Pierre Coupon avait la vocation du théâtre. Il a donc été acteur — jusqu’à ce que les observations faites dans ce tout petit monde le persuadent de s’en affranchir et de rejoindre la vraie vie. Mais il connaît bien les théâtreux, et s’il est comme moi tout à fait hostile à la fermeture des lieux de spectacle, s’il admire comme moi une pléiade de grands comédiens, les jérémiades de ses anciens partenaires l’amusent et le scandalisent.
Ce qui suit est tout à la fois un témoignage et un billet d’humeur, qui bien sûr ne vise pas les comédiens ou metteurs en scène accomplis, mais toute cette fange qui a trouvé dans l’art théâtral la coquille confortable de sa paresse existentielle et de son « engagement » à deux balles. Et quand on habite comme moi à l’arrière du Théâtre de la Criée, où depuis des années Macha Makeïeff accumule les preuves rances de sa prétention dispendieuse dans un théâtre généreusement subventionné — Triple Sotte adapte Trissotin, et certains des spectacles « invités », comme le Lear d’Olivier Py, ne valent pas mieux —, on sait ce que frimer veut dire. Malraux, Vilar, Planchon, revenez, ils sont devenus fous !
JPB
» Dur dur ce moment où on se retrouve confronté aux limites du mensonge entretenu depuis des années et des générations. Se réclamer de la rébellion contre un Etat (évidemment) totalitaire, policier, raciste et fasciste puisque libéral (le désordre on vous dit) tout en le suppliant de vous laisser exister puisque vous devez tout aux politiques culturelles : vous imaginez la quantité d’énergie que réclame cette torsion mentale ?
Parlons franc quelques minutes : la Culture en France est un cadavre et ses zacteurs des asticots sans appétit. Je les ai vus, les geignards, se prétendre comédiens et refuser de jouer parce qu’un projecteur ne marchait pas ou qu’ils ne pourraient pas passer la musique de leur spectacle.
« Je les ai vus ces petits délicats, ne pas vouloir répéter au milieu d’un réfectoire vide, perdant ainsi de précieuses heures de travail.
« Je les ai vus les gauchards, les trotskos, les anars renâcler à l’idée de jouer devant un public ouvrier et prolo. Et ça voudrait cueillir les fruits du travail de Vilar et Gémier ? Enfin, cueillir… faut qu’ça leur tombe dans le bec !
« Je les ai vus ramper, lécher et puis baver à gros bouillons pour nettoyer leurs langues de putes borgnes.
« Je les ai vus se réclamer d’Artaud, de Sade ou de Céline et trembler d’indignation et d’horreur devant chanson paillarde.
« J’ai vu leur obsession morbide pour la subversion à deux balles, continuateurs du sinistre Michel Foucault. J’ai vu aussi les vieux ratés plein de regrets, ceux pour qui la pendule est restée bloquée quand hier encore ils avaient 20 ans et qui se mentent très très fort entre deux cuites, 6 paquets de clopes par jour et autant de litres de café. T’as intérêt à l’avoir ton statut pour te payer de quoi supporter ta condition ! Parce que je les ai vus aussi, les alcooliques et drogués à même pas 20 ans.
« Mais le plus important : j’ai vu la médiocrité artistique qui régnait dans ce milieu. C’est cette médiocrité, cette absence de travail, de culture, de connaissances et sa justification par la bourdieuserie dont on ne finit plus de respirer les miasmes. D’ailleurs j’ai vu aussi les créateurs médiocres passer par la brèche de l’idéologie du moment ou leur statut « d’ opprimé.e.s ». N’oublions pas l’utopie de la création collective qui comme tout égalitarisme signifie nivellement par le bas et empêche l’émergence des individualités tout en ralentissant le travail par l’absence de hiérarchie donc de direction claire.
« C’est cette médiocrité qui a tué la culture et la création à petit feu. C’est la culture qui s’est tuée elle-même en rejetant aux oubliettes des œuvres et des créateurs et en s’interdisant de plus en plus de choses pour ne pas heurter la sacro-sainte sensibilité des brutes pleurnichardes qui font la loi.
« Je souhaite beaucoup de courage aux zacteurs de la culture, c’est un dur moment que celui où votre illusion s’écroule pour vous laisser face à la vilaine vérité. Vous n’êtes pas essentiels, non. La culture et l’art le sont, certes, mais pas vous. Vous n’avez jamais été des rebelles, vous êtes ces enfants qui jouent à la bagarre et qu’un adulte complice et attendri laisse gagner.
« Bon courage donc. Vous allez en avoir besoin. N’oubliez pas que la vérité rend libre. »
Pierre Coupon