Il y a quelques années, j’ai traduit les Mémoires d’une juste, d’Irène Gut Opdyke, une Polonaise (mais écrivant en anglais, après son exil définitif aux Etats-Unis après 1945) qui a sauvé un grand nombre de Juifs pendant la guerre en les planquant dans le sous-sol de la maison où elle cohabitait avec un officier supérieur allemand. Un lecteur qui témoigne sur Babelio affirme que c’est « très bien écrit » — oui, je me débrouille en français…
Je n’ai pourtant aucune excuse. Je ne suis pas une femme, pas Polonais, pas Américain. Ni Juif, ce qui aurait pu en l’occurrence être une excuse. À la date des faits, je n’étais même pas né. En toute logique, je n’aurais même pas dû penser à traduire un tel texte. Honte à Jean-Claude Gawsewitch, l’éditeur qui m’avait confié le boulot…
Cette civilisation devient folle — c’est le marqueur ordinaire des fins de cycles. Un traducteur professionnel, André Markowicz, a réagi avec un bon sens élémentaire à l’affaire Amanda Gorman / Marieke Lucas Tijneveld — et l’interdiction faite à la seconde de traduire un poème de la première, sous prétexte qu’elle est Blanche et la poétesse Noire. Condamnant les nouvelles normes que voudraient imposer les plus tarés des pseudo-anti-racistes.
Je dis pseudo parce que cette assignation à résidence est fondamentalement un racisme. Inspiré des « cultural studies » américaines — dans un pays qui fait allègrement des statistiques ethniques, ce qui est interdit en France, où l’on se définit par sa nationalité, et rien d’autre. Si tu es né à Saint-Denis, mon ami, tu es Français — et même céfran, comme tu dirais dans ton langage de banlieusard inculte. Ni Algérien, ni Nigérian. Juste Français.
À ce titre, si demain tu as la capacité de traduire Proust en arabe dialectal ou en yorouba, il ne me viendra pas à l’idée de t’en empêcher. Ce qui compte, dans une traduction, c’est bien entendu la compréhension de la langue de départ, mais surtout la maîtrise de la langue d’arrivée. Comme dit fort bien Kamel Daoud (dans le Point.fr), si l’adage traduttore traditore (tout traducteur est un traître) se vérifie toujours, une bonne traduction est « une belle trahison » — dont il fait l’éloge.
Sinon, mon ami nigérian qui parle le yorouba, je te dénie le droit de traduire Marcel P***, puisque tu n’es pas Blanc, ni homo, ni asthmatique… Imagines-tu le chambard si je prétendais réguler l’activité des traducteurs en les assignant pareillement à leur couleur de peau, à leurs pratiques sexuelles ou leur état de santé ?
Et pourtant, le rythme même de la phrase de Proust, avec ses incises, ces conjonctives, sa ponctuation attentive, témoigne de l’asthme du narrateur / scripteur. Et toi, Nigérian mon ami, qui cours le 100 m en 10 secondes, tu prétends être pencher sur la Recherche ?
Eh bien oui, si tu en as la compétence, tu en as parfaitement le droit — et je dirais même le devoir, les Nigérians qui parlent le yarouba ont le droit d’avoir accès à l’un des plus grands romans jamais écrits.
Sans compter que si je t’interdisais de traduire Proust, je me mettrais gravement en faute avec la Constitution française, qui justement dénie toute différenciation.
Et c’est bien là le nœud du problème.
Ce que les plus crétins des obsédés de la race (en fait, ils sont tous d’une intelligence très modérée) veulent en fait promouvoir, c’est le refus de l’assimilation à la française. Le droit de rester assis sur son tas de fumier ethnique dans son ghetto. Oh oui, c’est une assignation à résidence ! Et les enseignants qui refusent de traiter de tel ou tel aspect qui programme sous prétexte qu’il pourrait choquer tel ou tel segment de leurs élèves (comme si une classe n’était pas un tout, et s’il ne fallait pas, sans cesser s’adresser à ce tout) sont des racistes sans le savoir. En tout cas, de sacrés connards.
André Markowicz raconte dans l’article sus-cité qu’une Russe orthodoxe (à tous les sens du terme) lui avait dénié le droit de traduire Dostoïevski sous prétexte qu’il n’était pas de religion orthodoxe — et même que, circonstance sans doute aggravante à ses yeux, il est juif… Ça va désormais être coton pour traduire Hannah Arendt — il faudra être allemande, juive, athée, très intelligente, et avoir sucé Heidegger.
Les racistes qui relèvent en ce moment la tête au nom des droits imprescriptibles de la race doivent être sérieusement tancés. On ne doit pas leur laisser la parole. On doit leur interdire l’université. Les assigner aux travaux des champs en Camargue : tous aux rizières — comme Mao fit avec les intellectuels déviationnistes pendant la Révolution culturelle. La Bêtise à ce point ne relève plus de la pédagogie, mais du fouet.
Pour le moment, contentons-nous de l’arme du ridicule — et ridiculisons-les.
Jean-Paul Brighelli
PS. J’ai failli broder quelque chose sur l’ineffable soirée des Césars de la semaine dernière. Mais à quoi bon ? Ça ne me dérange pas, que les assoiffées du féminisme intersectionnel, les caniches de garde, les racistes qui encensent les Traoré, les LGBT professionnels, et tout ce cinéma français nullissime (Dupontel, multi-primé, avait fait intelligemment l’impasse sur la cérémonie, et Bertrand Tavernier quelle perte ! — n’a pas eu le temps d’en dire ce qu’il en pensait) se ridiculisent en s’exhibant avec des Tampax© usagés aux oreilles. Ils peuvent aussi bien crever, ça ne dérangera pas l’ordre du monde.
PPS. Et dans la rubrique « les chroniques auxquelles vous avez échappé », il y a les turlupins royaux qui faute d’avoir un quelconque intérêt tentent de se grandir en piétinant la reine d’Angleterre. Tout dégénère — j’appartiens à une génération où une grande actrice, Grace Kelly, épousait un prince et savait tenir son rang, pas à cette époque où une sous-starlette geint sur le « racisme » supposé de sa belle-sœur — en exhibant le sien, au passage.
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