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Les voyous de carnaval paient pour les vraies racailles.

Du verre cassé

On nous répète assez que les policiers sont fatigués du laxisme avec lequel les tribunaux traitent les damnés sacripants qui sèment la zizanie dans nos quartiers. Selon la célèbre formule : « On les interpelle et le lendemain, ils sont dehors ».

Booba et Kaaris ne sont pas dehors. Pourtant, ils n’ont agressé personne, ou plutôt, ils n’ont agressé qu’eux-mêmes. Le sort des deux quadragénaires ne fait courir aucun danger à la paix sociale, il ne mettra pas le feu aux banlieues. Alors Kaaris et Booba paient pour les autres.

L’affrontement entre leurs deux bandes n’a causé que des dégâts matériels ; les dommages physiques dont souffrent les combattants de part et d’autre sont très légers. Aucun blessé grave, aucune victime collatérale. Du verre cassé, c’est tout. Du verre qui coûte cher, certes, quand c’est un Jean-Paul Gaultier à 60 euros le flacon. Mais tout de même : n’est-il pas évident qu’une bagarre en plein hall d’aéroport aurait pu, aurait dû, faire bien plus de dégâts, notamment chez les combattants eux-mêmes ?

Une mise en scène

Médias et justice se rendent complices d’un coup de com’ bien orchestré, voilà tout.

Les seuls articles qui abordent ce fait divers comme une « opération marketing » ne sont pas rédigés par des journalistes. C’est, par exemple, celui de Florian Silnicki, conseiller en communication de crise :

booba1

et celui de Benjamine Weill, philosophe spécialiste du rap (sic) :

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Partout ailleurs, on prend l’événement très au sérieux. On lui accorde le traitement judiciaire et médiatique qui conviendrait à certains faits divers… que l’on passe constamment sous silence. Porte de Clignancourt, à Paris, des bandes de gitans et de migrants s’affrontent régulièrement en pleine rue à l’arme blanche. Qui s’en inquiète, sinon les quelques habitants du quartier qui ne s’y seraient pas encore habitués et de malheureux étudiants étrangers de Paris IV-Clignancourt (les étudiants français ont la prudence de ne pas loger sur place) qui se demandent dans quel pays de fous ils sont tombés, eux à qui les dépliants faisaient miroiter une année de rêve dans le Quartier Latin.

Kaaris et Booba ont bien monté leur coup. Le lieu a été choisi pour assurer la médiatisation de l’événement. Un coin de rue dans une banlieue craignos, c’est deux ou trois portables qui filment depuis une barre HLM. Dans un aéroport, on a la garantie d’une couverture multi-angles à raisonnement international. Les spectateurs ont d’ailleurs pu filmer l’événement de près sans trop de difficulté : aucune crainte de se faire arracher son sac ni même de prendre un coup perdu.

La scénographie mise sur l’effet spectaculaire. Les combattants sont des grands costauds bodybuildés. Le procédé est connu au cinéma : on veut donner à voir la puissance physique. La carrure du combattant suggère la violence des coups, indépendamment de la force réelle de ceux-ci. C’est un truc. Kaaris et Booba sont des habitués du ring et des salles de muscu. L’altercation aurait dû faire des blessés graves.

A condition de certifier qu’on est majeur, on peut regarder sur Youtube nombre de vidéos de bagarres entre gangs dans divers pays du globe. Les combattants sont le plus souvent des gringalets surexcités et ultraviolents, rien à voir avec les nounours frimeurs des vidéos d’Orly. Sur ces images, en effet, on a plutôt l’impression de voir un combat de catch. C’est spectaculaire à tous les points de vue : allure des participants, mouvements, déplacements, mais cela n’a rien à voir avec les vraies bagarres dans lesquelles on veut faire mal et provoquer un KO, sinon la mort de l’adversaire.

La chute sur la rangée de sièges à 0:43 n’est pas celle de quelqu’un qui est déstabilisé et cherche à se rattraper. Elle est exagérée, surjouée, disproportionnée par rapport au coup reçu :

Derrière les coups de poings, un coup de main réciproque ?

C’est incontestable : Booba est une légende.

Tout récemment, un professeur qui faisait allusion d’un air entendu au « rappeur offensif honorant le fond et la forme » a constaté qu’aucun élève de sa classe ne savait qui était Rohff. Cette star du rap prétendait pourtant détrôner Booba quand j’étais moi-même au lycée. « R-o-h-2f » tente d’ailleurs un come back en donnant son avis sur la bagarre d’Orly. Les jeunes d’aujourd’hui écoutent Médine, Moubarak, Sofiane, Maître Gim’s, PNL… mais toujours Booba.

