Aujourd’hui, mardi 31 mars, le Proviseur du lycée Thiers m’a convoqué, avec mon excellent collègue Alain Beitone, sur lequel j’avais pondu, il y a peu, une Note mal inspirée que j’ai d’ailleurs décidé de modifier en profondeur.
En effet, j’y traitais cet éminent agrégé de SES (et non « agrégé de rien », comme le disait un internaute de façon un peu vive) de « crétin », « pleutre » et « hypocrite ». Pour aggraver mon cas, il y était suspecté de manquer des organes essentiels de la reproduction — du moins, est-ce ainsi qu’il a décrypté certains sous-entendus.
Il n’en est rien. Monsieur Beitone, qui a porté plainte pour ces agaceries, a exigé que je me rétracte publiquement. Dont acte : Alain Beitone n’est ni crétin, ni hypocrite, ni pleutre. Et il est tout à fait équipé pour donner naissance à des enfants qui lui ressembleront, j’espère.
D’ailleurs, rien dans le comportement de Monsieur Beitone, depuis deux semaines (et près de 1500 posts plus tard) qu’a paru ma Note ne peut me laisser suspecter qu’il soit un hypocrite ou un pleutre. Certes, il a préféré se plaindre à un collègue, puis à l’administration, et pour finir au ministère, plutôt que de me rencontrer face à face dans un établissement gros comme un mouchoir de poche. Rien de pleutre dans son attitude. Il a insisté pour que trois représentantes du Conseil d’Administration, qu’il n’avait pas franchement informées de l’objet du débat, soient présentes — afin qu’elles prennent note des injures supplémentaires que pourrait lui valoir, en direct live, une attitude aussi débridée que la mienne. Mais aucun mot déplacé n’est sorti de l’enclos de mes dents — ni « crétin », ni « pleutre », ni « hypocrite ».
Le proviseur lui ayant demandé gentiment ce qu’il attendait de moi pour retirer sa plainte, et en finir avec des gamineries qui ont occupé certains de ses élèves de Khâgne alors qu’ils ont un concours difficile dans trois semaines, il a exigé que je m’excuse publiquement de l’avoir traité de crétin, de pleutre et d’hypocrite, et d’avoir suggéré que son équipement sous-abdominal n’était pas complet.
Rien dans ces justes revendications ne peut m’inciter, ni quiconque, à le traiter de pleutre. C’était bien son droit : la loi sur la presse de 1881, comme il me l’a gentiment fait remarquer au cours d’une conversation qui fut constamment courtoise, m’interdit sur un blog, dont je suis responsable, de traiter quelqu’un, et Alain Beitone moins qu’un autre, de crétin — a fortiori de pleutre ou d’hypocrite. Le fait que j’aie publié un livre sur l’Ecole intitulé « la Fabrique du crétin », et qui dénonce les attitudes équivoques des pédagogistes, leur responsabilité dans la crise qui frappe aujourd’hui l’enseignement, leur aveuglement devant les dégâts qu’ils ont commis, ne me rend en rien propriétaire du mot « crétin », que je l’applique aux dits pédagos, que je supplie a posteriori de bien vouloir m’excuser, ou à Alain Beitone, qui se réclame de leurs analyses, mais qui n’est en rien un pleutre, ni un hypocrite — encore moins un crétin.
D’ailleurs, Alain Beitone enseigne à l’IUFM d’Aix-Marseille : à ce titre, il ne peut être un crétin — ni un pleutre.
De plus, Alain Beitone se proclame de gauche : il ne peut donc être ni un crétin, ni un pleutre, ni un hypocrite.
