En ce mardi 11 février, W9 diffusait une émission intitulée « Complots: vérités et mensonges », censée nous aider à faire le départ entre vrais et faux complots : le nuage radioactif de Tchernobyl épargne la France? Vrai complot. Aucun avion ne s’est écrasé sur le Pentagone? Faux complot. Comme le rappelle un des intervenants de l’émission : il existe tout un rayonnage de complots parfaitement réels. Pourtant, sans surprise, le but d’une telle émission est d’abord de dénoncer les complotistes et de contrer leurs théories en analysant avec rigueur les arguments qu’ils avancent, à travers l’examen de quelques cas marquants.
Pour chacun d’eux, la présentation est la même : énumération et explication (justificative) des arguments et des preuves du camp complotiste, puis démontage systématique de chaque élément avancé.
Le procédé est intéressant, rigoureux en effet, mais risqué. Car il faut être certain, quand on mène ce genre de démarche, que les arguments anti-complotistes sont plus puissants que les arguments complotistes.
L’exemple de Mamadou Gassama, ce clandestin qui escalada un immeuble pour sauver un enfant suspendu dans le vide après une chute, est, à ce titre, tout à fait révélateur. L’émission énumère longuement, de manière exhaustive, les arguments et preuves par l’image développés par les partisans d’une machination. Et aucun ne sera renversé de manière décisive. Oserai-je le dire? Moi qui n’avais aucun doute sur l’authenticité de ce fait divers, je me suis surprise à douter en regardant cette émission dont l’objectif est pourtant de démonter les théories complotistes. Deux éléments en particulier diront assez sa grande faiblesse:
_ L’émission rappelle qu’André Bercoff a interviewé une physicienne reconnue, en lui demandant de confirmer scientifiquement qu’il était impossible qu’un enfant tombant d’un balcon puisse, dans sa chute, s’agripper à la balustrade du balcon de l’étage du dessous. W9 diffuse un extrait de l’interview en question et, sans répondre sur le fond, laisse un des intervenants commenter en substance : « les complotistes aiment beaucoup les experts, ces spécialistes diplômés qui viennent accréditer leurs théories ». Ironie du sort, celui qui s’exprime ainsi est « expert en théories du complot ». Les anticomplotistes aussi aiment beaucoup les experts, ces spécialistes diplômés qui accréditent leurs théories. Une telle faute rhétorique (un discours qui se disqualifie lui-même en voulant attaquer la cause adverse) s’appelle l’autophagie: littéralement, le fait de se manger soi-même.
_ Conscients que la question de savoir comment l’enfant s’est retrouvé accroché dans cette posture surprenante est réellement problématique, les concepteurs du reportage éprouvent le besoin de répondre sur ce point. Et la réponse est la suivante : c’est un « miracle ». Le terme sera prononcé plusieurs fois, par plusieurs intervenants différents et fait office de verdict supposément satisfaisant dans une affaire où il s’agit de contrer des positions jugées si évidemment fantaisistes. Bien sûr, je crois aux miracles. Mais au moins, reconnaissons la légitimité de la méfiance et du doute et ne crions pas au complotisme chez ceux qui refusent cette interprétation des faits. Pour le dire autrement : de celui qui défend la thèse du miracle et de celui qui défend celle du complot, qui est le plus ridicule, qui est le moins crédible? Ayons l’honnêteté de reconnaître qu’il n’est pas facile de trancher la question.
Le second objectif de ce type d’émissions est de faire sentir au téléspectateur lambda qu’il est, par lui-même, incapable de juger lucidement de ce qu’il entend et de ce qu’il voit. Il doit faire confiance aux médias et, attention, pas à n’importe quels médias. Il doit, cela va de soi, éviter de s’informer sur des médias sulfureux, eux-mêmes désignés comme complotistes et propagateurs de fake news par les médias d’autorité, seuls fiables évidemment. Et peu importe si ces médias d’information fiables sont souvent les premiers à relayer témoignages douteux et preuves discutables, rumeurs, suspicions infondées, etc. : que l’on pense à la fausse interview de Castro par PPDA, aux charniers de Timisoara, aux armes chimiques de Saddam Hussein, ou bien encore…au nuage radioactif de Tchernobyl. Ou à toutes les hypothèses diffusées au conditionnel, mais diffusées quand même, lors de chaque attentat. Tant ils ont peur de rater un scoop ou de laisser à un rival la primeur d’une information. Car nos « marchands de nouvelles » (Maupassant) savent trop bien, dans le monde médiatique ultra-concurrentiel qu’ils composent, quelle est la valeur d’une information, même fausse.
