Quand on ne sait pas, on se tait. C’est une règle de base de l’éducation qu’il est assez difficile de faire respecter à un enfant, quand l’anime le désir si puissant de « faire son intéressant ». Désir qui anime également nombre de très grands enfants communément appelés journalistes.

Nous vivons actuellement l’une des périodes que les journalistes préfèrent : celle des supputations. Qui Emmanuel Macron va-t-il choisir comme Premier Ministre ? On ne sait pas. Il paraît que lui le sait depuis longtemps. C’est bien. Mais d’ailleurs, peut-être est-ce faux et n’en sait-il rien, lui non plus.

Mais il faudrait que le CSA, maître ès contrôle du temps de parole, s’avise d’évaluer le temps, ainsi que le volume d’encre et de salive, que l’on consacre à émettre des hypothèses et à en tirer par avance interprétations et conséquences : si le Président choisit untel, cela voudra dire que… et cela provoquera sûrement telle chose ; en revanche, s’il choisit truc, on aura la certitude que… et dès lors, immanquablement…

C’est admirable, on appuie sur le bouton et ça sort tout seul. Les gars peuvent tenir une émission entière à parler d’un premier ministre qui n’a pas encore été choisi. Qu’est-ce que cela apporte, je le demande. Autrement dit, avons-nous besoin de savoir qui sera le Premier Ministre avant l’annonce de sa désignation ?

Il s’agit encore d’une maladie journalistique qui consiste à prouver sa compétence en montrant qu’on est dans le secret des dieux. C’est fort : on ne traite pas de l’actualité mais de l’avenir. Et nous, on nous demande d’apprécier et d’applaudir : ouah, qu’est-ce qu’ils sont forts, dis, ils le savaient avant !

Et ce qui est encore plus fort, en l’occurrence, c’est qu’ils parviennent à en parler des heures sans rien savoir de plus que nous.

En tout cas, avec ce principe, ils ne peuvent pas avoir l’angoisse de la page blanche…

Ils jouent au portrait-robot:

Ils font des paris : et si c’était untel ? Et on rédige un article sur untel.

Moi qui croyais que l’information s’opposait, par définition, aux rumeurs, je constate qu’elle consiste en fait à les compiler :

Quant à certains articles, on se demande si l’intention sous-jacente de leur rédacteur n’est pas d’influer sur le choix présidentiel, comme ici sur France Info :

On ne dit plus « et si c’était untel », on dit : les Français veulent untel. C’est comme quand votre fille vient vous dire que son petit frère veut un biscuit. Rien à lui reprocher : elle n’a pas dit qu’elle voulait un biscuit, elle. De grands enfants, je vous dis.

10 commentaires

  1. La cas Macron, c’est un peu comme l’abandon du principe de sélection en secondaire. Je m’explique: comme il faut néanmoins en faire une (de sélection) eh bien, on la pratique en retard à l’université. Résultat, temps perdu et budgets dilapidés, plus des vies (partiellement) gâchées, tout cela pour ne pas dire la vérité. Les français n’ont pas voulu faire de sélection le 7 mai. Ils ont laissé passer celui qui dit tout et son contraire, le produit marketing parfait…Très bien. La sélection viendra plus tard et coûtera temps et argent, sans compter des vies (partiellement) gâchées.

  2. Merci pour cet article qui appuie une remarque que je me fais très régulièrement.
    En effet il me fait penser à cette habitude qu’ont les journalistes de fonctionner par prévisions sans jamais vérifier ensuite si elles se sont réalisées on non..
    les exemples les plus courants: en novembre ils annoncent tous sous couvert de sondage « les français ont prévu de dépenser tant d’euros pour les achats de Noël ».
    Ou bien, « l’OCDE a prévu une croissance économique de la France de x% pour l’année 2017 ».
    « Les experts prévoient un taux de chômage de n% pour le premier semestre  »
    Aucune des ces annonces n’est jamais vérifiée une fois l’échéance passée , comme si ce n’est pas très grave pour le journaliste. Pourtant une prévision qui ne s’accomplit pas montrerait bien l’incompétence de l’organisme qui l’a émise: et ce serait là une information vraiment intéressante de connaitre la compétence de ceux qui disent connaitre l’avenir.

