Pauvres petits ! Ils avaient cru notre dernière heure arrivée — et par ricochet, la leur allait sonner… Et patatras, le gros méchant virus, au lieu d’éliminer prioritairement les « boomers », risque de se révéler létal pour les petits jeunes qu’il a épargnés. Fatalitas !
Je suis de cette génération née dans les Trente Glorieuses à laquelle la « génération Z », pondue entre 1997 et 2004, répond unanimement, dès que nous disons quoi que ce soit : « Ok, boomer ! » — étant entendu que leur très faible niveau scolaire leur interdit l’exercice de la contradiction structurée. « Ok, boomer ! » est une sorte de pet verbal qui prétend mettre fin à toute conversation : « D’accord, tu peux bien dire ce que tu veux, c’est ton avis, ce n’est pas le mien, et tu vas crever bientôt, à moi la place… »
Sauf que ça ne va pas se passer ainsi. Oh, nous allons dégager, forcément — et d’ailleurs, nous dégagerons avec des retraites plein pot que les chers petits paieront pendant une bonne vingtaine d’années avec les très maigres salaires qu’ils récolteront – leur lot probable étant le chômage, les fast-foods, le travail à temps partiel dans des emplois sans qualification et les longues pauses devant TF1.
Jean-Pierre Robin s’est fendu le 11 mai d’une tribune fort documentée sous le titre « J’ai vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. » Bel hommage à Nizan qui n’en demandait pas tant, et qui aurait été fort étonné d’apprendre qu’il survivrait dans les pages Economie du Figaro. Après avoir rappelé que la « Génération Z » n’a connu aucun des désagréments du baby-boom (pas la guerre d’Algérie, en tout cas), ni de ceux de la génération suivante (le chômage à deux chiffres, le SIDA, et l’arrêt de l’ascenseur social, vu que ma génération, fort nombreuse, bloquait tous les étages), après avoir souligné que les « Z » sont nés avec Internet au bout des doigts, il explique que ce « Ok boomer » est une façon de dire : « Arrête, vieux schnock ! On t’a assez vu et entendu. Tu as assez dominé le monde du haut de ta stature de vieux mâle occidental. Dégage ! »
Le « dégagisme » prôné plus ou moins par LREM a d’ailleurs eu du succès auprès de ces jeunes crétins-là — même s’ils ne votaient pas encore en 2017.
Autre avantage des « Z » : ils sont à peu près imperméables au Covid-19. « En France aucun jeune de 15 ans ou moins n’est décédé, alors que les 15-44 ans concentrent 1% des morts, et les 45-64 ans 10%. Pour compléter la statistique ad nauseam quotidiennement, 18% des décès frappent la classe d’âge de 65 à 74 ans, et 71% des 26310 morts que la France déplore avaient plus de 74 ans », précise Jean-Pierre Robin.
Ça, c’est le volet sanitaire. Mais si l’on observe le volet économique, c’est une autre histoire : les retraités ne sont plus là, les « boomers » ont été étêtés et les survivants se le tiendront pour dit, ils vont jouir désormais de ce qui leur est alloué d’existence… Mais le chômage des jeunes, qui entre 2007 et 2011 avait augmenté de 3,1 points de pourcentage selon l’INSEE va très probablement bondir dans une économie déprimée.
Allons plus loin. Les derniers boomers encore actifs ont été suffisamment balayés ou échaudés pour que cela crée un appel d’air très profitable à la génération qui attend patiemment depuis le milieu des années 1990 — celle des quadras. À eux les rares avantages de la sécession des grands anciens, qu’ils appelaient d’ailleurs de leurs vœux depuis une bonne dizaine d’années, en piaffant à la porte.
Et justement, par la porte entr’ouverte par le déconfinement, dans les mois à venir, ce sont eux qui se précipiteront. Aux « Z » resteront les emplois précaires, décrochés après quelques années d’études (le système préfère entretenir des étudiants que des chômeurs, c’est moins cher), et pour une toute petite poignée d’entre eux, quelques rares postes de cadres que leurs aînés, nés dans le creux démographique des années 1970, auront bien voulu leur laisser. Ce sera plus par charité que par reconnaissance de la compétence, les quadras-quinquas sachant à quoi s’en tenir sur la compétence des « Z », admirablement formés — et ce n’est pas ma faute — à ne rien savoir ni savoir faire par une pédagogie habilement mise en place pour dégager 90% d’une masse taillable et corvéable à merci — eux-mêmes…
En s’attaquant aux « boomers », les « Z » ratent la cible : nous ne leur faisons pas d’ombre — sinon idéologique, étant la dernière génération qui a appris à réfléchir sérieusement. Leurs ennemis directs, ce sont leurs pères et mères. Et dans le conflit immémoriel qui dresse les enfants contre leurs parents, parions que dans l’état de faiblesse et d’impréparation qui caractérise les « Z », ils vont se faire laminer. Les quadras sont au pouvoir, ou vont achever d’y arriver, pour les trente ans à venir. Pour les « Z », trente ans de petits boulots et d’adulescence prolongée. Cette génération est un ratage complet, qui s’est d’ailleurs inventé des divinités à sa mesure — Judith Butler ou Greta Thunberg.
Franchement, vu du haut de mon grand âge, c’est assez drôle. Les boomers ont connu l’amour libre, grâce à la pilule arrivée opportunément sur le marché lorsqu’ils ont été en âge de copuler. Ils ont même connu la révolution — celle des mœurs, au moins. Ils ont été portés sur les épaules d’enseignants exigeants et cultivés. Ils sont même passés au travers des années SIDA (dans mon cas, je me demande encore comment, franchement, les petits, il n’y a pas de justice), ils ne sont pas forcément morts de la première vague du corona — quoi qu’aient pu me souhaiter les « Z » auxquels je faisais cours. Caramba, encorrre raté !
Soixante ans de rigolade : le rideau peut tomber à n’importe quelle heure, nous nous serons bien amusés. Nous leur laissons très volontiers le monde en proie au néo-libéralisme, aux communautarismes revendicatifs, au terrorisme, aux conflits planétaires à venir mais déjà là, au chômage toujours recommencé, avec un océan qui lentement mais sûrement inondera les 10% de terres où vit 90% de l’humanité. Et c’est à nous qu’ils lancent « Ok, boomer » ? Pauvres petits !
Jean-Paul Brighelli
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