fake news

Un flou terminologique dangereux.

C’est Emmanuel Macron qui, par son discours lors de ses vœux à la presse, a mis la notion de fake news à la une de cette rentrée 2018 :

On notera qu’il parle de « fausses nouvelles », une expression censée traduire fake news mais qui en conserve le caractère vague, imprécis et attrape-tout.

Fake n’est pas false

L’adjectif fake est synonyme de forged, plus que de false ou de wrong. Une fake news n’est pas une information qui serait fausse parce que celui qui la diffuse se serait mal informé. Avec fake, c’est la nature-même du propos qui est remise en cause: la qualification de fake invalide sa désignation comme news.

Pour prendre un petit exemple personnel, je dirais que quand la journalistes de l’Obs me prête des liens de parenté ou des diplômes fantaisistes, on a affaire à des informations fausses, diffusées par incompétence ou paresse. Quand elle me désigne comme la « protégée d’Henry de Lesquen » au prétexte que j’ai accepté l’invitation de celui-ci à donner un conférence à la fête de Radio Courtoisie et que, par conséquent, je me retrouve assise à côté de lui, on est dans la pure fake news. La diffusion consciente et assumée du faux dans le but de nuire à une personne jugée infréquentable car côtoyant des infréquentables.

De même qu’un faux nez n’est pas un nez, une fake news n’est pas une news. Elle en a l’allure, par sa formulation et parce que le média qui la diffuse jouit, au moins auprès d’un certain nombre de personnes, d’une forme d’autorité qui lui confère de la crédibilité. Fondamentalement, la fake news est une rumeur diffamatoire lancée en toute connaissance de cause, dans le but de nuire.

Si on accepte de les définir ainsi, et je crois que c’est ce qui ressort du propos d’Emmanuel Macron, alors on ne pourra nier que la lutte contre les fake news est légitime et nécessaire. Mais notre arsenal juridique ne prévoit-il pas déjà des dispositions permettant de faire condamner la diffamation ?

La sanctification d’une thèse officielle

En outre, la jubilation générale des journalistes à l’idée que l’on ferait désormais la guerre aux fake news ne trahit-elle pas le fait que, sous cette expression, nombre d’entre eux mettent autre chose que la seule rumeur diffamatoire ?

Indubitablement. Pour ma part, si j’étais journaliste, je détesterais vivre avec l’idée que mon métier est d’établir et de sauvegarder des vérités officielles. La plupart des journalistes considèrent pourtant que c’est là leur vraie mission.

Propos remettant en cause l’origine du réchauffement climatique ? Ou bien son ampleur, sa réalité même, sa durée, ou encore ses conséquences ? Fake news. Clémentine Autain a très bien soulevé le problème :

Étonnement devant le caractère extrêmement opportun d’une révélation, qui invite à envisager une absence de hasard ? Fake news encore (souvenons-nous du Pénélopegate).

Ou « complotisme », puisque ces deux concepts entretiennent, dans le vocabulaire médiatique, une étroite relation au service de la même fonction : faire peur afin de renforcer l’autorité des médias de référence. Rabattre vers eux des gens terrorisés à l’idée que tout discours n’en émanant pas est probablement un mensonge ou une manipulation.

La parution des résultats de l’enquête IFOP commandée conjointement par la Fondation Jaurès et par Conspiracy Watch tombe à point nommé pour accréditer l’idée qu’il y aurait urgence à lutter contre la propagation d’informations aberrantes, puisqu’elles convainquent un nombre croissant de personnes.

Quand nos médias donnent dans le fake

Jamais les journalistes ne s’interrogent sur leur propre responsabilité dans le succès des thèses conspirationnistes. Ils s’en désolent, ils cherchent des coupables partout. Timisoara, le nuage de Tchernobyl, les armes chimiques en Irak, l’absence de terroristes parmi les migrants, de tout cela il n’est jamais question.

Ce sont pourtant des informations totalement fausses abusivement présentées comme incontestables qui ont été diffusées par les plus autorisés des médias. Nous nous sommes sentis manipulés, trompés, joués. Et cela laisse des traces…

La menace complotiste

Évidemment, je ne défends pas le complotisme. J’y suis d’autant plus allergique que je l’ai fréquenté de près. Les juifs qui s’allient aux francs-maçons pour manipuler les musulmans contre les chrétiens, je connais. Les frères Kouachi téléguidés par le Mossad, je vois très bien.

