A écouter les chaînes d’information, on croirait presque que, couvre-feu mis à part, la vie suit son cours d’une manière somme toute normale. Préservés du confinement, nous sommes tenus de nous satisfaire de la liberté qu’on nous laisse. Soit ; mais n’est-il pas étonnant que personne n’ose tenir une petite chronique des aberrations qu’on nous impose sous prétexte de protocole sanitaire? Devons-nous tout accepter sans broncher ou, du moins, sans rire?
Il faudrait pourtant les recenser, ces prescriptions contestables qui ont pour seul effet de donner à des gens, soudain investis d’un pouvoir de surveillance, la jouissance jubilatoire de rappeler à l’ordre les récalcitrants. Le spot radio du gouvernement dit qu’il faut porter le masque dans toutes les situations où il est « recommandé », ce qui traduit à la fois une forme de réalisme, d’un point de vue sanitaire, et un souci de respecter les gens en n’exigeant pas le port de cet accessoire quand il ne s’impose pas. Quelle hypocrisie pourtant, puisque, dans les faits, le masque est « obligatoire » partout. Et les policiers sont loin d’être les plus tatillons dans l’application de la consigne. Non, les plus scrupuleux sont les « bons citoyens », ceux qui appliquent la règle sans se poser de questions et veillent à ce que les autres fassent de même. Le masque est obligatoire alors on le porte, et c’est tout.
Voyez cette dame qui marche dans la rue, tôt le matin, toute seule, absolument seule, sur son large trottoir; elle porte le masque. Elle ne protège rien ni personne mais elle applique la règle. Si la visière covid était également obligatoire, même là, toute seule sur son trottoir, avec son arrogance pincée, elle porterait fièrement sa visière covid. Cette femme n’a aucune dignité.
Le plus grave est que nos règles sanitaires dispensent, semble-t-il, de toute empathie et de la plus simple réaction humaine: il est vrai que la gentillesse ne fait pas partie du protocole sanitaire.Voyez cette scène maintenant : un vieux monsieur qui monte dans l’ascenseur du parking souterrain; il est dans un état de panique, il a les larmes aux yeux, il bredouille des excuses parce qu’il n’a pas son masque, on voit bien qu’il a des ennuis. « Remontez votre col, monsieur, dit une petite dame à la voix sèche, puisque vous n’avez pas de masque ». Il explique qu’il ne sait plus où il a garé sa voiture dans ce grand parking, « et puis, tous les problèmes arrivent en même temps, il y a des périodes comme ça dans la vie ». Elle le coupe : « en fait, vous ne devriez pas parler, monsieur, vous allez nous contaminer. » Ce monsieur âgé est cependant plus « à risque » qu’elle et moi. Elle est méchante mais elle a bonne conscience : elle fait respecter la règle. J’ai essayé de dire des choses sympathiques au monsieur et je suis certaine qu’au fond d’elle-même, cette dame m’a jugée irresponsable (« elle parle à une personne non masquée! Et devant ses enfants en plus! »).
Non seulement le masque covid évoque pour moi tout le charme des mystères de l’orient, mais je suis assez surprise de la similitude de comportement entre certains « bons citoyens » (ou leur variantes investies de pouvoir : les dames de l’accueil et autres secrétaires qui « ont des directives, madame ») et les brigades islamiques de Daesh chargées de veiller à ce que la tenue vestimentaire des gens soit conforme à la charia. « Le masque: sur le nez s’il vous plaît! » Et, comme dans le cas de ces brigades (au dire de ceux qui les ont subies), les plus agressives et les plus scrupuleuses sont les femmes… « Essayez de penser au masque » me paraît être la seule injonction digne qu’on y obtempère : loin d’être comminatoire et culpabilisante, elle part du principe que le port du masque n’est pas naturel, qu’on a tendance à l’oublier et que c’est bien compréhensible. Souvenons-nous aussi (et ce souvenir commun devrait saupoudrer d’humour tous les rappels à l’ordre) qu’initialement, le masque était « inutile ».
