J’ai brièvement croisé Dominique Aury vers 1990 dans les locaux de Gallimard. Une alerte octogénaire aux cheveux argentés et à l’œil vif, à qui j’ai parlé d’un article publié en 1951 sur « la révolte de Madame de Merteuil », que j’avais utilisé dans mon mémoire de Maîtrise, en 1974, sur les Liaisons dangereuses.
Bien sûr, encore que ce ne fût pas officiel — elle ne l’a avoué qu’en 1994 —, je savais comme tant d’autres qu’elle était, sous le pseudonyme de Pauline Réage, l’auteur d’Histoire d’O. Un roman écrit comme un défi, pour stupéfier Jean Paulhan, autre éminence grise de la maison de la rue Sébastien-Bottin. Il était son amant plus ou moins secret, elle aurait voulu lui montrer qu’une femme était tout à fait capable de s’illustrer dans la littérature érotique haut de gamme.
Beau joueur, Paulhan s’avoua vaincu et fit à ce texte interdit, publié chez Pauvert et immédiatement saisi par la police, une préface splendide intitulée « le Bonheur dans l’esclavage » — une dérivée du titre de cette extraordinaire nouvelle de Barbey d’Aurevilly, le Bonheur dans le crime. Cette préface vaudra à Paulhan un long séjour au purgatoire, avant d’entrer à l’Académie dix ans plus tard. Ses amis offriront alors à ce natif de Nîmes une très belle épée dont la garde est un crocodile. Je préfère penser aux étreintes et aux enlacements qui le remercièrent de ces considérations intelligentes sur la vertu du fouet dans une relation amoureuse.
Vertu, oui — Paulhan parle de la « décence » du roman, un concept qui a dû choquer le PCF, qui fustigea alors les mœurs « bourgeoises » d’O et de Sir Stephen, étant entendu que chez les prolos, on ne se fouette pas par plaisir, on se cogne les jours d’orage et de gros rouge.
Paulhan, grand découvreur de textes pour Gaston Gallimard, remarquable écrivain lui-même, vrai résistant horrifié par les excès des épurateurs à la Libération, est un lecteur expert et attentif. Et qu’a-t-il lu dans l’Histoire d’O ?
« Enfin une femme qui avoue, écrit-il. Qui avoue quoi ? Ce dont les femmes se sont de tout temps défendues (mais jamais plus qu’aujourd’hui). Ce que les hommes de tut temps leur reprochaient : qu’elles ne cessent pas d’obéir à leur sang ; que tout est sexe en elles, zet jusqu’à l’esprit. Qu’il faudrait sans cesse les nourrir, sans cesse les laver et les farder, sans cesse les battre. »
Rappelons pour mémoire que 1954 est l’année de parution des Mandarins, qui obtiendra le Goncourt et permettra à Beauvoir, déjà auréolée par le Deuxième sexe (1949), de mettre du beurre dans les épinards — entre autres. Qu’a-t-elle pensé d’O — parce que je ne doute pas un instant que dans l’atmosphère de chambre chaude des éditions Gallimard, elle ait eu l’occasion d’en parler avec Paulhan. On sait peu de choses finalement de la sexualité de Simone, sadique avec les jeunes filles, au moins mentalement, mais ne détestant pas les hommes virils : sa liaison avec Sartre fut essentiellement platonique, passé le premier moment. Algren, son plus grand amour, était un écrivain prolétarien robuste. Quant aux autres — eh bien justement on ne sait trop rien des autres. Ni de ce qu’elle faisait avec eux.
