L’un des commentateurs avisés de ce blog, Bernard Jouët, professeur de Lettres (classiques) à Cholet (les mouchoirs rouges !) écrit :
« Il m’a semblé que vous étiez attaché comme beaucoup de collègues à l’institution du baccalauréat (même si l’actuel machin vous apparaît comme dérisoire). Personnellement, je me bats depuis toujours avec acharnement contre cet examen… Ne croyez-vous pas qu’il est l’un des obstacles majeurs à toute évolution, puisqu’il amène à confondre la fin et les moyens – ou, si l’on veut : tant que l’on fera des études pour avoir le bac et non pour se cultiver, le système sera pervers. »
Et d’ajouter :
» Vous paraissez choqué par le fait que chaque établissement puisse délivrer (ou non) un diplôme qui ne serait plus unique et commun. En quoi est-ce gênant ? Est-ce que les écoles en aval ne sauront pas rapidement reconnaître les pratiques vertueuses et les établissements démagogues ? N’est-il pas profondément moral que tel petit lycée où les pratiques pédagogiques sont efficaces se voie valorisé ? Si l’on donne au professeur toute liberté d’enseigner comme il l’entend (ce qui me semble la base), pourquoi ne pas aller jusqu’au bout ? »
Ce sont des questions essentielles, auxquelles je suis en train de tenter de répondre dans la suite du « Crétin » (à paraître vers la fin du mois). Mais je peux indiquer vers où vont mes préférences.
Le Bac est entraîné, aujourd’hui, dans une longue spirale de dévaluation. Un ouvrage récent, l’Inflation scolaire (Marie Duru-Bellat, Seuil), montre fort bien que plus on fait fonctionner la planche à diplômes, plus on dévalue l’examen.
Nous en sommes actuellement à 81% de reçus — près de 65% d’une classe d’âge, comme aiment à dire les administratifs. C’est à peu près les résultats du Certificat d’études dans les années 60, avant qu’il ne tombe en désuétude et ne soit plus passé (et définitivement aboli au début des années 80). En clair, plus on a de reçus, plus la signification même de l’examen est brouillée.
Le (seul) problème pour supprimer le Bac, c’est qu’il est aujourd’hui le sésame de l’enseignement supérieur. Certes, les formations les plus intelligentes (les BTS ou les IUT comme les Classes préparatoires) ne se fient guère au diplôme, et opèrent d’ailleurs leur sélection sur lecture du livret solaire — entre autres. Mais nous allons tout droit vers un système où chaque formation supérieure, chaque Fac, inventera un procédé de filtrage — examen d’entrée, par exemple : et sur quels critères ?
Dans l’absolu, je suis absolument d’accord sur le principe : l’école, le collège, le lycée, n’ont d’autre fonction que de donner une culture — et le Bac n’est plus en rien le marqueur de cette acquisition.
La question du « diplôme maison » décerné par tel ou tel établissement ne se posera pas, probablement, au niveau du lycée : nous allons vers un système à l’américaine avec un double niveau, « college » — au sens USA — et « university (idem), où le premier recrutera en fonction de la notoriété, du séreux du lycée précédent dans le cursus, et où la seconde recrutera sur concours : en clair, les facs vont probablement se structurer comme autant de grandes écoles — l’extrême qualité en moins.
J’ai un peu peur que dans le processus, que je vois arriver très rapidement (et toutes les prévisions de l’OCDE, par exemple, cet organisme théoroqiuement « économique » mais qui a un pouvoir considérable dans l’élaboration des politiques éducatives, vont dans ce sens), on passe par une phase — peut-être obligatoire — de grande disparité et d’inconséquences. Les « classements » des établissements secondaires pubiés par la presse chaque année sont d’une objectivité très discutable. Il faudrait inventer des paramètres plus sûrs que ceux mis aujourd’hui en place — et j’attend les suggestions sur l’établissement de nouveaux critères hors Bac.
Enfin, dans un système où les écoles dépendent des municipalités, les collèges des Conseils généraux et les lycées des Régions, j’ai un peu peur que chaque potentat local n’invente un critère taillé sur mesure. Quitte à passer pour un jacobin acharné, il me semble qu’un critère national unique est encore le meilleur garant d’une certaine objectivité.
Et là, qui déterminera le critère ? L’Inspection ?
(Ici, long rire douloureux).
Je crois à la qualité des équipes pédagogques, sans me faire d’illusions sur la façon dont localement ces équipes sont noyautées par les créatures des IUFM. Je crois à la qualité des enseignants, mais je suis en même temps lucide : nous en connaissons tous qui sont adeptes de la reptation.
Ce qui nous amène à une question plus générale qui est celle de la mesure, de l’évaluation en général. Vous savez tous que nous ne notons pas du point de vue de Sirius, si je puis dire. Nous fabriquons une note en soupesant (parfois plusieurs secondes…) la valeur intrinsèque d’une copie, ou d’un élève, sa valeur dans le groupe, dans la région, par rapport à sa classe, son milieu, que sais-je… Il n’y a à peu près qu’en Prépas que l’on dit la vérité des prix. Et c’est une vérité qui n’est pas de mise à tous les niveaux.
Voilà. Je suis dans l’indécision, tout en reconnaissant que le Bac n’est pas sauvable — ni dans sa forme actuelle, ni en soi — à court terme.
À vous de proposer des solutions.
JP Brighelli.