« Trouvez-moi un agrégé qui sache écrire français », aurait un jour demandé De Gaulle — et on lui apporta Pompidou sur un plateau.
Il y a quelques années, mon excellent ami Christian Biet cherchait à constituer une équipe pour rédiger des biographies d’auteurs et de grands hommes un tant soit peu allègres. Un spécialiste de je ne sais quelle grande intelligence, contacté, fournit dix pages illisibles — et comme nous nous étonnions de son incapacité à sortir du jargon universitaire qui est au style ce qu’un camembert industriel est à la lune, répliqua : « J’ai mis dix ans, pendant que je rédigeais ma Thèse, à gommer tout ce qui pouvait être style. Je suis bien incapable de le retrouver désormais. »
Pourquoi pensais-je à cela, en lisant Soumission, le roman de Houellebecq dont tout le monde cause, souvent sans l’avoir même parcouru ? Le héros (Français de souche, il s’appelle donc François) est un « brillant » universitaire (oxymore !) spécialiste de Huysmans — dont une longue citation ouvre le roman, qui commence d’ailleurs par une dissertation qui se voudrait intelligente et distanciée sur l’auteur d’À rebours et de Là-bas. Hmm… Peut-être ce contraste entre le dernier dandy du catholicisme et le dernier clone de Françoise Sagan (je parle bien sûr de ses performances médiatiques, pas de son style) a-t-il à tort alimenté ma lecture, mais je me suis ennuyé ferme durant ces 300 pages qui en paraissent 500.
On a compris : le monde est laid, le tout petit monde universitaire l’est encore davantage, la sexualité du héros est nulle, comme d’habitude, la Droite et la Gauche sont uniformément peuplées de minables (François Bayrou étant la cerise sur le gâteau), Marine Le Pen est Marine Le Pen, et c’est tout dire. Heureusement que les Musulmans modérés (oxymore aussi !) sont là pour remonter le niveau. On élira leur chef charismatique, qui ressemble vraiment à un François Hollande islamisé, l’intellect en plus, la France se convertira massivement, en tout cas le héros : que le dernier chapitre soit au conditionnel ne laisse aucune illusion sur la volonté de cet ectoplasme antipathique de se convertir afin d’avoir un plus gros traitement, une situation inespérée (toutes les profs femmes ont été renvoyées à la maison) et accessoirement une ou plusieurs concubines à peine nubiles, maintenant que sa maîtresse favorite est partie en Israël. On a les fantasmes que l’on peut, surtout quand on peut peu.
Le problème, c’est que ce qui aurait pu être une sotie de cent pages est un roman interminable — alors même qu’il est court à l’aune du standard houellebecquien. L’auteur est de ces cuisiniers qui pensent qu’une louche de maïzena améliorera la sauce. Alors il nous inflige quelques scènes de cul (érotique il ne sait pas, pornographique, il ne peut pas), quelques considérations sur les mœurs universitaires qui seraient presque drôles si on ne les avait lues mille fois, et il joue à mélanger ectoplasmes fictifs (le mot « héros », en ce qui concerne Houellebecq, est impossible) et personnalités bien réelles — mais achète-t-on un roman contemporain pour y lire l’apologie de Pujadas ? On n’améliore pas l’indigeste en épaississant le brouet.
Reste le fond.