Kouachi Mossad

Et j’ai eu entre les mains des livres expliquant la « vérité » sur le 11 septembre… et sur l’implication des extraterrestres dans le fonctionnement de notre monde. Le complotisme est une maladie qui s’auto-alimente parce qu’elle aspire sans cesse à une cohérence qu’elle s’ingénie à briser : si les juifs sont tout-puissants et orchestrent tout ce qui se passe ici bas, mais que notre monde a en réalité été conçu et ordonné par des extraterrestres, quel rapport les juifs entretiennent-ils avec les extraterrestres ? A ceux qui me demandent comment sauver quelqu’un du complotisme, je réponds qu’il ne faut pas chercher à argumenter rationnellement contre lui, qu’il ne faut pas défendre de thèse opposée. Il faut lui mettre sous les yeux la soif de simplicité et de confort qui l’anime, cette paresse de l’esprit qui se cache derrière des références toujours étonnamment convergentes parce que le complotiste ne lit que ce qu’il veut lire, n’écoute que ce qu’il veut écouter. Le complotisme est incompatible avec l’intelligence. C’est la formation intellectuelle vaste et diversifiée que j’ai reçue en classe préparatoire qui m’a permis, non seulement de prendre mes distances vis-à-vis des théories complotistes mais aussi de prendre conscience de leur nocivité. On déplore que les jeunes adhèrent en masse aux théories du complot. Mais comment pourrait-il en être autrement, quand le système scolaire actuel en fait des abrutis finis ? Les séances d’éducation aux médias, censées protéger nos enfants du complotisme, tournent le plus souvent à la démarche d’endoctrinement visant à leur asséner l’importance d’accepter aveuglément la thèse officielle, c’est-à-dire journalistique. Conséquence prévisible : ils la rejettent !

Non au transfert de confiance

Je me désole que la méfiance totalement légitime envers les grands médias donne lieu à un transfert de confiance vers des sources d’informations grotesques où affleure toujours un « effet gourou ». Machin est LE spécialiste de tel événement. « Tu ne peux pas savoir, parce que tu n’a pas lu Machin, tu n’as pas regardé telle ou telle vidéo qui montre bien que… » Le culte de l’autorité et l’absence totale d’esprit critique, attitudes que je combats dans notre rapport aux grands médias, se retrouvent dans la sphère de ceux qui les fuient, prétendument par esprit critique !

Il est urgent de mettre les choses au clair : contrairement à ce qu’on aimerait nous faire penser, exprimer des doutes par rapport à une thèse majoritaire apparaissant comme seule autorisée n’est pas du complotisme. Employer ce mot devient alors de la manipulation. Il faut réserver le terme de complotisme à ce qu’il désigne réellement : la conviction affirmée que la thèse officielle est fausse et la substitution à cette thèse d’une explication invérifiable mais incontestable. Car bien entendu, nier la thèse complotiste, c’est en alimenter la validité, donc la confirmer.

A bas le culte de l’opinion

Le vrai problème est que notre époque est celle du règne de l’opinion. Tout le monde a un avis sur tout, tout le monde se sent tenu d’avoir un avis sur tout. Soit on défend mordicus la thèse développée dans les médias en considérant qu’ils sont par nature les plus crédibles. Soit on la refuse et on s’accroche mordicus à la thèse inverse. Il faut savoir, je pense, acquérir sur les sujets qui ne nous tiennent pas à cœur ou qui dépassent notre champ de compétences, un détachement et une disponibilité qui permettent d’accueillir, avec tout à la fois un réel intérêt et une saine méfiance, tout propos d’où qu’il vienne.

Et savoir reconnaître que certaines théories sont plus drôles que dangereuses :

hilter extraterrestre

 

17 commentaires

  1. Chère Ingrid,

    Vous indiquez qu’on est dans le règne de l’opinion. A ce sujet, vous n’avez pas précisé que l’enquête (enfin, c’est un bien grand mot) à laquelle vous vous référez ne présentait pas (d’après Marianne) l’option « ne se prononce pas ».

    En conséquence, établir que 80% des gens soient forcément « complotistes » est assez aisé…

    Dans le même genre, un collègue m’a ainsi décrit une étude dont les conclusions démontraient que 100% d’une population d’un pays donné (il me semble me souvenir qu’on parlait des USA) était constituée de psychopathes. Étude brillamment réalisée dans… un asile psychiatrique.

    Par ailleurs, sur la « vérité officielle », le discours français est dans un domaine particulièrement biaisé. Ainsi, il est anticonstitutionnel d’interdire de nier le génocide arménien, mais la Shoah, par contre…

    Le simple fait d’exprimer un doute (même sans le vouloir) quant à l’évènement en question est passible d’une mise au ban de la société quand on est une personnalité publique (cf Filoche).

    Avec cette magnifique stratégie, on a le même effet que pour les autres thèses officielles. On interdit, donc, les gens vont croire le contraire.