Bien des lieux se sentent en sursis et craignent le « cluster », une paranoïa qui confine (si l’on ose dire) à la démence. Ainsi, tandis que votre médecin et votre ostéopathe vous autorisent à ôter votre masque dans leur cabinet, tandis que la pharmacienne vous dit de ne pas vous embêter à suivre le sens de circulation parce que c’est impossible avec une poussette, dans les écoles primaires, les clubs de sports et les écoles de musique, on fait du zèle. Pour les écoles primaires, j’entends des témoignages assez… comiques (prenons un adjectif positif) qui me laissent penser que vraiment, cette année, l’école à la maison est le mode d’instruction le plus normal, paradoxalement. Ce n’est pas pour rien (même si c’est un peu tard) que le Conseil Scientifique compte, depuis quelques jours, une pédopsychiatre.
Mais les écoles de musique et les clubs de sport sont aussi des lieux de folie furieuse en matière de protocole sanitaire. Entendons-nous, c’est une chose d’établir un protocole; c’en est une autre de pourrir la vie des gens au point de transformer en cauchemar des temps d’attente inévitables dont un esprit cordial sait habituellement faire de beaux moments de sociabilité, ponctuant agréablement les semaines des parents.
Pourquoi, alors que les machines à café du lycée continuent de fonctionner malgré l’épidémie, celles de l’école de musique et du club de sport ne sont-elles plus en marche depuis un an? Et si un petit gars tripote le fil débranché de cette machine à café, une dame surgit d’un bureau : « ne touche pas ça! » C’est vrai qu’il ne faut pas jouer avec les prises électriques, c’est dangereux. Mais la dame ajoute: « à cause du virus » !
A cause du virus aussi, la dame de l’entrée qui chantonnait devant son ordinateur en écoutant Balavoine et Goldman a disparu et, avec elle, Balavoine et Goldman. On a éteint la radio à cause du virus. On a aussi éteint la lumière du hall d’entrée à cause du virus. C’est glauque. Seul le flacon de gel est là pour vous accueillir. Bonjour, monsieur le flacon de gel. A cause du virus, on a retiré la moitié des chaises de la cafète, dans l’espoir de diviser par deux le nombre de personnes qui la fréquentent mais on a seulement multiplié par deux le nombre de personnes debout. Et puis, cette petite cafète était pleine d’enfants trop jeunes pour porter le masque, de collégiens qui le portaient mal et de mamans qui enlevaient régulièrement le leur pour rassurer leurs bébés (on devrait éviter de porter le masque devant les bébés: voir ici, ici et ici). Alors ils ont trouvé la parade absolue :
(oui, le nom officiel et prémonitoirement médical de la cafète est « salle d’attente »)
On notera que le jour où la photo a été prise, il faisait -3°, le sol était couvert de neige et il soufflait un vent glacial. Les habituels élèves et parents contraints par la fermeture des cafés de patienter dans cette « salle d’attente », n’ayant nul autre endroit où aller, ont donc dû se tasser ailleurs, contre le radiateur d’un couloir, sous un escalier ; et l’on a pu voir une brochette de mamans donnant le sein dans un vestiaire, au milieu des piles de vêtements et des odeurs de chaussettes! C’était interdit, leur place étant sur un banc de la cour, dépoitraillées dans le froid à nourrir des bébés grelottants. A cause du virus. Les précautions sanitaires doivent être appliquées et elles le sont : la « salle d’attente » est parfaitement covid; elle est vide. Or, ce qui interpelle ici, c’est la logique sanitaire : on ne veut pas que les gens attrapent le coronavirus, alors on les condamne à tout le reste : bronchite, grippe, angine, pneumonie. On retrouve le même questionnement que dans la situation évoquée plus haut : est-ce parce qu’il a oublié son masque que ce vieux monsieur malheureux n’a pas droit à une parole de réconfort? Est-ce parce qu’il respecte mal les précautions sanitaires que le petit peuple du mercredi matin (trois heures d’attente pour certains parents, ponctuées, toutes les 30 à 45 minutes de récupérations ou déplacements d’enfants d’une salle à l’autre, quelques parents prenant en charge des enfants de familles amies pour éviter cette attente à d’autres) que ce petit peuple donc, n’a pas le droit d’être assis bien au chaud? Détrompez-moi, j’ai l’impression que cette folie sadique est au moins aussi contagieuse que le virus.