Il y a un petit roman signé Jean de Berg — le pseudo usuel de Catherine Robbe-Grillet est Jeanne de Berg, et je soupçonne fort son époux, fort amateur de scènes sado-masochistes, d’avoir écrit ce récit-là — intitulé l’Image, où une femme dominatrice réduit en esclavage la toute jeune fille qui l’aime, et se donne, à la fin, à l’homme auquel elle avait prêté sa compagne. Ces écarts ne sont pas rares, c’est ce que j’ai raconté dans Dolorosa soror — et quelques autres récits érotiques sortis de ma plume, si je puis ainsi m’exprimer. Sade lui-même, dans cette fameuse orgie qui se déroula à Marseille en 1772 à Marseille au 15bis de la rue d’Aubagne, se fit fouetter sauvagement par le valet qu’il avait emmené avec lui, et auquel il livra les prostituées bourrées de cantharide et rameutées pour l’occasion.
Les sadiques n’écrivent pas. Les masochistes, en revanche, sont intarissables : leur relation aux autres passe d’abord par les mots. Dominique Aury, femme de Lettres, ne l’ignorait évidemment pas. D’où la pauvreté des scènes BDSM proposées çà et là, où les femmes sont tout au plus des poupées de chiffon manipulées par des hommes sans imagination. Dans la réalité du masochisme, c’est l’esclave qui écrit le protocole, et règle les détails de la flagellation.
Alors oui, je rêve à la réaction de Simone de Beauvoir lisant O. Parce que la philosophe féministe n’a pas manqué de comprendre l’extrême liberté de l’héroïne, flagellée jusqu’au sang, marquée au fer rouge, exhibée, offerte — mais sans cesse consciente et volontaire. Le sexe est certainement ce qui est le plus proche de l’écriture — si vous le vivez autrement, je plains vos partenaires. Les femmes aimées (et les hommes, donc !) sont toutes des femmes de papier. Des femmes de Lettres. Et le masochisme est l’apex du sexe, en un sens — contrôle total, jouissance cérébrale portée à incandescence, et transformation de la peau en parchemin — plus tard en palimpseste.
Jean-Paul Brighelli
Bonsoir Jean Paul Ceci est un message de test !
Deuxième test.
Magnifique !
Test réussi. BA is back !
Merci !
Un vrai plaisir pour moi de rédiger le premier vrai commentaire sur ce blog. Puissent les échanges qui s’y produiront être aussi enrichissants et drôles que ceux de l’ancienne version défunte au printemps dernier.
« L’ennui naquit un jour de l’uniformité. »
Alors sur ce blog, faisons en sorte qu’il n’y ait ni ennui ni uniforme(s) !
J’ose un bémol :
La littérature érotique, l’abbesse, n’attirent plus les foules.
Il faut revenir aux articles polémiques, ne plus hésiter à parler de la France et des barbares qui, depuis l’antiquité, trottent pour arriver en France.
Oui,… (deux contrepéteries.)
Contrepèteries (accent grave)
Le virtuose du contrepet a dégainé plus vite que son ombre et revoilà le défilé des fesses et des boules qui frottent et entrent en transe…La littérature érotique ne s’en portera que mieux.
De quoi alimenter les ardeurs de nos juges d’instruction, procureurs et juges divers, qui se permettent, les inconscients, de condamner à un an ferme un ancien président de la République blanc comme neige, innocent comme l’agneau qui vient de naître, victime expiatoire d’une justice acharnée à sa perte…
Résultat des courses : appel, puis Cour de Cassation, puis manoeuvres dilatoires ad libitum, il n’ira jamais derrière les barreaux. Faisons confiance à la justice de notre pays.
Les petits pois ne sont pas toujours ceux auxquels on pense.
Ni Benalla, d’ailleurs. On parie ?
L’appel, la cassation, ces choses surfaites…
A propos de pari, j’ose vous rappeler celui que vous avez fort imprudemment engagé ici-même en fevrier dernier :
Le 6 février 2021 à 18 h 28 min, abcmaths a dit :
Il n’y aura pas de Macron II .
Répondre ↓
Le 6 février 2021 à 18 h 49 min, Pierre Driout a dit :
Pas de variant Rothschild alors ?
Répondre ↓
Le 6 février 2021 à 19 h 19 min, abcmaths a dit :
La première dose a été très efficace et a provoqué suffisamment d’effets secondaires. Il n’y aura pas de rappel.