    En définitive, j’ai tendance à penser que la liberté est ou n’est pas, mais surtout qu’elle ne souffre pas de compromis. Dès que l’on interdit des propos parce qu’ils ne siéent pas à notre point de vue, on tombe inexorablement vers la tyrannie de la pensée.

    Et surtout, avant de s’occuper d’interdire aux gens de croire de la merde, commencer par essayer d’appliquer les interdictions relatives aux actes (comme de tenter de bruler les pompier) me semblerait une bonne approche.

    Je vous souhaite une belle journée (et une bonne et heureuse année).

  2. 1- Votre définition du « fake news » semble juste mais il faudra quand même vérifier le moment venu qu’elle correspond à celle donnée par le Gouvernement. Cela suppose d’avoir connaissance du texte présenté à l’Assemblée, de l’étude d’impact et du rapport parlementaire.

    Il faut également lire le discours de Macron dans lequel on comprend que son souci est de protéger la presse officielle. Il soutient les journalistes professionnels qui sont très majoritairement des courtisans du régime.

    2- En matière de complotisme il faut, à mon avis, cerner les intentions réelles du pouvoir. Je pense que le complotisme sera bientôt une infraction pénale. On ne pourra plus ne serait-ce que douter de la vérité officielle sous peine d’amende.

    En matière de « fake news », l’objectif n’est pas de lutter contre mais d’atteindre les médias alternatifs. Il s’agit simplement de détruire toute forme de dissidence.

    Vous avez récemment participé à une émission sur TV libertés. Cette chaîne peut un jour ou l’autre être accusée de « fake news » et être neutralisée.

    3- A titre de divertissement, une petite épigramme :

    A l’Elysée, Macron rassure ses courtisans
    Journaleux sans lecteur, bavards subventionnés :
    «Comme Pilate, clouons sur des croix les dissidents
    Sus aux fake news ; que le verbe soit incarcéré! »

    • Ribus, vous avez raison : le discours de Macron laisse la porte ouverte à bien des interprétations, même si je pense que notre président a été personnellement marqué par les fake news qui l’ont visé durant la campagne et que c’est bien prioritairement contre ces « fausses nouvelles » qu’il veut se battre. Je ne pense pas que son intention soit de jouer à imposer sur tout sujet une vérité officielle, comme le souhaitent en revanche beaucoup de journalistes. La volonté de neutraliser TVLib ne viendra pas de si haut. Elle règne déjà dans les médias autorisés. Un journaliste qui m’interviewait un jour m’a posé comme première question: « à votre avis, comment faire taire Jean-Yves Le Gallou ? » Et ma réponse fut: « pourquoi voulez-vous le faire taire ? » Il a ri, gêné, et il est passé à autre chose. Pas toujours facile de justifier la censure !

      • Bonjour Ingrid,
        Vous écrivez que Macron est « notre » président. Personnellement, je considère que Macron n’est pas « mon » président.
        Bonne année à vous.
        Pierre

        • c’est le président des français, j’ai beau ne pas avoir voté pour lui, j’ai même voté contre lui, il est président.
          Certes nous pourrions gloser sur la légitimité de son élection: 1)voir son élection comme un coup d’état médiatique 2) le nombre d’abstentionnistes devrait invalider son élection, mais voilà, selon les règles institutionnelles en place, il est président, il serait arrivé au pouvoir par la force qu’il représenterait encore la France et les français et l’histoire même dans quelques décennies le présenterait comme le dirigeant de la France et des français.
          Madame Riocreux parle du règne de l’opinion. Elle oublie de préciser que ce règne se combine avec celui de l’individualisme. Notre opinion a tant de valeur que nous finissons tous par nous laisser aller à une opposition irrationnelle, individualiste confinant à une insoumission capricieuse, infantile confinant elle même à la négation d’un fait: E.Macron est le président des français, il est donc notre président. Il est donc, hélas, mon président à mon corps défendant. on peut le déplorer mais pas le nier.

    • Cher Ribus,

      En matière de « destruction de la dissidence », on pourra tout à fait officialiser les moyens que l’on développe donc en sous-main en France (oh le vilain complotiste que je suis).

      http://www.liberation.fr/planete/2011/09/02/kadhafi-a-espionne-les-libyens-grace-a-la-france_758690

      Ainsi, Kadhafi avait dans son pays des moyens de masse relatifs à internet. Vendus par la France. Sauf qu’aucun journaliste n’a poussé le raisonnement jusqu’au bout. En effet, pour avoir les « moyens », il faut les développer. Comme on parle de technologies non exportables, elles sont forcément développées et testées… en France.

