Marie-George Buffet vient de demander que l’on arrête le débat sur l’identité nationale (1).

Déjà cela paraît un peu fort aux démocrates professionnels. Comment ! Le gouvernement libère la parole, et voici qu’on prétend la geler !

Une communiste aussi ! Qui s’en étonnera ?

Mais c’est qu’elle a peut-être raison, cette bonne dame. Quarante ans après une révolte qui chantait « liberté d’expression » sur l’air des lampions, où en sommes-nous ?

(1) Déjà dans une lettre adressée au préfet de Seine-Saint-Denis, début décembre (http://domik.20minutes-blogs.fr/archive/2009/12/12/identite-nationale-declaration-de-marie-george-buffet.html)


Je ne censure rien sur ce blog, sauf attaques personnelles — contre d’autres que moi. Un espace réservé à l’Ecole et à l’Education, pensais-je, devrait générer un certain respect… À commencer par celui de l’orthographe…

C’est à peu près le seul point acquis. Pour le reste…

Régulièrement, des gens qui pensent brun passent ici déverser leur fiel et leurs convictions nauséabondes. Ils s’attirent les foudres d’autres intervenants, qui finissent par me reprocher la liberté que je tente encore de défendre. Et les polémiques enflent.
Le fait que nous parlions généralement d’Ecole n’empêche rien : des considérations sur l’apprentissage de l’Histoire, par exemple, génèrent des affrontements sur l’évaluation de la guerre d’Algérie, qui dégénèrent en arguties sur le péril islamiste, qui engendrent des abominations sur le Juif apatride (forcément, devrais-je dire…), qui provoquent…

Le plus sidérant, c’est que la liberté, ces derniers temps, sert de prétexte au retour du refoulé — qui, comme son nom l’indique, avait tendance à rester refoulé, depuis que les Russes avaient libéré Auschwitz. La crise aidant (et il en fut de même dans l’Allemagne de Weimar : une haute civilisation résiste mal quand elle a faim, et ventre affamé n’a ni oreilles, ni neurones), les idées de l’extrême-droite se banalisent.
Et d’autant mieux qu’elles ont été récupérées, et avec une réelle efficacité, par la Droite — le populisme n’est pas l’apanage du Front national. Nicolas Sarkozy a laminé le FN aux dernières présidentielles — on a pu s’en réjouir, mais force est de constater que la conséquence la plus directe du discours sécuritaire, ce fut un glissement de l’aiguille encore plus à droite. LE FN à 15%, c’était hier — et c’est demain.

Sur ce, arrivent les Régionales et, en perspective, les Présidentielles, à nouveau. Le traître d’opérette — Eric Besson — propose, pour embarrasser la Gauche et séduire à nouveau un électorat dont il sent bien qu’il échappe derechef à la Droite « traditionnelle », un débat sur l’identité nationale. Et voici que ce qui s’exprime, dans les préfectures, à l’occasion de ce débat / llage, ce sont les opinions les plus racistes et les plus outrancières —parfaitement décomplexées.

Je vais risquer une hypothèse. Bonnetdane est l’un des très rares blogs non censurés du Net. Mais si les autres forums en usaient de même, je parie que ce qui s’y exprimerait, sous le couvert commode de l’anonymat Internet, serait du même tonneau, ou pire peut-être (l’obligation orthographique décourage ici assez vite les trolls provocateurs). Le Net, parce qu’il met les intervenants à couvert, devient une conversation de bistro ininterrompue — un bistro par temps de cuite. Non pas un espace de liberté, mais une aire à dégueulis.

Et l’extrême-droite, qui semblait renvoyée dans les catacombes, en profite pour redresser la tête — mais plus à droite encore. Des opinions qui, il y a cinq ans, ne se seraient exprimées qu’avec l’excuse de l’alcool ou de la bêtise, courent en toute liberté sur la Toile — et dans la rue. Pire : des gens dont je ne remets pas en cause l’engagement à gauche tiennent des propos qui, sous couvert d’anti-islamisme, frisent constamment la xénophobie. Et quand je dis « frisent »…

Du coup, les islamistes, pensant qu’ils profiteront de la chienlit qui lentement et sûrement s’installe, en font des tonnes, revendiquent des droits constamment nouveaux, grignotent l’espace public, prient dans les rues, imposent de la viande hallal dans les cantines, des horaires spéciaux dans les piscines, et voilent les petites filles. Ce qui ne manque pas de générer en retour…

Bien sûr, on pouvait s’y attendre. À force de tenir des discours angélistes, de penser que la religion n’appartient qu’à l’espace privé et n’a pas d’ambition hégémonique, que si la burqa c’est trop, le voile, lui, est supportable… À force d’inventer des « machins » comme la Halde qui bondissent sur n’importe quel prétexte pour crier à la discrimination… À force de tolérer, ou d’entretenir, dans les banlieues et ailleurs, un climat d’insécurité qui ne peut qu’attiser les réactions violentes… On pouvait s’attendre à ce que le sur-moi de la civilisation suinte, puis saute. Les religions monothéistes sont hégémoniques — et, à ce titre, politiques. Mais ce sont des idées qu’il faut combattre. À la rigueur, des leaders d’opinion. Pas des hommes, indifféremment. Je suis un peu effaré du grand retour du pluriel dans les discours — les Noirs, les Arabes, les…Eh bien, je m’y mets aussi. Les néo-fascistes. Les néo-nazis. Les petits cons.

Les Régionales vont voir un revival du Front, c’est évident. Et ce qui se profile derrière, ce sont des Présidentielles musclées — parce que Nicolas Sarkozy, ou qui que ce soit qui sera sur ses positions (je ne sais pas pourquoi, mais je ne suis pas si sûr que cela qu’il se lance dans une nouvelle campagne) sera bien obligé d’osciller encore plus à droite, pour récupérer un électorat volatil. Ce qui amènera les extrêmes à défouler encore davantage une parole létale… Le tout dans un contexte d’aggravation de la crise — qui peut croire que les choses ne vont pas empirer, sur le front économique, sur le marché du travail ? Allemagne années 20 : tout nouveau chômeur était en puissance un nazi qui s’ignorait — mais qui ne s’ignorait pas longtemps.

Dois-je censurer les défoulements de bêtise qui déferlent parfois ici ? Ce n’est pas en cassant le thermomètre que nous modifierons la situation. C’est en combattant, pied à pied, en expliquant sans trêve, en évaluant exactement l’état des forces – et je le trouve diablement inquiétant, l’état des forces. Quand je pense que la plupart des gens qui postent ici sont des enseignants, il y a de quoi être sidéré — et inquiet. Ce n’est pas une raison pour les censurer, parce qu’une parole coupée ici se paiera diablement plus cher dans quatre mois, ou dans deux ans. Vous avez aimé 2002 ? Vous adorerez 2012.

 

Jean-Paul Brighelli