Kaaris doit sa notoriété à Booba (qui se vante de l’avoir « tiré du trou »). Cependant, il a décidé de détrôner son Pygmalion. Voilà l’histoire, sans doute vraie mais qui ne justifie pas les torrents d’insultes et de menaces que se déversent mutuellement les deux hommes. Leur rivalité est un mythe dans les deux sens du terme (à la fois célèbre et imaginaire), à peu près comme celle qui opposait les Beatles et les Stones. C’est une scénarisation, du storytelling comme on dit. Afficher des querelles plus ou moins fictives fait, au demeurant, partie intégrante de l’univers du rap. On s’insulte dans les paroles de chansons, on se répond d’un album à l’autre et on se provoque sur des comptes Instagram à grand renfort de photos bidouillées.

Échange de bons procédés : Kaaris apparaît comme celui qui ose défier le king et Booba comme celui qu’il faut défier, donc comme le perpétuel king.

Mais vient un jour où les échanges d’amabilités ne suffisent plus à passer pour d’authentiques rebelles. Les disputes en mode 2.0 de Kaaris et Booba se perdent dans les multiples guéguerres identiques de la planète rap, intéressent moins, suscitent indifférence ou moqueries : à quarante balais, faut se calmer les gars. Eh oui, devenir une légende, cela signifie aussi devenir un « papy du rap », vieillir. Vient donc le jour où deux rappeurs vieillissants ressentent le besoin d’assurer une crédibilité à leur image de voyous. Alors ils se tapent dessus un peu pour de vrai mais en retenant leurs coups ; et les insultes fusent. Si j’ai bien entendu, dans les vidéos d’Orly on trouve : « va à l’hôpital, gros ! » et « espèce de pédé, nique ta grand-mère ! ». Ces rappeurs sont les poètes des temps modernes, leur inventivité verbale ne connaît aucune limite.

A moins que, justement, ces insultes désuètes ne consacrent définitivement leur statut de papys du rap. Pardon, de légendes.

26 commentaires

  1. Bien sûr que c’était une opération marketing. Mais l’exemple auprès de ceux qui ne la percevraient pas comme telle? Et puis, ce n’était pas une cascade longuement préparée à l’avance, il aurait pu y avoir de l’imprévu.

  2. cet article est il ironique? des boutiques saccagées, un aéroport à l’arrêt, des voyageurs retardés parce que 2 guignols du RAP auraient juste décidé de faire un coup de comm et que cela ne justifierait pas une mise ne détention…… ces 2 tocards n’ont que ce qu’ils méritent et puisqu’ils servent d’exemple eux et leur musique de merde à toute la racaille de nos banlieues: que cette détention et les autres suites données à cette farce servent également d’exemple!

    • Tout à fait d’accord avec Duncan: ils ont ce qu’ils méritent et espérons que ceux qui « se battent à l’arme blanche » auront le même sort

    • Je suis entièrement d’accord avec vous. Et je regrette d’avoir renouvelé mon abonnement à Causeur

      • Ah si! Je suis à 100% d’accord avec madame Riocreux.
        Je suis super-content d’être abonné à Causeur (« surtout si vous n’êtes pas d’accord »).

        En même temps , je nuancerais ces 100% : que les bandes hyper violentes soient impunies ne justifie pas que des vedettes fassent des coups de pub en les imitant.
        Qu’ils fassent un petit séjour à l’ombre me semble justifié. C’est le salaire du rapeur.

        • Et même : le sale air du raper (de l’anglais to rape)
          Tout à fait d’accord : en tôle ! Et si c’est un coup de pub, circonstance aggravante : 6 mois fermes ! + TIG : faire le ménage à l’eau de Guerlain chez tous les passagers mis en retard !

  3. Juste une petite remarque, très accessoire : chère Ingrid avez-vous raison et par quel raisonnement intellectuel êtes-vous parvenue  » à raisonnement international  » plutôt sonore en place de résonnance ? Ça résonne mieux ?

  4. Plus sérieusement, la bagarre pour leur com. me paraît aller de soi. Par contre, on savait déjà que nos juges supervisaient la politique, voyez Fillon, et voilà qu’ils se mêlent aussi de publicité?
    Où les arrêtera-t-on?
    Tiens? Mais c’est une question antique, ça : quis custodiet ipsos custodes?

  5. Mwai….on a connu Ingrid Riocreux mieux inspirée, surtout pour la première partie de son article. A trop vouloir justifier (mériter?, affirmer?) son statut de déchiffreuse des médias elle doit être devenue la victime du même syndrome que Booba : ressentir le besoin d’assurer son statut quitte à dire n’importe quoi….bon, ça arrive pas souvent mais attention, Ingrid, la vieillitude te guette !