(Oui, je sais, la distinction forme / fond, c’est nul — mais que voulez-vous, quand la forme est creuse, il faut bien essayer de parler de quelque chose)…
Tout le monde a remarqué la coïncidence de la sortie du roman et du massacre chez Charlie — et autres. Un attaché de presse en rêvait, Kouachi Coulibaly l’a fait. Mais comme personne, à l’époque, n’avait vraiment lu le roman de Houellebecq, personne n’a souligné le décalage monstrueux entre l’Islam franchouillard ici décrit, la charia bonne franquette, baguette et saucisson halal, et l’islamo-fascisme (j’aime décidément beaucoup ce terme) de la réalité. Après la victoire des musulmans bien d’ chez nous du roman, la réalité est venue rappeler qu’elle opère plus volontiers dans le drame que dans l’opérette. Soumission est aux tueries islamistes que j’évoquais dans mon dernier billet ce que Napoléon III, d’après Marx, était à son oncle : la farce après la tragédie. Houellebecq aurait pu se rappeler que les révolutions évacuent à coup sûr les doux — que restait-il des Feuillants et des Girondins en 1795 ? Et des mencheviks en Octobre 1918 ? Elle élimine aussi impitoyablement ceux qui se sont compromis avec des idées farfelues — exeunt les islamo-gauchistes du Camp du Bien : une fois qu’Edwy Plenel aura fait le sale boulot, on le remerciera d’une balle dans la tête. Un régime coranique basé sur la charia sera celui de Daesh ou de Boko Haram. Ami Houellebecq, pauvre idiot utile de l’égalisation des idées et du « tout se vaut », on vous fera connaître, à vous, que le pal est une fantaisie qui commence bien et qui finit mal. Quant à moi…
La seule idée que je conserverai est la mainmise des nouveaux maîtres musulmans sur l’Ecole — parce que tout commence et tout finit là. Les pédagogues qui ont engendré la loi Jospin, qui marque pour moi le début de l’apocalypse molle, et qui postulent ces temps-ci qu’il faut redonner la parole aux élèves et en finir avec la transmission des Lumières ont préparé le terrain. À force de vider les cervelles, on y glisse, à son gré, Coca-Cola, comme le voulait Patrick Le Lay, ou le salafisme. J’ai tenté il y a peu de le dire — merci à Houellebecq de le rappeler. Mais c’est vraiment tout ce qu’il y a à tirer de Soumission. Relisez les Liaisons ou Madame Bovary, ou Echenoz, si vous voulez un contemporain brillant, ça vous fera plus de profit.
Jean-Paul Brighelli
PS. Mon avis n’engage que moi. Pour un son de cloche bien plus enthousiaste, lire le Blog de la Présidente.
Le salafisme utilisera la tactique du salami (halal) pour décapiter tout ce qui ose avoir le cul plus bas que la tête.
Le sang qui giclera fera monter le niveau de la mer bien plus que la fonte des glaciers.
Je me dis qu’un roman qui succite tant de recensions et de réactions, qui donne envie à Ali Badou de gerber et que j’ai lu d’une traite contrairement à une grande partie de la littérature actuelle qui me tombe des mains ne peut pas être si mauvais.
Des médiocres ou des lâches qui se prosternent devant leurs nouveaux maîtres, voilà un sujet d’actualité.
Merci Michel.
Cet ouvrage, dans le genre visionnaire, a-t-il la puissance ( et, peut-être, la qualité littéraire, mais je ne suis pas un « lettreux ») du Camp des Saints?
Ce n’est qu’une vraie question pour qui a lu les deux, ce qui n’est pas mon cas pour le dernier en date.
Voulez-vous dire que Jean-Luc Lahaye aurait pu aussi bien écrire le chapitre sur l’amour des nymphettes ? Sauf que cela aurait fait une chanson baisable de trois minutes … femmes, femmes, femmes !
Le post-scriptum m’a fait sursauter, j’ai crû que Brighelli après une bonne analyse et en bon pédagogue, nous faisait le coup de la synthèse si chère au PS. Je vois du PS partout, pauvre de moi !
Non, Sisyphe, rien à voir avec Raspail. Soumission, à côté du Camp des saints, c’est une bleuette.
Franchement, Houellebecq croit-il vraiment à ce qu’il écrit ?si on suit sa logique, le premier soumis c’est lui puisqu’il a renoncé à la « promotion » de son propre livre…
Pendant que la presse s’amuse à parler de Houellebecq et de Zemmour, l’État Islamique a fait exploser, égorger et bruler des personnes, un véritable carnage. Et personne n’est descendu dans rue crier « je suis touti quanti ».
