Frédérique Vidal, qui postule pour la place de plus bel éléphant dans un magasin de porcelaine, est actuellement vilipendée par une partie des universitaires (pas tous, heureusement, il en est qui sauvent l’honneur de l’institution), pour avoir demandé au CNRS d’enquêter sur l’islamo-gauchisme à l’université. Adresse plaisante : autant demander à un violeur d’enquêter sur les maltraitances infligées aux femmes. Jean-Michel Blanquer de son côté affirme que l’islamo-gauchisme est « un fait social indubitable. » « Fantasme ! » s’écrient les uns, « Chasse aux sorcières ! » hurlent les autres, dont on trouvera la liste ici. Le dolorisme et l’idéologie victimaire sont à la mode, et comme bien peu de gens, dans le monde universitaire, ont les braies bien nettes, chacun se croit visé.
L’islamo-gauchisme est pourtant plus qu’un fait social : c’est un fait politique. Une construction artificielle, une chimère monstrueuse élaborée dans les ateliers d’une Gauche sans projet.
L’islamo-gauchisme, expression forgée par Pierre-André Taguieff, est, selon la définition de Jacques Julliard dans la Revue des Deux mondes, « un courant de pensée qui considère que le réveil de l’islam et la montée de l’islamisme sont des éléments de critique très intéressants du néocapitalisme et, d’une certaine façon, se substituent à la lutte des classes et au prolétariat classique, qui a déçu ceux qui comptaient sur lui. »
Ce qui suit est l’historique de cette notion.
En 2002, avant le premier tour de la présidentielle, Pierre Mauroy conseilla à Lionel Jospin de « parler au peuple ». Le candidat, qui ignorait encore qu’il arriverait troisième au soir du premier tour, et qui se voyait beau, répondit avec sa morgue ordinaire que la Fondation Jean Jaurès et Terra Nova, boîtes à idées courtes de la Gauche boboïsée, le lui déconseillaient. Le peuple, expliquaient ces grands esprits, n’existait plus, en tout cas comme réservoir de voix pour la Gauche ; cela faisait d’ailleurs quinze ans qu’il votait, de plus en plus, pour le Front national. Le vrai réservoir de voix, c’étaient les classes moyennes…
On sait ce qu’il en advint.
La disparition progressive du prolétariat a suivi la désindustrialisation de la France. Je ne suis pas loin de penser que fermer l’outil industriel, c’était supprimer, dans la pensée de dirigeants libéraux, cette partie de l’opinion qui a une propension à l’émeute. Tout ce qu’il en reste aujourd’hui, ce sont les Gilets jaunes.
L’échec de Jospin a sonné le tocsin pour les belles intelligences qui hantent les UER de Sociologie (exception faite de quelques-uns, y compris à gauche, comme Gérard Noiriel et Stéphane Beaud — vilipendés par les leurs depuis qu’ils ont fait paraître, le mois dernier, Race et sciences sociales). S’il n’y a plus de prolétaires, allons chercher d’autres « damnés de la terre ». Remplaçons la lutte des classes par la lutte des races. Et aménageons les horaires des piscines municipales, à Lille et ailleurs, afin que les musulmanes, toujours pures, comme chacun sait, ne se baignent pas dans les mêmes eaux que des salopes céfrans.
Les immigrés, main d’œuvre surexploitée dans les années 1960-1970, avaient fait des enfants, qui, le cul entre deux cultures, choisirent celle qui leur offrait un peu de transcendance, l’islam, tout en adoptant les gadgets de l’autre : le capitalisme ne s’inquiète guère des revendications existentielles tant qu’on achète ses produits. Les insurrections algériennes du FIS et du GIA mirent de l’huile d’arachide sur ce feu. Comme on les avait adroitement enfermés dans des ghettos, ces enfants de deuxième ou troisième génération commencèrent par en expulser les Juifs qui y vivaient encore : à Trappes ou ailleurs, on n’incendie pas les synagogues pour des prunes.
Cet antisémitisme de l’islam, héritier des belles déclarations du Grand Mufti de Jérusalem, Husseini, allié d’Hitler contre les Juifs, conflua avec l’antisionisme des gauchistes de la LCR, qui tournèrent alors un regard intéressé vers des gens susceptibles de renforcer ses maigres bataillons.
Puis les jeunes musulmans burent les paroles des imams envoyés en France par des régimes et des organisations qui ont une vision à long terme et une politique adroite de cheval de Troie : les universités ont vu affluer des publics plus portés sur l’entrisme religieux que sur les savoirs classiques. Les plus extrémistes fomentèrent des attentats ici-même. Ceux qui avaient le goût des voyages rejoignirent Daesh — puis sont revenus prêcher la bonne parole d’Allah le Miséricordieux.