  3. Chère Ingrid,

    Ce jeu de la devinette n’est que l’extension du principe qui veut qu’une fausse nouvelle, ça fait deux nouvelles. La première, fausse, et le démenti. Parfois on y rajoute la vraie, histoire de faire plus sérieux. Mais rien n’y oblige…

    Ceci étant dit, permettez-moi de jouer au jeu des hypothèses, moi aussi. Depuis quelques temps, on ne parle plus de la mise en examen de Marine. Ni du compte aux Bahamas d’Emmanuel. Donnant, donnant?

    Je vous souhaite une bonne journée.

  4. Comme d’habitude, excellente analyse de l’inepte comportement stéréotypé des médias.
    Vous évoquez ce nouveau symptôme de la maladie (infantile ? sénile ?) apparue avec les chaînes d’information en continu. ou comment conserver l’attention des parties de cerveau vaguement disponible jusqu’au prochain encart publicitaire, quand on n’a rien à dire sur une absence d’événement.
    Les marronniers, aussi désuets que les interludes de feue la RTF, sont à présent remplacés par une logorrhée tiède dont la fonction est la même : maintenir l’hébétude, donc la fidélité à la chaîne, du spectateur jusqu’à la prochaine publicité prétendument ludique censée réveiller les quelques neurones encore connectés à l’aire cérébrale du désir.
    Les poubelles de la télé réalité ont une fonction identique. Il existe même des chaînes de météo en continu…

  5. Le journalisme ne saurait échapper à l’effondrement culturel de la France.
    Hier, journée de couronnement, alors même qu’il y a matière à débattre, les commentateurs sont tombés dans le lyrisme, tout ce qui les interpelle ce sont les images.
    Nous en sommes à entendre que Mme Macron se tient bien, que Macron lui même marche très lentement, comme s’il suivait la musique.
    Ainsi, la politesse élémentaire, l’éducation, l’obligation cérémonieuse dont ont fait indubitablement preuve Mme Macron et son mari, apparaît à tous ces scribes comme une révélation. Eu égard à leur étonnement, sincère hélas, c’est dire si eux mêmes en sont dépourvus.
    Un monde dans lequel l’image s’est substituée à l’analyse, un vrai dictât, dont l’illustration la plus marquante fut celle du petit Aylan mort sur une plage.
    Les journalistes sont des enfants avec des livres de coloriage… dans le meilleur des cas.

  6. Les medias ne sont plus depuis longtemps déjà des organes d’information (voir le filtrage d’informations importantes qui ne paraissent plus) et ont choisi de devenir soit des medias d’influence soit de faire de la presse-people. Tout n’est que manipulation,futilité et superficialité, mais en tous cas, ils auront eu leur moment de gloire avec cette élection présidentielle confisquée aux Français et une affiche de second tour voulue par la presse et le pouvoir sortant. Dommage que les 41 % de votes extrêmes ne gêne pas les medias : il suffit de voir la réaction des journalistes le 21 avril 2002 et le 23 avril 2017 : tout est dit !

  7. France Info m’a bien fait marrer ; ils se surpassent en ce moment.
    En l’occurrence, le sondage Odoxa sur Juppé 1er ministre était inepte tant sa méthodologie était biaisée. Mais aucun commentateur ne s’y est intéressé (à la méthodo, hein, parce que pour commenter les résultats du sondage, là…). Mieux, l’invité pour analyser ce sondage est lui-même d’Odoxa – son nom m’échappe, dommage, car c’est un parfait bateleur : décontraction et mauvaise foi. Ainsi chez Odoxa, il ne semble pas que l’esprit critique soit une ‘core competency’.
    Bref, le carré d’as de la matinale politique (Sintès, Birnbaum, Borstein, Apathie) est le meilleur quatuor comique du moment. J’espère qu’ils garderont encore longtemps cette fraîcheur.

    • Plus généralement, sur le traitement des rumeurs comme information, le journalisme politique ressemble de plus en plus au journalisme sportif. BFMTV, l’Equipe 21, même combat.

  8. Pour le journaliste, spéculer ad nauseam est moins exigeant que rechercher de l’information. Pour son employeur, c’est moins coûteux. Tout le monde est gagnant. Sauf le public, l’éternel cocu de l’histoire !

  9. Chère Ingrid, venant tardivement sur ce fil, je tombe sur les premiers mots de votre article : quand on n’a rien à dire etc.
    C’est en effet ainsi que j’ai été enseigné mais depuis 68 j’étais passé au  » c’est pas passqu’on n’a rien à dire qu’on va fermer sa g… « . :-))

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