hostilité, officiellement soutenu par l’Église et toute la droite, au nom de la défense de l’« École libre ». Les manifs se multiplient un peu partout ; elles culmineront à Paris le 24 juin avec une démonstration géante (850 000 personnes rien que d’après la police).
Nous avons notre slogan : « Peppone t’es foutu, Don Camillo est dans la rue ! ». Reste à trouver sous quelle banderole faire entendre notre petite différence, malgré un rapport de force largement défavorable. C’est Gaston Defferre, alors ministre de l’Intérieur, qui va voler à notre secours. La veille de la manif, il déconseille solennellement au bon peuple de s’y rendre, en raison de la présence d’ « éléments incontrôlés » susceptibles de provoquer des incidents. On la tient, notre idée !
Le lendemain, nous sommes donc au rendez-vous, à l’heure dite ou presque… De toute façon, il n’y a pas le feu : non sans élégance, nous avons décidé de laisser passer en premiers Lustiger, Chirac et leurs ouailles. C’est seulement après eux, et quelques heures de patience, que nous sortirons notre calicot « Éléments incontrôlés ».
Comme je l’espérais il fait son effet, y compris auprès des journalistes présents :
– C’est quoi, ça ? disent-ils, désorientés ;
– Vous êtes avec les autres, ou pas ?
– Mais non, tu vois bien qu’ils déconnent…
– C’est pas les mecs de Jalons ? risque même un érudit.
Et moi d’expliquer à la presse le « sens de notre action » : « Le ministre a annoncé la présence d’“éléments incontrôlés”. Avec cette banderole, ils vont tous se regrouper autour de nous, et comme ça les flics pourront les embarquer plus facilement ! » La tête des journalistes vaut à elle seule le déplacement. Jouissance ultime d’un foutage de gueule réussi : cet instant d’égarement dans les yeux de l’autre, quand soudain il ne sait plus trop qui est fou.
Dès l’aube des années quatre-vingt, notre groupe s’est doté d’un « fanzine » présentable : Jalons, mensuel sensuel, qui n’est bien sûr ni l’un ni l’autre. Ça ne l’empêche pas de trouver un écho médiatique favorable auprès des Libé et Charlie Hebdo de l’époque, qui ne manquent pas de chroniquer chacun de nos numéros.
Quant au nom de Jalons, à l’origine je l’ai choisi pour son côté sérieux, limite chiant, genre revue d’études jésuite ; quand on veut inonder la presse de communiqués bidons, comme nous nous y amusions alors, il faut avoir une adresse de boîte postale passe-partout.
Et puis très vite on en a eu assez d’entendre, à chaque fois qu’on débarquait en fac : « Tiens, on va rigoler, voilà les Nuls ! » – alors qu’en fait c’était eux. On a donc renoncé à la FNCN au profit de l’appellation Jalons, précédée pour plus de clarté du label Groupe d’intervention culturelle. Un choix conforté, quelques années plus tard, par l’apparition sur Canal+ des vrais Nuls.
[A suivre…]
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