La France brûle, et les apothicaires politiques proposent leurs remèdes : reconstituer le tissu associatif, mis en pièces par les coupes budgétaires, remettre sur pied les polices de proximité, auxquelles on a reproché d’instaurer parfois le dialogue avec la supposée « racaille », envoyer les jeunes sauvageons en pré-apprentissage à 14 ans, ce qui remontera sûrement le niveau, et réhabiliter les grands ensemble — ou les dynamiter, ce qui paraît curieusement être la même chose dans l’esprit des professionnels de la rustine.
Et si l’on commençait par réformer l’école, cette école à deux vitesses, collèges-choc contre lycées-chic, ghetto perpétué contre promotion garantie ? Tout le monde s’accorde à dire que l’ascenseur social est en panne, et que cette école de l’échec fabrique les ilotes dont le système semble avoir besoin…
Tout le monde ? Non : une poignée d’irresponsables, formés à la « pensée-Meirieu » comme il y eut jadis une pensée Mao Tse Toung, affirme contre toute évidence que le niveau monte (où ? Au lycée Henri IV, peut-être…). Que jamais les élèves n’ont su autant de choses (quoi ? Le SMS-tel-qu’on-le-cause ?). Et si échec il y a, c’est que les réformes engagées en 1989, les programmes refondus dix ans plus tard, n’auraient pas été, ne sont toujours pas appliqués à fond…
Quand on aura cassé tous les thermomètres, aurons-nous encore la fièvre ?
Ces réformes sont l’une des causes majeures de la désespérance des banlieues. Les moutards qui harcèlent la police, brûlent les voitures de leurs voisins, de leurs parents, et pillent les grandes surfaces, sont le pur produit de vingt ans de pédagogie nouvelle. Il n’est pas indifférent que tant d’établissements scolaires aient été incendiés, à Grigny ou ailleurs. On brûle ce que l’on a cessé d’adorer.
Que l’on attaque des commissariats, à la bonne heure ! Ils sont, à tort ou à raison, les symboles du tout-répressif ; que l’on saccage les magasins, pourquoi pas ? Quelle idée, aussi, d’interposer une vitrine ou un rideau de fer entre le désir des déshérités et ces objets si merveilleusement inutiles dont la télévision fait l’inlassable promotion… Mais des écoles ?
Détruire, c’est encore appeler au secours. Les émeutiers s’en prennent à la cause la plus profonde de leur marginalisation.
En dévaluant le savoir au profit su « savoir-être », en jouant les gadgets existentiels contre la culture, en supprimant des centaines d’heures de français, alors même que les enfants ne le parlent pas, et ne le liront jamais, l’école a renoncé à donner une base solide à des gosses assis entre deux cultures. La vraie violence, elle est là, dans ce refus obstiné à intégrer, par l’école, par un travail obstiné, une exigence sans faille, les laissés-pour-compte de l’éducation. Des décennies durant, l’école a permis l’assimilation de tous ces étrangers si fiers aujourd’hui d’être Français — à commencer par les parents des jeunes émeutiers d’aujourd’hui. Des décennies durant, elle a autorisé les plus pauvres à croire en leurs capacités — et au petit Albert Camus, orphelin élevé par une mère analphabète dans le quartier le plus pauvre d’Alger, de devenir… ce qu’il était. Même si tous n’accédaient pas aux plus hauts postes, l’élitisme républicain menait chacun au plus haut de ses capacités. Et non tout le monde au Bac ou à la Licence, escroquerie majeure qui dévalue les examens, les formations techniques ou artisanales, et fabrique des générations de frustrés, puisque ces diplômes si facilement acquis ne débouchent sur rien.
Désormais, quand on est né dans la rue, on y reste. Comment des gamins déçus, déphasés et démotivés n’éprouveraient-ils pas de haine pour une institution si globalement inefficace ? Les enseignants se battent désormais contre leurs élèves — pour leur bien —, parfois contre leurs parents, toujours contre les consignes officielles, relayées, assénées par les zélotes des IUFM.
La sélection, la sélection rampante, impitoyable, qui privilégie les « fils et filles de » et renvoie les autres à leur néant et à leurs HLM, est le pur produit d’un système qui prétend justement donner à chacun sa chance. Avec de fausses bonnes intentions et des slogans si discrètement démagogiques (« l’élève au centre ! »), on a rabaissé les exigences au niveau des plus faibles. Sans parvenir à produire, à tous niveaux, les élites dont nous avons besoin, et que nous irons bientôt chercher en Inde, en Corée ou en Chine.
Nous sommes en 1788. Les émeutes actuelles sont des émeutes de la faim. Si, demain, nous ne voulons pas la Terreur, il est plus que temps de donner à manger et de penser pour l’école une vraie stratégie de rupture. Il faut rendre l’espoir et l’ambition à des jeunes qui, privés de repères, se retournent vers le premier prêt-à-penser disponible, le plus simple à comprendre pour des cervelles pré-formatées au vide. Il faut tuer en eux le Crétin qu’on y a implanté.