Luc Chatel s’est exprimé hier mardi 9 mars (1) sur la douloureuse question du remplacement des enseignants absents.

En même temps, le ministre reconnaît que nous ne sommes pas plus absents que les autres catégories socio-professionnelles. Contrairement à ce qu’affirme la PEEP, qui lance en même temps sa croisade annuelle de démagogie appliquée, il n’y a pas d’absentéisme enseignant — j’en profite pour expliquer aux apprentis en langue française qu’absence n’est pas absentéisme : l’absence est un fait, l’absentéisme une décision. On est absent dans l’enseignement parce qu’on est malade — ça arrive —, parce qu’on est en sortie scolaire (j’ai déjà dit dans la Fabrique du crétin ce que je pensais de l’abus des sorties pédagogiques — mais peut-être faudrait-il changer de pédagogie), ou parce qu’on est en stage — c’est chronique : on envoie les profs faire une foultitude de stages à droite et à gauche, pour assimiler rapidement de nouveaux programmes, pour apprendre à faire du yoga avec Sébastien Clerc, pour former les formateurs et les futurs formatés, pour écouter les conférences pédagogiques d’inspecteurs pédagogiques régionaux qui n’ont pas forcément quelque chose à dire mais qui doivent bien légitimer leur fonction, et j’en passe.

(Disons-le tout net : si les enseignants ne sont pas plus absents que les autres catégories de travailleurs, cela tient à la fois du miracle et de l’hyper-conscience professionnelle. Dans un métier où les conditions minimales pour enseigner ne sont plus réunies — des élèves techniquement décents, sachant lire, écrire, compter et bavarder discrètement —, où la violence est quotidienne, où l’administration trop souvent tarabuste les enseignants qu’elle devrait soutenir, une profession très majoritairmeent féminine où la tentation du bébé et du cocooning long est à portée de trompes, qu’il n’y ait justement pas plus d’absentéisme qu’ailleurs devrait être salué par le ministre — au lieu d’être stigmatisé)…

Que propose le ministre aux abois ? Délocaliser les TZR (Titulaires sur Zones de Remplacement, je le signale à ceux qui, comme ce journaliste qui m’a appelé hier, ignorent les appellations contrôlées de la cuisine interne du ministère), qui pourront désormais prendre le TGV pour aller effectuer des remplacements dans des provinces éloignées ; suggérer aux « jeunes retraités » de rempiler ; et recruter des Licenciés en Fac — ou, variante, des « mères de famille » (2).

Monsieur le Ministre, vous devriez le savoir : à force de fonctionner à flux tendus, à force de supprimer des postes de titulaires, des TZR, il n’y en a plus, ils sont tous déjà en poste annuel instable.

Monsieur le Ministre, vous pourriez le savoir : des étudiants recrutés (par petites annonces souvent) pour remplacer des profs, cela se fait depuis vilaine lurette. Inutile de s’interroger sur le niveau effectif desdits étudiants : il est insuffisant. Je sais bien que la Licence est officiellement « Licence d’enseignement ». Je me rappelle ce que m’avait dit un conseiller de Darcos — « si les facs délivrent des diplômes d’enseignement à des étudiants incompétents, elles n’ont qu’à assumer » : la Licence était jusqu’à cette année la condition nécessaire pour passer les concours de recrutement, mais le simple fait de préparer un concours permet souvent de monter son propre niveau, et de façon notable souvent. Mais jeter des étudiants en pâture à des élèves qui n’en demandaient pas tant, est-ce bien raisonnable ? Confier des enfants à des étudiants, est-ce bien intelligent ?

Monsieur le Ministre, un homme qui comme vous s’efforce de faire des économies de bouts de chandelles ne va pas embaucher des « jeunes retraités » — cela coûte très cher, un retraité, parce que ça se paye sur son dernier taux horaire, ou alors c’est une discrilmnation qui ravira la Halde — au sommet de son grade, en général.

<!–[if !supportEmptyParas]–> <!–[endif]–>

La réforme du lycée, en supprimant des heures de-ci de-là (3), a fait de son mieux — mais cette solution est exsangue avant même d’avoir servi. Peut-être pourrions-nous envisager la solution américaine : un élu de l’Utah, qui est en cessation de paiements, suggère de supprimer le 12th grade, comme ils disent là-bas — c’est-à-dire la Terminale (4). En voilà une idée qu’elle est bonne !