      Je pense sincèrement que tout ce que le gouvernement obtiendra sera un développement des réseaux anonymes, des services de proxys etc. Et pour faire écho à votre épigramme, une petite rime:

      A trop prendre les gens pour des cons,
      On obtiendra la révolution.

      Je vous souhaite une belle journée.

      • Cher Démosthène,

        Vous citez en exemple la Libye qui s’est fournie auprès d’une société française. Or, si la France avait refusé l’exportation du matériel à Khadafi, celui-ci se serait sans doute fourni ailleurs. Il faut donc être un peu réaliste : en matière d’échanges commerciaux entre Etats il n’y a pas de morale mais des relations d’intérêts, comme le disait le général.

        Les américains et les anglais ne sont pas en retard sur le sujet non plus. Il suffit de le demander à Edward Snowden, par exemple.

        Plus généralement, je pense que les puissants de ce monde ont tous pour objectif commun de mettre sous contrôle INTERNET. Prochainement, l’Assemblée transposera en droit interne la directive « NIS »( décision n° 2016/1148). Le dossier est en principe en ligne sur LEGIFRANCE.

        De manière très symptomatique, ce projet contient des dispositions sur INTERNET et dans la 2è partie sur le contrôle des armes…. « Bizarre, bizarre, vous avez dit bizarre, bizarre, comme c’est bizarre…. »

        Il ne faut pas voir le mal ni le complot partout mais on a tout lieu d’être très méfiant.

        Conclusion : Notre avenir en matière de liberté d’expression : des salles de réunion avec accès réservé.

        Très bon Dimanche également.

        Post scriptum : Très bien, votre distique. Écrire en vers, c’est aussi de la dissidence aujourd’hui.

  3. Bonjour Ingrid,
    Je profite de la place qui m’est donnée pour aborder un point de langage, sans aucun rapport avec le sujet des « Fake news ». Enseignant à l’Université, je suis frappé par la propension des étudiants, plus peut-être d’ailleurs les jeunes femmes que les jeunes gens, à recourir à l’expression « du coup », qui ponctue la moindre phrase. Personnellement, cette habitude m’exaspère au plus haut point. Qu’en pensez-vous ?
    Pierre
    PS. C’est également moi qui, il y a quelques temps, a posté un message à propos de l’abus du substantif (et non du qualificatif) de « problématique », terme pédant, en lieu et place du substantif « problème ».

    • Ja partage votre agacement, Pierre, quant à ce nouveau tic verbal à la mode ainsi que sa variante « pour le coup » absolument inutiles la plupart du temps dans la conversation. TOUS les tics verbaux par ailleurs m’exaspèrent, par leur côté répétitif et le fait qu’ils dénotent un manque de vocabulaire consternant.

  4. Bonjour et merci pour votre éclairage. Si le globish « fake news » n’équivaut pas au français « fausse nouvelle », utilisons « bobard » qui traduit aussi la mauvaise intention ajoutée à la fausse information.

  5. Au cas (improbable ??) où on restreindrait la liberté d’opinion par des lois liberticides au bon prétexte d’éliminer les « fake news », on pourrait ressusciter Radio Londres (les français parlent aux français) ou la célèbre Radio Caroline, qui était dans es eaux internationales et donc inattaquable judiciairement.. Solution extrême mais possible..

  6. Très bon article ! mais il faut corriger Pierre qui a raison mais qui doit écrire : « ‘c’est moi qui « ai « et non « a « ! Car ça la fiche mal , du coup !
    Bien à vous .
    MHV

    • Bonjour Marie-Hélène,
      Vous avez bien sûr raison. J’aurais dû écrire : « C’est moi qui ai ». Si vous êtes indulgente, vous pourrez mettre cela sur le compte de l’étourderie.
      Pierre

  7. « Forgerie » existe depuis belle lurette et possède à peu près la même acception que « fake news ». Vous le trouverez dans n’importe quel dictionnaire.

  8.  
    « Quand nos médias donnent dans le fake »
     
    Mais beaucoup de journalistes ne sont-ils pas les vecteurs des fake news (informations falsifiées) ? « Moi vivant, monsieur, il n’y aura jamais d’infos dans mon J.T. » (la marionnette de PPDA dans les Guignols de l’info).
     

  9. Si le glissement de « problématique » vers « problème » – il nous vient de l’allemand – est affligeant, c’est une autre cuistrerie plus répandue encore qui m’horripile au plus haut point : la pédantesque « technologie » (= en principe étude des sciences et/ou de leurs vocabulaires) qui détrône l’humble technique.
    Ici, c’est un coup des Britiches.

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