  6. Demander à quelqu’un de plus caller sur le sujet , s’il vous plaît… C’est d’un ramassis de connerie pas possible .

  7. Honte à moi, chère collègue! Hannibal m’a devancé dans la remarque ironique sur la confusion « raisonnement//réson(n)ance » qui ne peut être que volontaire…
    Le Carthaginois a vaincu le vieux latinophile que je suis
    bien cordialement

  8. Va pour l’analyse choregraphique de cette mascarade bollywoodienne, mais le commentairebute sur l’analyse de la mascarade juduciaire.
    Eussent-ils casse du petit-blanc, ils seraient libres (cf. Behacem Benalla, aka Alexandre..): sacager un magasin ou deux, bruler des bagnoles, perturber le fonctionnement d’un aeroport international… ne constitue plus depuis longtemps un « trouble a l’ordre public ».
    Le scandale qui justifie le caca nerveux des juges c’est qu’ils aient ose s’en prendre, fut-ce en faisant semblant, a des Noirs ! C’est ca et seulement ca le « trouble a l’ordre public ». Meme les flics savent ca.
    Critiquer une telle decision de bonne justice peut vous valoir une photo sur le Mur du Syndicat de la Magistrature..

  9. Il faudrait renvoyer ces charmants jeunes gens dans leurs pays d’origine, de façon a déplacer la guerre entre les banlieues en une vraie guerre inter-Africaine loin de chez nous. Une guerre entre Senegal et Cote-d’Ivoire.

  10. Ayé, vous versez dans le complotisme. « Kaaris et Booba ont bien monté leur coup. Le lieu a été choisi pour assurer la médiatisation de l’événement. » Pures suppositions… Le reste de votre analyse est du même tonneau. Booba s’est battu de nombreuses fois (avec La Fouine, Dam16 etc), ce n’est pas UNE bagarre pour valider la bagarre virtuelle, renseignez-vous.
    Rohff lui a laissé pour mort un jeune vendeur de la boutique de Booba aux Halles et a pris de la prison ferme pour cela.
    La Fouine s’est fait tirer dessus (en clash avec Booba aussi).
    Une bagarre aux poings de 5 mn ne fait pas nécessairement des blessés graves.
    M’enfin, si toutes ces âneries servent votre thèse alors…

  11. ps : orly, zone internationale, vigipirate renforcé, enfants et familles tout autour mis en danger, au cas où cela vous parle.

  12. Avez-vous pris un coup de chaud, Madame?

    Ces gens-là montrent l’exemple à leurs fans, et vous croyez que cela ne mérite pas une sanction de semer la pagaille dans un aéroport???

  13. Et bien moi ça me fait plutôt plaisir de savoir toutes ces racailles en taule en plein mois d’août, ce qui risque de leur coûter un max de fric en raison des contrats qu’ils ne pourront pas honorer… Et tant pis s’ils payent pour les autres, ils n’avaient qu’à bien se tenir !

  14. Deux observations, chère Madame :

    1. Peu importe son talent, aussi grand et universel soit-il, un commentateur a intérêt à ne pas se prononcer trop souvent sur n’importe quel sujet. Question de crédibilité.

    2. Comme disent les anglophones : hold your horses.

    Bien à vous.

  15. Mais pourquoi nous parle t on de ces deux lamentables pitres dans Causeur (dans Le Point je dis pas mais dans Causeur que je recommande autour de moi et auquel je suis abonné…) ?
    Qu’ils règlent les frais et leurs problèmes avec la justice.
    Comment une éditorialiste aussi fine (d’ordinaire) peut elle se fourvoyer à ce point ?
    Peut être l’été et les grandes chaleurs !
    J’ai un petit doute : est ce que cette fois encore mon commentaire (si on peut employer ce terme) va passer à la trape ?

  16. même si l’on n’est pas d’accord avec le propos, cet article est le premier que je lise qui examine ce fait divers sous un angle différent.
    ça éveille l’attention, ça fait débattre et réfléchir, donc c’est positif, même si on n’est pas d’accord.

  17. @Ingrid Riocreux

    Je vous signale une faute d’orthographe :
    Il fallait écrire  » résonnement  » international et non pas  » raisonnement « .

  18. Très bon article, chère Ingrid.

    Une petite précision contextuelle : les Beatles and les Rolling Stones sont amis depuis leurs débuts respectifs. Ils l’ont dit et répété continuellement depuis plus de cinquante ans. Les exemples de leur collaboration artistique, sans parler de leurs vies personnelles, ne manquent pas.

    C’est le coup de génie publicitaire d’Andrew Loog Oldham d’avoir monté cette « rivalité » de toutes pièces, en surjouant les différences de genres entre les deux groupes, mais qui n’a eu de prise que sur leurs fans les moins fûtés. De toute façon, l’écrasante majorité des fans de rock et pop adorent les deux sans distinction.

    Paradoxalement, les seules vraies tensions entre individus étaient en fait intra-groupe.

  19. Ben je me plais à penser que ces six semaines de « retraite » vont leur coûter un max de dédommagements des salles réservées sans parler de la casse à Orly et des indemnisations de l’aéroport et des compagnies, des avocats et des frais judiciaires sans oublier les amendes, même si elles paraîtront bien légères. Il leur faudra pas mal d’années pour le « retour sur investissement » et, d’ici là, il n’est pas du tout certain qu’ils aient encore un public si nombreux qu’çà.

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