<!–[if !supportEmptyParas]–> <!–[endif]–>

Et l’arrivée sur des postes pleins de néo-titulaires dès septembre prochain, dans le cadre du « nouveau CAPES » (mais qui lâcheront leurs classes pendant quelque semaines — il faudra les remplacer — avec qui ?) ne va pas arranger les remontées acides des organisations de parents…

<!–[if !supportEmptyParas]–> <!–[endif]–>

Vendredi, la plupart des organisations syndicales non scélérates (5) appellent à manifester contre les lubies ministérielles : comment leur donner tort ? Nous en sommes à deux doigts d’un démantèlement global de l’Education Nationale, qui n’aura plus rien de national, et qui n’enseignera plus grand-chose.

Ah, j’allais oublier : les enseignants sont absents parce quils font grève ! Mais Monsieur le Ministre, renoncez à des initiatives malheureuses, ouvrez de vraies discussions, envisagez sérieusement une refonte du système, à commencer par une révision générale des pédagogies, et tout le monde sera enchanté de faire cours — nous sommes là pour ça ! Déjà qu’on s’y crève, donnez-nous des raisons d’espérer, et on s’y décarcassera. Mais abandonnez 900 000 enseignants comme vous êtes en train de le faire, et ça se passera dans la rue — parce que même les syndicats les plus croupions ne parviendront à juguler la colère.

Aucun cataplasme sur jambe de bois ne remplacera une formation rigoureuse (pas une mastérisation à la va-vite, mais un enseignement repensé de la Maternelle à l’Université dans un objectif d’ambition efficiente). Aucun expédient désespéré, aucun remède héroïque, comme on disait autrefois, ne peut se substituer à un recrutement pensé sur plusieurs années. Aucune heure de soutien ou d’accompagnement éducatif ne remplacera les heures supprimées dans nombre de matières — à commencer par le Français (6). Cela coûte cher ? Allons, Monsieur le Ministre, il est bien des manières de faire des économies sans trancher dans la viande ! Pensez un instant au nombre infini d’administratifs haut placés, de toutes farines et de toutes incompétences, que vos services rémunèrent grassement, et depuis des années !

Par exemple… Autant balayer chez soi, et proscrire au moins l’absentéisme des siens : Josette Théophile, l’actuelle DGRH rue de Grenelle, n’était pas présente lundi à la FPMN — Formation Paritaire Mixte Nationale. Oh, ce n’est pas joli-joli de laisser tout seuls des syndicats sans défense !

 

Jean-Paul Brighelli

 

PS. Eric Zemmour vient d’en faire le sujet de sa chronique sur RTL : http://www.rtl.fr/fiche/5935625958/eric-zemmour-tous-les-parents-beniront-luc-chatel-les-enfants-le-maudiront-video.html

<!–[if !supportEmptyParas]–> <!–[endif]–>

<!–[if !supportEmptyParas]–> <!–[endif]–>(1) http://www.leparisien.fr/societe/le-plan-chatel-pour-mieux-remplacer-les-profs-09-03-2010-841137.php. L’info a été reprise dans le Monde : http://www.lemonde.fr/societe/article/2010/03/09/luc-chatel-s-attaque-au-non-remplacement-des-enseignants_1316351_3224.html

(2) On ne le sait pas assez : avoir trois enfants donne depuis des années la possibilité d’enseigner dans le Primaire — si ! La compétence est dans les ovaires — ça, ça va faire plaisir à Eric Zemmour !

(3) http://pascettereformdeslycees.org/

(4) http://washington.blogs.liberation.fr/great_america/2010/02/comment-d%C3%A9penser-moins-supprimer-la-terminale.html

(5)Et je regrette que Luc Cedelle, dans le Monde, obnubilé par la défense tous azimuts des pédagogistes et de ceux qui les soutiennent, en arrive à applaudir la réforme Chatel, et à critiquer, in fine, le SNES et le SNALC qui s’y opposent, contrairement au SGEN et au SE-UNSA qui ont décidé d’aller à la soupe : http://www.lemonde.fr/societe/article/2010/03/09/lycee-pas-de-revolution-juste-une-reforme-de-fond_1316487_3224.html#ens_id=1229424

(6) Autant le redire encore et encore : la massification tant célébrée par les pédagos de tout poil a desservi prioritairement les plus  humbles, les plus démunis, ceux qui justement ne trouvent pas chez eux un aliment culturel que l’école pour tous, comme ils disent, ne leur fournit plus non plus.