Les doses sont rares, même une banque de dons ne suffira pas.
La rubrique élection, c’est terminé pour Micromaton.
Oui… (quatre )
Le 6 février 2021 à 19 h 52 min, jpbrighelli a dit :
Une bouillabaisse au Miramar.
Répondre ↓
Le 6 février 2021 à 20 h 00 min, abcmaths a dit :
OK.
La bouillabaisse, c’était la réélection de Napoléon IV ? Je maintiens ce que j’écrivais il y a déjà quelques mois :
https://www.causeur.fr/macron-presidentielles-souverainisme-190153
https://twitter.com/i/status/1444051336748806144
Z dernière lettre de notre alphabet. Mais Z n’est pas Oméga, dernière lettre de l’alphabet grec. Eric Z se pense (heu…façon de parler, bien sûr) en Alpha et Oméga de la vie politico-intellectuelle de ce pays. Il ne sera qu’un Beppe Grillo en moins drôle. Devrait lire ou relire Hegel et Spinoza plutôt que la biographie de Mussolini en bande dessinée.
😴 😴 😴
Voilà ci-dessus le résultat d’un assoupissement intellectuel prolongé au-delà du raisonnable…
Content que vous soyez de retour avec BdA, dont j’adore la nouvelle politique éditoriale : l’érotisme, choix politique majeur s’il en est, et surtout par les temps qui courent. Quoi de plus anti-érotique qu’un pédagogiste ? Qu’un homme ou une femme politique ? Qu’ils s’égaillent, toutes et tous, une fois pour toutes, les foireux, dans les artères meurtries du temps perdu! Cette nouvelle version, c’est une jolie manière de se faire la belle, une fois encore, autrement, et de saluer l’esprit du lieu -un lieu d’esprit- par une nouvelle argile.
C’est très bien dit !
Nouvelle politique éditoriale ? On en reparle dans trois mois.
Jean-Pierre Brighelli est un peu cet amant à qui la donzelle refuse une passe parce qu’il en a une tout petite et qui, puisque c’est comme ça et qu’on ne lui a jamais enseigné le ridicule, décrète qu’il ne couchera plus jamais de la vie. Or le monde est monde et Jean-Pierre Jean-Pierre : le caprice dure deux mois, l’enfant trouve une gueuse à trousser « mais pas par derrière ! », enfin maman Cagolle règle l’affaire en sortant les camélias communistes.
Bon. Question essentielle : quand reviennent D&D ?
Il s’appelle Jean-Paul.
Non, vous croyez ?
Si si je vous assure. Je ne déteste pas redresser les erreurs, fussent-elles le fruit d’une ironie foireuse. Good night sleep tight !
Driout n’a pas supporté d’être séparé de Dugong; cela fait quatre mois qu’il « dialogue » avec P. Juvet sur Twitter. Peu de chances qu’il revienne.
Il y a sans doute quelque chose d’apaisant pour une femme à « avouer qu’elle ne cesse pas d’obéir à son sang », qui offre son flanc, son ventre, son sexe dans le geste universel de l’abandon(geste qui s’est perdu avec les héros qui naguère désiraient tant la mort, l’aban-don qui n’attendait rien en retour, un don de soi pur, sec, sans contrepartie), car pour une femme, comme pour un homme, pour qui il est peut-être plus facile de pactiser avec le diable qu’avec ses démons intimes, chercher à faire le tri parmi ses désirs ne conduit pas à la tranquillité de l’âme et du corps mais, au contraire, les plonge dans la frustration de l’obsession.
Le BDA nouveau est arrivé, espérons qu’il ne sera pas l’illustration de la phrase de K.M. que tout le monde répète aujourd’hui, à propos des grands phénomènes qui apparaissent deux fois, la première sous forme de tragédie, la seconde sous forme de farce.
ps: l’aquarelle de Léonor Fini, c’est un palimpseste graphique ?
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