C’est quand même curieux que les terroristes arrivent à déplacer à travers le désert des troupes, des armes et des colonnes de véhicules, alors que les satellites du Pentagone arrivent à distinguer un chien d’un chat. On tape sur l’islam, mais personne ne pose les causes du terrorisme : qui finance ? qui les soutient ?
L’écriture de Michel Houellebecq est fluide, rythmée et même musicale. Peu d’auteurs français possèdent, à mon avis, cette qualité d’écriture.
Pour ma part, j’ai pris un grand plaisir à lire Soumission, qui m’a entraîné à lire ensuite « la possibilité d’une île ».
Pour Houellebecq, je ferai comme d’habitude : j’attendrai qu’il sort en Poche, pour payer moins cher, et, comme d’habitude, je m’en régalerai. Je ne suis pas pressée de le lire. J’attends que la mayonnaise retombe. L’écrit sera toujours là dans deux ans et je ne crains pas absolument d’être lapidée avant ou interdite de lecture.
« ce qui aurait pu être une sotie de cent pages est un roman interminable »
Avez-vous remarqué, vous qui aimez le cinéma, qu’on peut appliquer cette remarque à un nombre sans cesse croissant de films.
Un nombre sans cesse croissant de films durent 2h voire plus. Là où auparavant, la durée était généralement d’1h30/1h40.
On n’y gagne pas au change et je sors souvent d’une salle en me disant que le film était bien mais qu’il y avait vraiment 20 voire 30 mns en trop.
A la charge du roman, on pourrait ajouter la remarquable vulgarité de l’effet qui l’achève (la phrase à l’ambiguïté clinquante de catchline « qui fait réfléchir », détachée sur la dernière page du livre). On se sent presque traité comme un client de Musso.
L’inanité des personnages, dont il ne reste vraiment rien, du moins dans ma mémoire. Ils sont bons à jeter, comme la petite jeune que baisouille le héros. Ils sont même déjà jetés avant d’ouvrir le livre : le roman pratique le tri sélectif (le collègue naze et dragueur, la collègue naze et salope, l’identitaire jeune, l’identitaire vieux, le retraité des RG, le retraité papa, etc. : tout cela n’est que fonction, en gros comme la confidente des pièces de théâtre ou un personnage de téléréalité). Et dire que c’est justement fait exprès est vain, puisque ceux des Particules élémentaires réussissaient à être vides, plats et tout ce qu’on veut, tout en étant littérairement pleins et présents.
La vis comica est ici faiblarde. Peu de passages vraiment hilarants (de mémoire, le « j’aime… le fromage » qui est d’une belle justesse et la « station janséniste, dédiée au carburant pur »). Or il me semble que Houellebecq est avant tout un grand humoriste.
Une impression soutenue d’auteur qui se pastiche lui-même, et assez pâlement. L’utilisation mécanique (et d’une mécanique mal ajustée) du « plus généralement » m’a marqué d’emblée. Des passages tels que ces considérations sur le Géant Casino qui « pourrait ouvrir le chemin d’une résignation partielle » avec ses plats micro-ondables.
A sa décharge, peut-être, ce qu’il ne montre pas, ou à peine : la guerre civile, violente. Toute la première partie est une sorte d’enquête sur cette réalité cachée (le héros n’a d’ailleurs à peu près aucune raison de jouer aux Œdipe ; l’enquête est il est vrai facilitée, grâce au vétéran barbouze intarissable). Lorsqu’elle se dissipe, dans la 2e partie c’est le monde environnant et la réalité qui disparaît, et on se sent entrer dans un monde aussi factice et vidé qu’à la fin du précédent roman.
Cela enlève toute crédibilité, toute consistance à cette bizarre utopie de république islamique franchouillarde. Je ne suis pas sûr que cet effet-là ne soit pas voulu. Il est pour le coup assez habile.
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