L’une des preuves du délitement de l’Education peut être trouvée, comme le remarque l’une des commentatrices éclairées de ce blog, dans le transfert de responsabilités de l’Ecole aux parents.
Rappel des faits : après 1968, l’Ecole s’ouvre aux parents. On les admet, lentement, dans les conseils de classe, on ne les traite plus tout à fait en pestiférés. Mais le prestige des enseignants est alors encore tel que bien peu de parents, même désemparés, se seraient amusés à conseiller un instit ou un prof sur ce qu’il avait à faire, encore plus à contester ses méthodes.
La contestation est entrée dans les classes au fur et à mesure que la profession se dégradait.
Deux preuves. D’un côté, de plus en plus de parents, en CP, décident d’apprendre à lire tout seuls à leurs enfants — d’où l’explosion des ventes de la méthode syllabique Boscher, qui n’est pas des plus fraîches pourtant, au second trimestre : plus de 80 000 exemplaires vendus chaque année, et pas à des enseignants. D’où l’explosion des ventes de tout le para-scolaire, qui fait véritablement, en ce moment, la fortune des éditeurs. Ceux qui les achètent consentent au fond, délibérément, à payer un double impôt pour l’éducation de leurs enfants — l’impôt direct prélevé par l’Etat, qui devrait en théorie suffire, et un impôt continu, accepté dans la douleur, au gré des achats de manuels parallèles, des cahiers de vacances et autres recueils d’exercice.
Parents (et souvent, grands-parents) ont décidé de prendre en main les choses que ne fait plus l’école, et d’enrayer, si possible, les désastres annoncés. D’un autre côté, de plus en plus de parents déscolarisent leurs enfants, les mères (souvent) prennent sur elles de cesser de travailler — et c’est une perte globale de substance et de talents pour le pays — pour faire classe à leur(s) rejeton(s). Le CNED fournit une aide précieuse, même si apparemment elle mérite d’être prise, parfois, avec des pincettes, le pédagogisme ayant frappé là comme ailleurs (et tout témoignage précis sera bien reçu). Il y a encore vingt ou trente ans, la proportion d’enfants qui évitaient le système était extrêmement faible, et ne concernait, souvent, que des cas difficiles — ou des surdoués auto-proclamés comme Luc Ferry, qui, lorsqu’il était ministre, se flattait très haut de ne pas avoir fréquenté l’école à partir de la Seconde. Pauvre chéri s’y ennuyait ferme, paraît-il — sans compter que les jeux de ses camarades étaient peut-être un peu trop chahuteurs…
Aujourd’hui, les parents pallient donc les insuffisances des enseignants — qui ne sont pas celles des personnes, mais celles des programmes et des méthodes qu’on leur demande instamment de mettre en œuvre. Ils pallient aussi le scandale du recrutement des enseignants : pour être « professeur des écoles », comme ils aiment à dire pour marquer le fait qu’ils sont devenus fonctionnaires de rang A, il faut une licence – n’importe quelle licence, psycho, socio ou arts appliqués, quelque chose qui est un titre universitaire sans aucun rapport avec ce qui s’enseignera, et qui finalement n’est jamais appris : quand les enseignants futurs font-ils vraiment des maths ? Quand étudient-ils la littérature — et pas la littérature-jeunesse taillée sur mesure dont on voudrait nous faire croire qu’elle est autre chose qu’un vaste exercice de non-stimulation de l’esprit ? Quand réapprennent-ils l’orthographe ?
Alors, à tous ceux qui passent — avec succès — des heures à enseigner, à la maison, aux chèrtes têtes blondes, ou brunes, ou rousses, bravo — même si ce bravo n’est pas dépourvu d’amertume, car il mesure l’échec du système.

JPB