En décembre dernier, j’ai été auditionné par une commission parlementaire qui se penchait sur la mise en œuvre du « socle de compétences » inscrit dans la loi Fillon, et plus particulièrement sur la façon dont la classe de Troisième en général, et le Brevet en particulier, se proposaient d’évaluer la maîtrise de ce socle (1).

C’était un soir de pluie. Il était tard. La commission fut patiente, et m’écouta. Poliment.

Le rapport sera rendu public mercredi prochain, mais l’AEF (1) en a révélé l’essentiel.

En attendant, son président, Jacques Grosperrin, député UMP du Doubs, qui n’attendait que ça pour avoir son quart d’heure de gloire, comme disait Warhol, se répand sur les ondes (2) — entre autres à propos du Brevet des collèges, dont il préconise la refonte totale — et, dans la foulée, suggère de repenser complètement le collège…

Jacques Grosperrin, c’est ce député qui se présente à ses collègues comme PDG — lisez « Prof De Gym, kolossale finesse d’un garçon né à Baden-Baden — et qui a enseigné les Sciences de l’éducation aux sportifs de l’université de Besançon.
Ils en ont, de la chance, dans le Doubs…
Morceaux choisis et commentaires.

(1) Voir http://bonnetdane.midiblogs.com/archive/2009/12/04/socle-mon-beau-socle.html

(2) Dépêche AEF n°129834.

(3) http://www.rtl.fr/fiche/5937603689/les-auditeurs-ont-la-parole-du-1er-avril-2010.html

http://www.france-info.com/chroniques-l-invite-de-18h15-2010-04-01-luc-chatel-pas-question-de-supprimer-le-brevet-des-colleges-425021-81-192.html


Que M. Grosperrin ait été prof de gym n’est pas tout à fait fortuit : ce fut sans doute la première discipline à être subjuguée par le pédagogisme, qui n’est ni de droite ni de gauche, étant entendu qu’il y a des imbéciles, des crapules et des libéraux partout. L’EPS, c’est cette discipline où l’on utilise des référentiels bondissants, dont toute notion de compétition a été exclue depuis vilaine lurette, et qui, pour combattre un complexe sans fondement, a voulu une « agrégation de gym » (1981), s’est imposée dans les emplois du temps — au mépris des biorythmes — comme dans les conseils de classe, et a infiltré les sciences de l’éducation en y imposant les grilles de compétences qui ont envahi désormais la pédagogie. Et nous savons tous que le pédagogisme est un anti-intellectualisme, et que les Sciences de l’Education sont la niche écologique de ceux qui ne savent rien d’autre — ce qui les autorise, en toute logique, à mépriser tous les autres.

Entendons-nous : le Brevet dernier cri inventé par la DGESCO est un monstre tricéphale — examen final en Français / Maths / Histoire-Géo, contrôle continu sur l’année et évaluation binaire du « socle de compétences » — autant additionner des torchons et des lanternes. Quant au Collège, c’est l’espace de tous les dangers, la pierre de touche de la baisse de niveau. J. Grosperrin le dit lui-même : la France scolaire, explique-t-il, arrivait au dixième rang de l’OCDE en 2000, était 13ème en 2003, 15ème en 2006. Il sait que « fin troisième, 15% des élèves n’ont aucune compétence, et que 30% ont des difficultés » — constat évident. Sans compter, constate-t-il, que la violence gagne. Enfin, il sait comme nous que 150 000 jeunes sortent du système, fin Troisième, voyageurs sans bagage d’un système onéreux et inopérant. Il est urgent, dit-il, de le « refonder ».

Ça, c’est le diagnostic — encore que, dit la Commission, il ne faut pas « adhérer pour autant à la noirceur excessive de M. Jean-Paul Brighelli » — et moi qui croyais être resté sobre, ce soir-là…

Et quand passent les cigognes et que débarquent les solutions…

« Le collège, dit notre PDG, est l’endroit où l’on souffre le plus, parce qu’on y a de mauvaises notes » — et de nous ressortir la « constante macabre » de l’illustre Antibi (1). Donc, conclut l’Illustrissime, il faut « sortir de ce modèle de notes » : nous supprimerons conjointement le stress d’examens qui sont autant de « concours déguisés », et l’injonction faite aux enseignants de « mettre de mauvaises notes », cause première et dernière de la violence — si !

Si « les enfants ne savent plus grand-chose », il faut nécessairement « changer le mode d’évaluation », « sortir du disciplinaire » et mettre enfin les connaissances « au service des compétences ». Par exemple, suggère-t-il, un Brevet bien compris pourrait mettre en place des épreuves de conversation téléphonique, en langues, ou d’expédition d’un mail à un patron, en Français. L’essentiel est de donner confiance aux enfants, afin de les entraîner à, « prendre la parole en public » : la commission s’est paraît-il déplacée dans quelques collèges, elle n’a pas dû essayer les bons, où la prise de parole en public (« Hé bouffon, tu te la pètes, enculé de ta mère, ‘spèce de bolo ! ») n’est manifestement pas un problème pour les élèves les plus en difficulté. Il faut sortir des habitudes strictement disciplinaires, apprendre à travailler en commun, le collège est un « lieu de vie », pas un « endroit où l’on sanctionne ». C’est prioritairement le Français, les Maths et l’Histoire-Géo (ah, le bon vieux complexe !) qu’il faut réformer — trois thermomètres à casser, et le malade n’aura plus la fièvre.

