Ce jeudi matin encore, Jean-Jacques Bourdin demandait à Didier Raoult de s’exprimer au sujet des images de foule compacte se trémoussant dans les rues à l’occasion de la fête de la musique de dimanche dernier.
Ce qui a le plus saisi mon attention ce soir-là, c’était le titre qui accompagnait ces vidéos sur LCI (repris par Metronews).
J’en ai trouvé d’autres dans le même esprit:
La Dépêche
La Nouvelle République:
Comment ne pas bondir quand on voit les mêmes, qui jouaient les bons petits soldats il y a encore quelques jours et, relayant la parole politique, assumaient des rappels à l’ordre permanents pour nous convaincre de la nécessité des « gestes barrières », masques et autre « distanciation sociale », soudain saluer le courage de ceux qui s’affranchissent de toutes ces règles?
En effet, il est idiot d’écrire que la foule « défie le virus ». « Défier » signifie « provoquer quelqu’un », « contester frontalement son autorité ». Vis-à-vis du virus, cela n’a aucun sens: soit il circule encore activement et il va pouvoir s’en donner à coeur joie dans ce type de rassemblements qui constituent pour lui une aubaine; soit il a quasi disparu et, dans ce cas, ces fêtards ne défient rien du tout. Pour que cette expression ait un sens, il faut la rectifier. Ce que la foule défie, ce sont les consignes sanitaires.
Et l’on comprend que le titre choisi par LCI est pervers : La foule défie le virus et c’est la police qui intervient? Méchante police qui, se faisant ennemie de la foule, se retrouve de fait dans le camp du virus. Faut-il y voir un effet collatéral du discours discréditant les forces de l’ordre qui se propage dans le sillage du mouvement Black Lives Matter?
Ce qui est amusant, c’est que l’expression « défier le virus » n’est pas nouvelle. Elle a été employée pour ridiculiser Donald Trump et Jair Bolsonaro. Il s’agissait alors de les tourner en dérision en pointant leur attitude jugée irresponsable face à la propagation de l’épidémie: n’étaient-ils pas grotesques de se croire plus forts qu’un virus, et risibles, à défier ainsi un micro-organisme? Telle était l’idée. Cette expression, appliquée à Trump a d’ailleurs refait son apparition au même moment que la fête de la musique:
Quand il s’agit de Donald Trump, on ne le donne pas à admirer pour son courage, on déplore son inconséquence. Quand une expression métaphorique n’a aucun sens, elle peut aussi bien permettre de valoriser que de discréditer, tout en épargnant à celui qui l’emploie l’impératif de cohérence.
Oui, c’est, comme bien souvent ou comme toujours, le contexte, le texte de l’article qui nous renseignera (texte que nous n’avons pas ici), si ce défi doit être moqué ou applaudi.
Cela dit, le mot « défi » fait partie des jouets préférés des journalistes, un exhausseur de goût des racoleurs : on en met partout.
J’imagine que ces journalistes n’auraient pas osé dire « La foule défie Macron » — c’est pourtant ce qu’elle a fait. Ils ont préféré calmer le jeu en disant que c’était le virus qui était défié et valoriser le comportement de la foule comme un geste d’audace, voire de courage.
Tout cela cependant est assez véniel, et on pourrait, hélas ! donner des exemples récents de manips ou de cafouillages moins innocents.