Autre lieu, mais toujours dans le registre de l’humour: la vaste blague du sens de circulation. Merveilleuse sur le papier, elle devient vite ridicule dans la réalité. Dans ce couloir en (double?) sens interdit se situent les toilettes.
Si vous voulez y aller ou, encore plus pratique, y mener votre enfant pour qui « c’est pressé! », il faudra suivre les flèches, sortir de l’établissement par l’ouverture latérale puis y rentrer par l’entrée principale (rebonjour, monsieur le flacon de gel hydromachin), sachant que, pour sortir il aura fallu passer, avec votre poussette, un sas de deux portes coupe-feu. Pour les mesures sanitaires, c’est raté, vous avez besoin qu’on vous tienne la porte donc vous vous frottez à quelqu’un que vous n’auriez pas eu à approcher si vous aviez pu éviter ce détour. Notez que c’est aussi par ce sas à lourdes portes qu’il faut passer pour quitter l’établissement, même si vous êtes juste entré dans le hall déposer votre enfant et que personne n’arrive derrière vous !
Je crois qu’au sortir de cette crise sanitaire, nous aurons tous une belle collection d’anecdotes de ce genre à raconter pendant des années. Les années covid, c’est dam dam du di daam, des milliers de souvenirs (sur l’air de Michel Fugain: les Années Guitare).
Et parmi mes souvenirs les plus marquants, il y aura ceci : Dans un coin de vestiaire, près du radiateur, la chaise sur laquelle on a préféré coller soigneusement un scotch rouge pour en interdire l’usage, plutôt que de l’enlever tout bonnement. Ce qui importe n’est pas seulement que vous ne vous asseyiez pas; c’est que vous voyiez qu’on vous l’interdit. Et qu’une dame jaillie d’un bureau puisse avoir le plaisir sadique et délicieux de vous rappeler à l’ordre. « Nous avons des directives, madame ». Eh bien, il y a des gens à qui l’on ne devrait jamais donner de « directives », parce qu’elles leur tiennent lieu de cerveau et de cœur.
« Ce qui importe n’est pas seulement que vous ne vous asseyiez pas; c’est que vous voyiez qu’on vous l’interdit » : l’hystérie hygiéniste résumée en une phrase. La tyrannie glisse lentement mais sûrement vers le totalitarisme, un totalitarisme désinfecté et décontracté. Vous lire est un (trop) rare plaisir. Merci
— «N’est-il pas étonnant que personne n’ose tenir une petite chronique des aberrations qu’on nous impose sous prétexte de protocole sanitaire?»
Pour ma part, depuis octobre 2020 j’ai en partie délaissé mes occupations habituelles sur la Toile pour y tenir une chronique quotidienne de ce que j’appelle «l’Opération CoViD-19»: répertoire des mesures de harcèlement et de punition envers les Français sous prétexte de CoViD-19, analyse des mots et des formulations officiels et journalistiques de l’Opération CoViD-19. Certains mots importants ont été adultérés, dont les principaux sont «cas» et «confinement», et plus d’une fois le mot «sadisme» est venu sous ma plume.
Nous vivons une expérience sociale exceptionnelle et comme beaucoup de gens je l’ai senti dès le début, mais je n’imaginais pas qu’elle prendrait cette ampleur folle et gigantesque. Il ne tient qu’à nous gouvernés qu’elle cesse: la légitimité de toutes les mesures prétendument anti-CoViD-19 ne tient qu’à un fil, que nous pourrions rompre facilement. Nos gouvernants s’enferrent, ils savent qu’ils s’enferrent et que, surtout, ils creusent leur propre tombe: ne plus leur obéir les soulagerait presque de leur angoisse quotidienne ; je ne serais pas surpris que certains nous disent in petto: «Arrêtez-nous, on est allés trop loin!»