Sans compter que les médias les plus reconnus sont aussi de, temps en temps, parfaitement complotistes : on se souvient des doutes émis en toute candeur sur de grandes chaînes, lors de l’attentat de Saint-Pétersbourg en 2017. La thèse officielle des autorités russes était contestée à tout va, sans l’ombre d’une preuve.
Le reportage de W9 s’appuie sur un sondage montrant que 79% des gens croient au moins à une théorie du complot. Et alors? serait-on tenté de rétorquer. D’autant que les complotistes sont souvent des gens à tendance paranoïaque qui se rendent eux-mêmes malheureux. C’est triste pour eux mais ils sont pittoresques et, s’ils se montrent parfois lourds, du moins ne sont-ils pas dangereux.
Détrompez-vous, semble nous dire l’émission de W9 : le complotisme est dangereux. Et l’exemple donné est celui de la tentative d’incendie de la mosquée de Bayonne, attaque au cours de laquelle deux hommes ont été blessés par balles. Le coupable est un homme de 84 ans, désireux de venger l’incendie de Notre-Dame, dont il attribue la responsabilité aux musulmans, suivant en cela une théorie complotiste qui a beaucoup circulé sur la toile.
Mais pour le passage à l’acte raté d’un vieillard, combien de complotistes ne sont pas assez convaincus par leurs propres élucubrations pour envisager une action quelconque?
Et puis surtout, ce que le reportage ne dit pas, c’est que le complotisme est bien moins une réaction visant la réalité des faits eux-mêmes que leur traitement. Le complotisme naît d’un sentiment de manipulation qui, faute de trouver sa vraie cible, traque de supposés mensonges, alors qu’on peut manipuler quelqu’un en lui disant des choses vraies, mais en les disant de telle manière qu’il en tire les conclusions que l’on espère lui imposer. Dans l’affaire Aylan (le petit migrant noyé retrouvé sur une plage turque), beaucoup ont voulu reconstituer le naufrage, se sont interrogés sur la position du corps etc. Mais qu’est-ce qui suscitait l’agacement, en réalité? C’était l’exploitation propagandiste de cette photo au profit de l’accueil large et inconditionnel des migrants. De même, quand des gens s’interrogent sur une possible mise en scène dans l’exploit de Mamadou Gassama sauvant l’enfant suspendu dans le vide : ce qui insupporte, c’est le discours médiatique développé autour de cette histoire, un discours marqué par l’idéologie immigrationniste. Autrement dit, le complotisme est moins une conviction réelle et scientifiquement fondée, même s’il s’en donne l’allure, qu’une réaction face à l’instrumentalisation allergisante des faits, allègrement pratiquée par des médias unanimes et donneurs de leçons.
Je vais tenter de clarifier certaines choses.
— Primo.
Si j’en crois les définitions des dictionnaires de l’Académie et de Littré, pour qu’il y ait complot il faut qu’au moins deux personnes s’entendent secrètement ; par conséquent le criminel qui prend seul la décision secrète de mettre le feu à un édifice religieux n’est pas un comploteur, et il n’y a pas complot.
La pluralité des acteurs est un élément de sens important.
— Secundo.
«Complotiste» peut signifier deux choses.
1. — Est un complotiste celui qui pense que tel fait (incendie…) résulte d’un complot (deux ou plusieurs personnes ont pris la décision secrète d’incendier).
2. — Est un complotiste celui qui pense que la relation, l’interprétation inexactes de tel fait résultent d’une entente coupable et secrète entre deux ou plusieurs personnes (journalistes, politiques…). C’est dans cette deuxième acception qu’est la plupart du temps utilisé le mot «complotiste».
J’ajoute que cette entente peut être explicite, verbale, mais elle peut être aussi muette : le respect du politiquement correct et du pas-de-vagues ne nécessite pas que les comploteurs (les manipulateurs d’opinion) se parlent et s’entendent préalablement.
J’ai oublié d’indiquer un élement de définition important de la deuxième acception : «complotiste» n’est pas un terme neutre, il est péjoratif, méprisant. Il vise à déconsidérer la personne à laquelle il est appliqué ; le complotiste n’est pas fiable, il n’a pas toute sa tête et il vit dans l’imaginaire.
Jusqu’alors, je me suis contenté d’apprécier votre intelligence; ne pas partager certaines de vos opinions n’a aucune importance : il s’agit d’intelligence à l’œuvre.
Mais il se trouve que je suis certain d’une chose, à propos de la tentation du complot.
C’est que, vraiment, l’idée d’êtres humains malveillants, certes, mais efficaces et conscients, est préférables à la réalité qui est que, où que l’on se place, il est des humains paumés au milieu de milliers – d’une infinité – d’éléments fluctuants.
Je crois absolument que cette vision nous effraie. Que nous espérons qu’il est, quelque part, des êtres humains qui savent ce qu’ils font. Et que tant pis s’ils font le mal.