Comme le Brevet affiche, peu ou prou, les mêmes résultats que le Bac (82% de réussite), et qu’il coûte cher (6,5 millions d’euros — contre 70 millions pour le Bac…), il est évident que les propositions de la Commission des Affaires culturelles vise, in fine, l’examen final du système scolaire français, déjà dégradé — mais qui sans doute « peut mieux faire », grâce aux conseils avisés de Jacques Grosperrin et consorts. Comme le rappelait vendredi Natacha Polony, qui a si mauvais esprit, dans le Figaro (2), « comme le collège unique a vidé de sa substance le certificat d’études, supprimé en 1989, l’allongement progressif de la durée d’études pourrait avoir la peau d’un examen qui ne détermine plus l’avenir de l’élève » — tout juste s’il est le brouillon du Bac, dont la durée des études (« Tous Licenciés ! », a décrété Pécresse) pourrait bien…

Les propositions de la Commission vont bien plus loin que la simple réforme d’un Brevet « bancal, voire baroque ». Le collège, disent les députés, est un « lieu de souffrance » — que n’évoquent-ils la souffrance des enseignants… Il faut donc — en vrac — primariser la Sixième, au nom du « continuum école-collège », et en faire un CM3 au sein d’un cycle allant « du CE2 à la Sixième » (de la même façon que le collège unique a rapidement imposé la Seconde de détermination, qui n’est qu’une Troisième-bis) ; faire du Socle institué par la loi Fillon en 2004 la base inébranlable, en systématisant l’évaluation par compétences (on n’en a pas fini de mettre des petites croix dans des colonnes…), alors que le Collège n’est pour l’instant « pas en phase avec le Socle », particulièrement dans le secteur des Lettres (ah, revoilà le complexe !), et que les enseignants se montrent « méfiants » devant la gestion des compétences — les députés auraient pu écrire « hostiles », ils auraient été plus près de la vérité. D’ailleurs, le Socle ne va pas assez loin : la Commission propose l’introduction d’une « huitième compétence », consacrée « au bien-être général » et au « vivre ensemble » : tous citoyens durables ! Enfin, dans la logique d’interdisciplinarité qui est effectivement celle de la loi Fillon, qui devait avoir une idée derrière la tête, les députés suggèrent de jouer davantage sur la bivalence (EPS / Français, ou EPS/ Maths ?), et de favoriser budgétairement les établissements qui sauront imaginer « des projets interdisciplinaires qui mettent en valeur la compétence 7 du socle commun, Autonomie et initiative ». Enfin, de modifier les missions de l’Inspection Générale, trop accrochée encore à des spécificités disciplinaires qui ne sont plus de saison : c’est Katherine Weinland qui va être contente ! Et, « en attendant les écoles du socle commun », la mission propose de créer des « réseaux socle commun » mettant en relation écoles et collèges, sur le modèle des Réseaux Ambition Réussite, qui réussissent si bien.

Voilà. Ça valait vraiment la peine d’élire Jacques Grosperrin et ses comparses. Ça valait la peine d’expliquer patiemment à des gens pré-convaincus que le collège unique était un échec, qu’il fallait prioritairement restaurer un enseignement sérieux des disciplines, et que la violence n’était que l’écho du laxisme, et non celui du « stress » et des mauvaises notes.

En vérité, je vous le dis : c’est fichu. Quand la Bêtise s’allie à l’Incompétence, et bénéficie des moyens du Pouvoir, c’est cuit. Bien sûr que ça vaut quand même le coup de se battre — j’ai été élevé à grands coups de bataille des Thermopyles et de Fort Alamo, de Bayard et de Pont d’Arcole — mais il y a des moments où je sens comme une fatigue…

 

Jean-Paul Brighelli

 

PS. La dépêche de l’AEF, et le début des exactions médiatiques de M. Grosperrin, c’était jeudi. À l’heure où j’écris (samedi matin, 6 heures), aucun syndicat n’a encore réagi — les pôvres, ils ont tant de choses à faire, eux qui n’ont ni cours à assurer, ni khopies à corriger !

 

PPS. Allons, les syndicats se réveillent (aujourd’hui mardi) devant l’horreur pédagogique promise par M. Grosmachin. Enfin, les syndicats… Un, au moins : http://www.snalc.fr/affiche_article.php?actu=1&id=406&id_rep=281


 

(1) J’en parlais déjà en février 2006 (http://bonnetdane.midiblogs.com/archive/2006/02/11/macabre.html). Plus ça change…

(2) http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2010/04/02/01016-20100402ARTFIG00016-polemique-autour-de-la-survie-du-brevet-des-colleges-.php