Loin de moi l’idée qu’il puisse préparer l’avenir en plaisant aujourd’hui au ministère Darcos, et demain à un ministère dirigé par le jeune Bruno Julliard, récemment désigné responsable du secteur Education du PS. Monsieur Beitone n’est pas un opportuniste : il a des convictions. Par ailleurs, il est agrégé de Sciences Economiques et Sociales : comme il a à peu près mon âge, quoiqu’il fasse plus jeune, grâce au physique avantageux qui est le sien, il a dû bénéficier d’un système d’enseignement qui faisait la part belle au par-cœur, à la transmission verticale des savoirs, aux coups de règles sur les doigts et aux bonnets d’âne. Il est donc normal qu’aujourd’hui Monsieur Beitone, qui n’a rien d’un hypocrite ni d’un pleutre, répudie le système qui lui a permis d’être ce qu’il est, et souhaite pour tous les élèves, et tous les enseignants, des apprentissages qui fassent la part belle à l’interactivité, à la construction par l’élève de ses propres savoirs, au respect des cultures plurielles, et à l’autonomie des équipes pédagogiques, appuyées par une hausse rapide et spectaculaire des « moyens ». Comme on le verra à la lecture des pièces du débat, Alain Beitone a la plus grande révérence pour les savoirs savants, et s’il admoneste (oh, bien gentiment, sans morgue ni mépris) les sociétés savantes qui avaient cru bon d’objecter poliment à une réforme à laquelle le ministère a depuis renoncé, c’est dans l’esprit de franche camaraderie typique du milieu enseignant. En aucun cas, en reprochant aux dites sociétés savantes d’avoir omis dans leur diatribe le mot « IUFM » et les Sciences de l’Education (sur elles la paix et la sagesse !), il n’a fait preuve de cet esprit partisan, étroit, bouché, qui est trop souvent le mien, dans mes ratiocinations désespérées sur une Ecole qui se meurt…
J’ai donc aujourd’hui, pour la première fois, rencontré le grand Alain Beitone ! Grâces en soient rendues au créateur de toutes choses sous le ciel pédagogique, Philippe Meirieu ! La paix descende sur Pierre Frackowiack, Jean-Michel Zakhartchouk, Lubin et tous les autres phares de la pensée constructiviste ! Gloire ! Gloire ! Ni les uns ni les autres ne sont des crétins plus ou moins diplômés, et ils ont bien le droit, eux, de me traiter de nazi, chemise brune, fasciste et autres mots d’amour. Qu’ils persistent ! Oui,
« …traitez-moi de perfide,
D’infâme, de perdu, de voleur, d’homicide.
Accablez-moi de noms encor plus détestés.
Je n’y contredis point, je les ai mérités… »
En lieu et place de ma Note originelle, dont je veux effacer jusqu’au souvenir (ah, maudite mémoire, qui me rappelle pourtant, au beau milieu de ma contrition, que j’ai osé traiter ce bon monsieur Beitone de crétin, de pleutre et d’hypocrite !), je laisserai juste les pièces du débat. Chacun jugera de mon infamie — j’en veux, la corde au cou, faire l’aveu sur la place publique : oui, j’ai pu traiter l’ineffable Beitone de crétin ! Oui, j’ai ajouté « pleutre », et « hypocrite » ! Honte à moi !
Que faire pour me faire pardonner ces vilains mots de « crétin », « pleutre », etc. ? Porter un cilice ? Lire les œuvres complètes de Philippe Meirieu ? Venir pieds nus au lycée ? Quitter le SNALC et m’inscrire au SE-UNSA — ou, mieux, au SGEN ? Demander ma carte au PS tendance Royal ? Dites-moi, mon bon monsieur Beitone, éclairez-moi ! Sur le chemin de Damas que j’emprunte aujourd’hui, déjà je purifie mon vocabulaire, et j’oublie, à jamais, que j’ai traité un jour Alain Beitone de pleutre, d’hypocrite et de crétin.
Ainsi soit-il…
Jean-Paul Brighelli
PS. Je demande instamment aux élèves qui passeraient ici, qu’ils soient les miens ou ceux de l’excellent Alain Beitone, de s’abstenir de tout commentaire. On ne sait jamais où peut vous conduire un mot déplacé, de nos jours. Et comme l’humour est la chose au monde la moins partagée…