« Là se trouve, pensent les idéologues de l’extrême-gauche, le réservoir humain de notre reconquête. Foin du marxisme qui faisait de la religion l’opium du peuple ! C ‘est par l’islam que nous enfoncerons un coin dans cette vieille gueuse pourrissante — la République française. » Jacques Julliard n’avait pas tort en affirmant que « l’islamo-gauchisme, c’est la haine de l’identité française. »
S’ensuivit un effet boule de neige. Aux islamistes purs et durs, dûment chapitrés afin de feindre (la taqîya n’est pas pour les chiens) la collaboration avec des koufars qu’ils méprisaient profondément, s’adjoignirent par intersectionnalité tous ceux qui voulaient s’élever en piétinant le cadavre de l’homme blanc occidental. Alors que la Gauche était historiquement anti-raciste, au moins depuis l’Affaire Dreyfus, des étudiants, des syndicalistes, des enseignants, se sont mis à inventer des meetings ou des colloques réservés aux « racisés » et autres « indigènes de la République ». Le phénomène se retrouve à tous les niveaux, et des syndicalistes, pour accroître le nombre de leurs affidés, ont entériné ces pratiques racistes : voir SUD, notamment, ou l’UNEF, qui exhibe des militantes voilées (tout comme le NPA présente des candidates voilées à des élections locales) tout en interdisant la lecture des œuvres de Charb, qui se fait ainsi assassiner deux fois.
Jean-Luc Mélenchon s’est converti à cette ligne, et défile désormais avec les Frères musulmans. Oh, comme je plains les démocrates sincères et de gauche qui ont voté pour lui et ont fait le lit de ces compromissions ignobles !
Intersectionnalité oblige, des féministes se voilèrent la face (si je puis ainsi m’exprimer), et décidèrent d’oublier que le voile islamique est le symbole de l’infériorité de la femme, de sa soumission aux diktats des barbus. Tant qu’à faire, ces chiennes de garde omirent aussi de condamner la polygamie, l’excision, les certificats de virginité, les mariages forcés et autres discriminations imposées par une vision fanatique de l’Islam des cavernes. La loi de 2004, bien timide, qui interdit l’exhibition de signes religieux ostentatoires dans les lycées et collèges, leur paraît un déni de démocratie. On en reparlera quand elles devront se voiler elles-mêmes. En attendant, le voile envahit les universités, et nombre d’universitaires ont dû faire face à des protestations selon les sujets qu’ils traitaient.
L’enseignant que je suis sait bien, depuis des décennies, que les petites maghrébines n’ont que l’école pour se libérer d’un environnement familial totalitaire. Et qu’elles brillent bien davantage que leurs grands-frères, occupés à les museler. Peu importe aux féministes actuelles, pour qui un tchador a la même signification qu’une mini-jupe, et un burkini qu’un bikini. Le paradoxe du féminisme contemporain, c’est qu’il sacrifie des femmes, et en grand nombre, sur l’autel sacré de la convergence des luttes.
Tous les laissés-pour-compte du Tiers monde, venus en Europe trouver un boulot et des subventions, tous les descendants d’esclaves (attention : ne pas mélanger ceux de la traite trans-Atlantique, emmenés par des Blancs odieux, et ceux, bien plus nombreux, de la traite trans-africaine, mutilés et massacrés par des frères en Mohammed, sur lui la Paix et la Bénédiction), les gays et lesbiennes qui ont choisi d’ignorer qu’ils seront un jour ou l’autre empalés ou lapidés par leurs nouveaux amis, tout ce beau petit monde a choisi la revendication brutale plutôt que la voie plus difficile des études et des concours.
Ils ne se contentent pas de faire du bruit : ils dénient aux autres le droit à la parole et même à l’existence. Alain Finkielkraut, Sylviane Agacinski, Elisabeth Badinter en ont fait l’amère expérience. Le slogan de 68, « Il est interdit d’interdire », est devenu « Il est interdit d’exprimer quoi que ce soit qui ne soit pas en accord avec la doxa dont nous sommes dépositaires ». Logique : à force de fréquenter des fanatiques, on se bricole sa charia dans son coin. L’idéologie « woke » américaine, selon laquelle le Blanc est coupable par naissance, le mâle violeur par essence et la laïcité à la française une atteinte intolérable au droit constitutionnel d’être un crétin superstitieux et arrogant, s’insinue progressivement dans nos facs. Et les universitaires, par conviction ou par lâcheté, entérinent ces élucubrations et les perpétuent en sélectionnant des objets d’étude plus farfelus les uns que les autres.
Le recrutement d’enseignants conformes à cette doxa accentue encore le mécanisme d’emprise. La terreur que font régner quelques extrémistes crée la panique dans la majorité silencieuse. Les médias, qui répondent volontiers aux sollicitations des énergumènes, grossissent les faits. Et tout ce beau monde prépare l’avènement d’une société raciste, fanatique, soumise, où il fera certainement très bon vivre.
Alors oui, Frédérique Vidal et Jean-Michel Blanquer ont raison de nommer l’islamo-gauchisme. Peut-être pourraient-ils aussi se donner les moyens de faire appliquer les lois existantes, qui interdisent — c’est l’essence de la Constitution — toute distinction de sexe, de race ou de religion. Et ça, c’est le boulot des ministres de l’Intérieur et de la Justice.
Jean-Paul Brighelli
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