Le Herald Tribune du 28 juillet titre, en première page et sur trois colonnes : « France’s mysterous embrace of blogs » (pour les non-anglicistes : « la mystérieuse ruée sur les blogs des Français »). Statistiques à l’appui, le journal américain édité à Neuilly révèle que 60% des internautes français passent sur les blogs, contre 40% pour les Britanniques et un peu plus de 30 pour les Nord-Américains.
Puis le commentateur, Thomas Crampton, analyse l’usage comparé des blogs. Les Américains, par exemple, incorporent volontiers les idées des autres bloggueurs aux leurs, alors que les Français, semble-t-il, ignorent le compromis. Chacun, ici, camperait sur ses positions.
L’analyse s’affine, avec sous-titre plus existentiel : « The big question is why ». Un spécialiste français consulté, Loïc Le Meur, affirme que les Français sont champions du monde de l’ego, et adorent se raconter — alors que les Allemands ou les Scandinaves, petits joueurs de la blogosphère, restent sur leur quant-à-soi.
Ce n’est pas faux. Il y a des blogs qui affichent le narcissisme de leurs auteurs avec une innocence…
Mais il y a une autre explication peut-être, et ce blog-ci m’en donne une clé.

« Bonnet d’âne » (une pure provocation, cette appellation !) est visité par une moyenne de 20 000 personnes par mois (un peu plus en mai-juin, mais encore près de 18 000 en ce 28 juillet — alors que nous sommes en vacances, et que les accès à Internet ne sont pas si aisés). Et ce qui s’y exprime, les avis tranchés des uns, les anecdotes des autres, les noms d’oiseaux parfois, des vannes faciles et d’autres qui le sont moins — tout me donne à penser que ce qui se jette ici, c’est essentiellement ce qui ne se dit pas. Les plaisanteries les plus lourdes le révèlent mieux encore que tout le reste : le blog, c’est le retour du refoulé.
Les enseignants qui fréquentent ce blog, et ils sont un certain nombre, notent souvent qu’ils ont déjà seriné telle ou telle opinion à leurs collègues, maintes et maintes fois… Voire ! Peut-être l’ont-ils dit, mais pas avec cette liberté. Par ailleurs, même s’ils l’ont crié, qui les a entendus ? L’Education Nationale, mise en coupe réglée depuis vingt ans par les maîtres du discours pédagogique, est, bien plus que l’armée, la Grande Muette du XXIe siècle.
Et au-delà de l’Education, qui n’est jamais que la vitrine de notre République malade, c’est tout le politiquement correct qui vole en éclats, ici comme ailleurs. C’est d’ailleurs pour cela que je n’exerce moi-même aucune censure sur ceux qui s’expriment ici — parce que ce qui se révèle dans les lignes anonymes ou non des bloggueurs, c’est l’incapacité, de plus en plus grande, de la France « ordinaire », de l’école « ordinaire », à autoriser des opinions différentes. Encore un peu de liberté d’expression à la sauce pédagogique, et nous sommes mûrs pour le néo-fascisme — celui qui met des barreaux dans la tête.
Le blog est le dernier espace de liberté de cette démocratie qui, sous prétexte de laisser à chacun libre cours à ses opinions, condamne tout le monde à adhérer à un sentiment moyen, étété, stérilisé, dont la passion et les paroxysmes sont exclus.
Salut donc à toutes celles, à tous ceux qui passent, ou qui séjournent. Je salue en elles et en eux mes congénères en liberté. « Attaché ? dit le Loup. Vous ne courez donc point où vous voulez ? »
Les loups en laisse de la fausse démocratie qui nous gère surfent aujourd’hui de blog en blog. Qu’ils hurlent — peut-être alors les entendra-t-on.
JP Brighelli