On ne peut pas être « en même temps » à l’extérieur et à l’intérieur des métaphores. « C’est une guerre », a dit Emmanuel Macron à propos du coronavirus il y a quelques mois — et il a pris, quoi qu’on en pense, des décisions de guerre : restrictions à la liberté de circulation, ausweis, accoutrement de combat, couvre-feu. Ce n’étaient pas des décisions anodines. Ce fut son choix.
« C’est une guerre », dit-il encore du terrorisme islamique. En quoi il a raison, mais il faut là encore s’en donner les moyens. Des milliers de terroristes dangereux se sont infiltrés dans le pays. Il faut les repérer par tous les moyens, et s’en débarrasser, en les renvoyant là d’où ils viennent. Quelles que soient les conséquences potentielles. Des Tchétchènes posent des problèmes ? Renvoyons-les chez Poutine. Des Syriens sont dangereux ? Remettons-les à Assad. Des Afghans sont fanatisés ? Ils se feront moins remarquer à Kaboul. Et s’il existe des Ouïgours menaçants, Xi Jinping sait quoi en faire.
Et ceux qui sont Français ? Il y a des policiers, il y a des juges, il y a des prisons. Oui, mais le droit des gens…
Si nous sommes en guerre, il faut suspendre le droit. On ne peut pas être dedans et dehors. Demandez-vous comment l’armée française a gagné la bataille d’Alger. Et en très peu de temps — parce que frapper ne se fait pas avec des gants, ni au compte-gouttes.
Un parent d’élève s’est répandu sur la Toile en propos haineux qui étaient potentiellement des appels au meurtre — tout en se référant au CCIF, le Collectif Contre l’Islamophobie en France. Est-ce cette organisation qui lui paie l’avocat qui l’épaule nécessairement, à présent que le voici en garde à vue ? Sinon, qui ?
Quant aux responsabilités dans la mort de Samuel Paty…
J’aimerais déjà être sûr que certains, sur la foi de son prénom biblique, ne l’ont pas identifié comme juif — et je me fiche de savoir s’il l’était, je ne classe pas les gens en fonction de leur religion, moi. Tout ce que je sais, c’est qu’il était un enseignant d’expérience qui faisait bien son métier, et qui — l’information est absolument sûre — a été épaulé par la haute administration du Rectorat dès qu’a circulé la rumeur d’une plainte déposée contre lui par ce père de famille si chatouilleux. Samuel Paty suivait à la lettre le programme d’Education Morale et Civique.
Les responsabilités sont multiples et c’est aux enquêteurs de les démêler. Et même si l’on peut estimer que le chef d’établissement a ménagé la chèvre pédagogique et le chou parental, j’aimerais savoir si, conformément à ce qu’affirment diverses sources, certains de ses collègues se sont ligués contre lui — et auraient indiqué son adresse et ses heures de cours.
La police a tout intérêt à enquêter le plus vite possible. À saisir les portables et les ordinateurs de toutes les personnes impliquées de près ou de loin dans ce crime. À les faire parler au plus tôt. Entre le président des parents d’élèves, d’une redoutable ambiguïté, et tel syndicat qui localement a pu ne pas se solidariser immédiatement avec notre malheureux collègue, le spectre est large.
J’espère — j’espère vraiment — qu’aucun enseignant n’a prêté son concours, même indirect, même involontaire, à cette boucherie. Dire « on ne pouvait savoir » n’est en rien une excuse, parce que depuis quelques années, nous savons, et nous devons prévoir. Et nous savons aussi que bien des pseudo-intellectuels, sous couvert de combat contre le racisme, ont fomenté dans ce pays une ambiance bien peu sereine. Eux aussi portent une bonne part de responsabilité.
Allons plus haut. Les Territoires perdus de la République, c’était il y a vingt ans. Le rapport Obin remonte au passage de Fillon au ministère de l’Education — un rapport enterré que quelques enseignants motivés, dont j’étais, ont publié en 2006. 2006 ! Une autre ère. Combien d’alertes ont été sonnées — en vain ? Combien de Cassandres ont prévenu — en vain ? Combien de rapports ont été élaborés — pour des prunes ? Le dernier a été remis à Blanquer cette semaine. Le ministre, qui a marqué son intention de ne rien laisser passer, sera impuissant s’il n’a pas l’appareil d’Etat avec lui. Tenez, faisons-lui une suggestion, affichons les caricatures de Mahomet dans tous les établissements scolaires, affichons-les partout dans les rues. Si le ministre appuie la liberté de blâmer, alors je pourrai sans flagorner en faire un éloge flatteur.
Allons, autant s’y risquer nous-mêmes… La référence au début du Mépris me fait mourir de rire :
Enfin, soyons cyniques. Emmanuel Macron, qui n’est pas au mieux — ni son premier ministre — dans l’opinion publique, et son parti encore plus bas, regagnerait la confiance de ses concitoyens s’il choisissait enfin de désambiguïser son discours et d’opter pour la guerre — puisqu’aussi bien elle a été déclarée de l’autre côté. La guerre qui est la continuation de la politique par d’autres moyens. « En même temps » fut le slogan de sa première campagne. « Ecrasons l’infâme », comme disait Voltaire, pourrait être celui de sa seconde victoire.
Bien sûr que je ne mets pas tous les Musulmans dans le même sac. Bien sûr qu’une immense majorité d’entre eux aspire à vivre sous les lois de la République, et sait bien qu’une image, aussi drôlement offensante soit-elle, n’est pas un prophète. L’image de Mahomet n’est pas Mahomet. Mais cela irait mieux si partout les Musulmans qui ne veulent pas être assimilés par des citoyens excédés à des assassins et des complices d’assassins, des gens qui ont un vrai agenda de guerre, se désolidarisaient de tout ce qui entretient le communautarisme, l’appel à la charia et le sentiment qu’il existe des lois au dessus de celles de l’Etat.
Jean-Paul Brighelli
PS. Quitte à être dans le symbole, Blanquer s’honorerait de débaptiser tout de suite le collège de Conflans et de l’appeler Samuel-Paty.
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